Les ruelles de Montréal, un réseau au potentiel unique

L’arrondissement de Ville-Marie a aménagé certaines ruelles du centre-ville dans le cadre de son projet pilote.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir L’arrondissement de Ville-Marie a aménagé certaines ruelles du centre-ville dans le cadre de son projet pilote.

Longtemps considérées comme de simples voies de desserte, les ruelles montréalaises font l’objet, depuis une dizaine d’années, d’imposantes transformations. Un vent de changement qui, loin de se limiter aux quartiers résidentiels, souffle depuis peu sur leurs jumelles du centre-ville. Conçu à l’échelle des piétons, ce fin réseau parallèle pourrait-il devenir cet espace que les marcheurs urbains réclament ? Pistes de réflexion.

Théâtre du quotidien des quartiers, les ruelles s’offrent de plus en plus comme une seconde trame urbaine aux Montréalais, sorte de réseau parallèle où les piétons sont rois. Situé à mi-chemin entre l’espace public et son pendant privé, ce fin quadrillage — qui s’étend tout de même sur plus de 475 kilomètres, principalement dans les quartiers centraux de la métropole — propose aux passants un havre de paix, loin du brouhaha des artères achalandées.

 

 

« Que l’on parle de développement durable en ville, de piétonnisation ou de partage de l’espace urbain, les ruelles ont un potentiel inouï », lance sans ambages Simon Octeau, directeur adjoint du Regroupement des écoquartiers, un organisme mis sur pied il y a 21 ans pour accompagner les écoquartiers locaux dans leur travail quotidien. D’autant plus que depuis 2010, le nombre de ruelles vertes ne cesse d’augmenter chaque année. Seulement en 2016, ce sont près de 60 nouveaux tronçons qui seront réaménagés aux quatre coins de la ville.

Et bien qu’elles demeurent encore minoritaires et, par conséquent, peu empruntées au jour le jour, ces voies secondaires pourraient, selon lui, devenir le réseau de transit principal des milliers de piétons qui circulent dans la ville au quotidien. « Il y a dix ans, il aurait été difficile d’envisager la ruelle comme un lieu de déplacements actifs réel, note ce spécialiste du développement durable. Beaucoup de ces voies étaient utilisées comme une sorte de raccourci par les automobilistes qui voulaient éviter le trafic. Avec la multiplication des ruelles vertes — elles s’étendent sur près de 63 kilomètres aujourd’hui —, il est possible d’envisager la création d’un réseau parallèle aux voies de circulation traditionnelles. »

150
Nombre de ruelles présentes au centre-ville de Montréal.

Source : Arrondissement Ville-Marie

Dans l’optique de les faire mieux connaître auprès du grand public, le Regroupement des écoquartiers a lancé cet été les « Parcours verts et ludiques ». Cette série de promenades regroupées sur une application mobile, développée dans le cadre de l’événement Je fais Montréal, permet de découvrir les ruelles vertes de quatre quartiers, tout en démontrant que de nombreux points de services, comme les écoles, les parcs, les hôpitaux, etc., sont déjà accessibles via ces passages piétons alternatifs. « Le but était de mettre en évidence le potentiel de “marchabilité” des ruelles, précise Simon Octeau avec sérieux. De montrer qu’il serait possible, par exemple, pour les enfants de se rendre à leur école de quartier en passant par ces voies. En plus, c’est plus sécuritaire ! » 

Limitation automobile

 

Ou du moins, c’est en voie de l’être, l’accident impliquant un enfant à vélo et survenu dans une ruelle du Sud-Ouest au printemps dernier étant encore trop frais dans les mémoires. À la suite de ce tragique incident, de nombreux arrondissements ont d’ailleurs fait savoir leur intention de limiter l’accès aux ruelles en voiture ou, du moins, de mettre en place des mesures d’apaisement de la circulation dans ces petites voies. Le Sud-Ouest, à titre d’exemple, a annoncé la multiplication des dos-d’âne. D’autres quartiers, comme le Plateau-Mont-Royal, comptent, pour leur part, limiter l’accès de plusieurs ruelles à l’aide de bacs à fleurs ou de blocs de béton, particulièrement aux abords des écoles et des parcs.

20 000 à 30 000$
Coût moyen de réalisation d’une ruelle verte. Les montants nécessaires à la réhabilitation de cet espace proviennent d’une enveloppe budgétaire prévue par les arrondissements.

