S’inspirer de l’audace de San Francisco

Les changements prévus dans le milieu des transports au cours des deux prochaines décennies seront cruciaux pour les villes. Maison mère de bon nombre de ces mutations à venir, San Francisco entend bien tirer son épingle du jeu. Elle a d’ailleurs déjà une longueur d’avance. Regard vers le futur.
Timothy Papandreou rêve d’une ville où il n’y aurait plus de voiture individuelle. Ambitieux ? Sans doute, mais pas impossible, croit le directeur du bureau des innovations de l’Agence des transports urbains de San Francisco (SFMTA).
« Dans quelques années, notre mobilité aura complètement changé et, avec elle, notre manière de concevoir nos villes aussi. » Selon lui, les avancées technologiques à venir — sans compter celles qui existent déjà — permettront une véritable révolution urbaine, la plus importante depuis la démocratisation de l’automobile.
De passage à Montréal en juin dernier dans le cadre du New Cities Summit, c’est avec un enthousiasme évident que ce spécialiste des transports parle des défis qui attendent sa ville et, par le fait même, toutes les autres. « On arrive à un moment décisif, lance-t-il avec un large sourire. Dans quelques années à peine, la voiture autonome sera tout à fait au point et aura fait sa place. Et, dans un monde idéal, cette place sera toute petite. Nous n’aurons donc plus besoin d’autant d’espaces de stationnement, les autres modes pourront reconquérir la ville, les rues seront plus sécuritaires, il y aura moins de congestion, moins de pollution… Le rêve ! Et je ne parle pas de transformations qui auront lieu dans plusieurs dizaines d’années. Elles sont déjà en train de se produire ! »
Vue d’ensemble
Pour que tout fonctionne, les administrations municipales et les agences de transport devront toutefois rapidement faire preuve d’audace, voire d’omniscience, notamment en ce qui a trait aux législations. « C’est un état d’esprit qui s’apprend, note Timothy Papandreou. Une manière d’appréhender le futur en sortant des cadres actuels et, surtout, qui mise sur le travail d’équipe. »
D’abord à la tête du bureau de la planification stratégique et des politiques, c’est en ce sens qu’a travaillé Timothy Papandreou au cours de ses premières années au sein de l’agence sanfranciscaine. « Nous avions alors quatre départements : les transports publics, le stationnement, la circulation et les taxis, explique-t-il. Il a fallu briser les silos existants. » Avant, chaque équipe faisait ses choses dans son coin, en faisant abstraction des spécificités des autres secteurs. « Ou pire, elles se faisaient concurrence. »
Source: San Francisco Municipal Transportation Agency
Sans vue d’ensemble, il était alors beaucoup plus facile de passer à côté d’un élément essentiel pour les usagers. « C’est comme si, pendant longtemps, on avait oublié pour qui on travaille, note le directeur. En mettant nos ressources en commun, nous avons été en mesure de comprendre comment nous faisions les choses, mais surtout de voir comment nous pourrions mieux les faire. À terme, ça nous a donc permis d’améliorer les services que nous offrons aux habitants de notre ville. »
À un point tel que le nombre de déplacements effectués à bord d’un mode de transport alternatif, tant collectif qu’actif, est passé de 38 % à plus de 50 % en moins de cinq ans, trois ans avant la date butoir fixée dans son Plan stratégique. « Il y a un lien de corrélation claire entre la qualité des services offerts et l’achalandage, indique Tim Papandreou. Demandez à n’importe quel expert des transports, il vous le confirmera. Après, les usagers ne sont pas fidèles, ils passent aisément de l’autobus au vélo en libre-service ou à l’autopartage. L’utilisateur des transports alternatifs est un “mobiliste” : tout ce qu’il veut, c’est pouvoir se déplacer. » Et, ultimement, ajoute-t-il, même s’il saute la clôture de temps en temps et retourne vers ses premières amours automobiles, une option efficace le fera assurément revenir.
Partenaires multiples
Pour être réellement efficace, ce travail consensuel ne doit pas se limiter aux instances publiques, indique Tim Papandreou, en particulier quand vient le temps d’intégrer de nouvelles formes de mobilité. « Aujourd’hui, les choses vont trop vite pour que les villes travaillent seules. Il faut se trouver des associés, développer des partenariats avec des acteurs universitaires pour obtenir plus d’informations sur les pratiques de nos usagers et avec des acteurs privés pour développer des expertises de pointe. »
Selon lui, ces alliances sont essentielles pour demeurer compétitif. « Pour toujours offrir le meilleur, il faut travailler avec les meilleurs, insiste-t-il. Et si ça veut dire joindre nos forces à celles d’Uber ou de Lyft parce qu’ils sont ceux qui ont compris et développé des méthodes efficaces pour venir à bout du dernier kilomètre, par exemple, pourquoi pas ? » Tout spécialement à notre époque, alors que les villes vivent avec peu de moyens, tant financiers qu’humains.
Source: San Francisco Municipal Transportation Agency
Pas question, toutefois, de faire équipe avec n’importe qui. « Est-ce que vous vous marieriez avec le premier venu ? lance-t-il en riant. Sûrement pas ! C’est la même chose quand vient le temps de choisir avec qui on va travailler. Il y a tout un processus de séduction et de compréhension de l’autre. » Et comme dans toute bonne relation, si ça ne fonctionne pas, rien n’empêche une administration d’y mettre fin au moment de son choix. « C’est la beauté de la chose, rien ne nous oblige à toujours travailler avec les mêmes entreprises. Mieux encore, nous avons le loisir de déterminer les règles du jeu. »
Pour éviter les mauvaises surprises, Timothy Papandreou suggère tout de même d’établir d’abord des ententes solides avec le milieu universitaire. « Vous voulez connaître la clé du succès ? Les données ! Plus on comprend ce qu’on veut, plus il est facile de trouver celui qui sera en mesure de nous l’obtenir. »
Laboratoire urbain
Malgré son optimisme débordant, le directeur des innovations de la SFMTA reconnaît que ces changements ne se feront pas en claquant des doigts. « L’humain est un être d’habitude, il n’aime pas être bousculé, admet-il. Les villes sont un peu comme ça aussi. Elles ont besoin de temps pour s’adapter à une nouvelle situation. Je reste tout de même convaincu que la plupart d’entre elles sont conscientes que ces transformations arrivent. »
Dans la métropole californienne, la révolution est toutefois déjà bien en marche, faisant de San Francisco un formidable laboratoire urbain. « Nous avons la chance d’avoir l’une des pépinières les plus prolifiques en matière de technologie, reconnaît-il. Ça ne veut par contre pas dire que les choses sont automatiquement plus faciles, mais c’est certain que notre “écosystème” naturel est propice aux changements à venir. »
Déjà, des voitures autonomes côtoient les autobus et les cyclistes aux différents carrefours du centre urbain. Ne reste plus qu’aux pouvoirs publics de prendre les devants. « Je vous l’ai dit, laisse-t-il tomber avec un sourire en coin. Je rêve d’une ville où toutes les voitures seraient autonomes, électriques et, surtout, partagées. C’est ambitieux, mais je compte bien y arriver. »