Source : Regroupement des écoquartiers

« La ruelle est de plus en plus reconnue comme un élément de la trame urbaine à part entière, indique Simon Octeau du Regroupement des écoquartiers. Les arrondissements développent d’ailleurs le réflexe de l’inclure dans leur Plan local de déplacements. » C’est le cas, entre autres, de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, de Rosemont–La Petite-Patrie et du Plateau-Mont-Royal.

Dilemme commercial

 

Cette petite révolution routière, bien qu’elle se concentre principalement dans les quartiers résidentiels, fait tranquillement son chemin vers les ruelles du centre-ville. Déjà, en 2014, la Société de développement commercial (SDC) Destination centre-ville avait fait preuve d’une première ouverture à l’idée de revamper ses allées, notamment, en mettant sur pied un premier marché éphémère.

13%
Proportion de ruelles verdies à Montréal. Cela représente plus de 300 ruelles vertes.

Source : Regroupement des écoquartiers

En vue du 375e anniversaire de la Ville de Montréal, l’arrondissement Ville-Marie, en partenariat avec la SDC, a décidé de récidiver en réaménageant, cette fois définitivement, certaines ruelles commerciales. Ce dernier est toutefois plus contraignant que celui de leurs jumelles résidentielles, notamment en raison de « la gestion des déchets et des livraisons », précise Anik de Repentigny, chargée de communication à l’arrondissement Ville-Marie. À terme, trois ou quatre ruelles devraient être réhabilitées en 2017 et, si tout se passe bien, d’autres devraient également être remises à neuf dans les années suivantes.

« Les considérations sont différentes », concède le directeur général de la SDC, André Poulin. Loin de se décourager, celui qui occupe son poste depuis 2004 rêve d’un centre-ville où l’ensemble des ruelles seraient verdies, et il entend bien tout mettre en oeuvre pour que cela puisse se faire. « Vous imaginez de quoi aura l’air notre centre-ville une fois ces transformations réalisées ? Ces ruelles ont le potentiel de devenir des oasis au coeur de la densité urbaine. »


La petite histoire des ruelles

Unité la plus fine du quadrillage de rues de Montréal, les premières ruelles font leur apparition dans la métropole dès les débuts du régime français. Elles ne ressemblent alors toutefois en rien à ce qu’elles sont aujourd’hui. Petites rues conçues à l’échelle des piétons, il s’agit plutôt de voies de passage étroites qui s’articulent au fil du premier tracé de rue. À l’époque, les cours arrière sont accessibles par des portes-cochères, détail architectural qu’on peut encore observer dans les plus vieux quartiers de la métropole.

Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour voir se profiler les ruelles telles que nous les connaissons aujourd’hui. Importées de Grande-Bretagne, on les voit d’abord apparaître dans les quartiers bourgeois, où elles permettent un accès plus aisé à l’arrière des résidences. Rapidement, elles se font toutefois une place dans les faubourgs ouvriers, à mesure que ces derniers se densifient. Plus de deux cents ans plus tard, on en compte par centaines aux quatre coins de la ville.

Réputation en mutation

Très populaires aujourd’hui, les ruelles ont pourtant longtemps été boudées par les Montréalais. Sales et peu sécuritaires, elles servaient alors surtout de voies de desserte, les passants allant même jusqu’à éviter de s’y aventurer. « On ne peut pas dire qu’elles avaient bonne réputation, lance sans détour l’historien Mario Robert, chef de la section des archives à la Ville de Montréal. Ce n’était pas des espaces invitants dans la ville. Souvent, elles n’étaient même pas pavées, n’étaient pas éclairées. C’était l’endroit de la petite criminalité. »

Il faut attendre les années 1960 et la destruction des nombreux hangars pour que les premières opérations de réaménagement se mettent en branle. De lieu de crime, la ruelle, bien qu’encore un peu mal-aimée, devient alors le lieu de jeux par excellence. C’est à cette même époque qu’elle fait son entrée dans la culture populaire, devenant entre autres le décor coloré du vaudeville urbain de Michel Tremblay. Depuis, la réputation des ruelles n’a cessé de s’améliorer, ces dernières dépassant le simple lieu de transit, notamment en raison du programme de verdissement chapeauté par les écoquartiers. Elles sont aujourd’hui un élément emblématique de Montréal.



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