Les aléas du 747

Un autobus du circuit qui mène à l’aéroport pris dans un embouteillage
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Un autobus du circuit qui mène à l’aéroport pris dans un embouteillage

Retards fréquents, embouteillages monstres et porte-bagages insuffisants, le service de desserte par autobus offert en partance du centre-ville vers l’aéroport de Montréal par la STM connaît de plus en plus de ratés. Une frustration que les chauffeurs eux-mêmes ont peine à contenir. Mise en perspective.

Madeleine Allard prend rarement l’avion. « Je suis toujours celle qui arrive beaucoup trop d’avance à l’aéroport, lance-t-elle en riant. La dernière fois, je devais aller à Winnipeg pour voir de la famille, ma compagnie aérienne me recommandait d’être là une heure à l’avance pour m’enregistrer. » Son vol étant en début de soirée, la traductrice n’a pas trouvé bon de prendre une journée de congé, préférant rentabiliser son temps. « Je n’avais pas pris mon heure de dîner pour partir plus tôt, se souvient la jeune femme. J’avais regardé sur Internet : en partance du métro Lionel-Groulx, ça devait me prendre 20 minutes jusqu’à l’aéroport. Ça me donnait une grosse heure et demie de jeu. » Coincée dans un bouchon de circulation, la navette a mis une heure à se rendre jusqu’au terminus aéroportuaire.

Arrivée au comptoir d’enregistrement au pas de course, Madeleine Allard n’a finalement jamais pu y déposer ses bagages. Son avion a décollé sans elle. « Sur le coup, j’étais complètement soufflée, laisse-t-elle tomber. Je me disais que ça n’avait pas de bon sens que notre ville ne soit pas capable de nous donner un service de transport public en direction de l’aéroport qui soit plus efficace. »

45 à 60 minutes
C’est le temps indiqué sur le site Web de la STM pour se rendre de la station de métro Berri-UQAM, située au centre-ville de Montréal, à l’aéroport international Pierre-Elliott- Trudeau, «selon la circulation».

Source : Société de transport de Montréal

Offert par la Société de transport de Montréal (STM) depuis mars 2010, le service de navette 747 qui dessert l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau en partance des quartiers centraux montréalais connaît une hausse d’achalandage marqué depuis son instauration. Malgré cela (ou en raison de cela), le service doit, depuis quelques années, composer avec de plus en plus de problèmes. Ratés qui, depuis trois ans, se traduisent notamment par une augmentation du nombre de plaintes reçues par la STM, ces dernières étant passées de 207 en 2013 à 328 en 2015. Retards fréquents, autobus bondés, porte-bagages pleins à craquer et, dans les cas extrêmes, vols manqués, sont au nombre des doléances enregistrées par la STM.

Moins de service?

Complètement anachroniques en 2016 aux yeux de Projet Montréal, ces problèmes de plus en plus fréquents reflètent une baisse de service difficilement justifiable. « On sait depuis au moins deux ans que la STM, faute de budget, est contrainte de réduire le nombre de départs vers l’aéroport, explique Craig Sauvé, porte-parole en matière de transport pour l’opposition officielle municipale. Or, si Montréal souhaite être une ville “internationale”, il est primordial qu’on offre un accès public et efficace vers Pierre-Elliott-Trudeau. C’est un minimum ! »

La STM se défend toutefois d’avoir réduit le nombre de départs en direction de l’aéroport, faisant valoir qu’au contraire, elle « a augmenté le nombre de voyages sur cette ligne par rapport à l’année dernière ». « Il y a sept voyages de plus par rapport à la même période l’an dernier, précise la porte-parole de la STM, Amélie Régis. Et ce, autant les jours de semaine que de fin de semaine. »
10 $
Il s’agit du tarif de la navette 747. Ce montant permet d’accéder aux réseaux d’autobus et de métro montréalais pour une durée de 24 heures. Les titres de transport mensuel ou hebdomadaire à tarif normal ou réduit sont également acceptés.

Source : Société de transport de Montréal

De son côté, l’administration d’Aéroports de Montréal (ADM), la corporation privée sans but lucratif responsable de la gestion, de l’exploitation et du développement des aéroports montréalais, note depuis quelques années les lacunes du service de desserte 747. « On le remarque parce que ça a un impact direct sur l’utilisation de nos installations, précise Christiane Beaulieu, vice-présidente aux Affaires publiques chez ADM. Les autobus qui arrivent n’ont pas de voie réservée, ils sont donc souvent en retard à cause des travaux ou de la congestion, ce qui fait en sorte que de nombreux passagers doivent attendre plus longtemps sur nos débarcadères. »

Pour pallier ce problème, ADM et la STM ont tout de même mis sur pied l’an dernier un comité réunissant des représentants des deux administrations, dans l’optique d’améliorer l’efficacité du service. « Il faut garder en tête que la STM doit composer avec de nombreux impondérables, explique Christiane Beaulieu. Oui, il y a des lacunes, mais il y a beaucoup de choses qu’ils ne peuvent pas contrôler. »

Chauffeurs dans la mire

Sur le terrain, les chauffeurs font pour leur part état d’une récente « remise à niveau » du nombre de départs. « Le service avait été amputé, affirme le président du Syndicat des chauffeurs d’autobus, opérateurs de métro et employés des services connexes au transport, Renato Carlone. Mais ils se sont rendu compte que ce n’était pas une bonne idée, alors ils ont corrigé leur erreur. » À ses yeux, impossible toutefois de parler d’une augmentation du service. « On a plus ou moins rétabli les choses comme elles étaient, c’est tout. »

Et au final, ce sont les chauffeurs qui encaissent les contrecoups. « La clientèle est frustrée, avec raison, renchérit le représentant syndical. Les conducteurs sont en première ligne, ce sont donc eux qui reçoivent cette colère. Ça devient de plus en plus difficile à soutenir. » D’autant que les nombreux retards décrits sur la ligne 747 n’ont rien d’exceptionnel, estime le président du Syndicat des chauffeurs. « On manque de temps partout, lance Renato Carlone, visiblement découragé. La STM promet des temps de trajet complètement irréalistes. Pour y arriver, il faudrait que les chauffeurs circulent à toute vitesse sur des routes sans entrave. Mais quiconque a déjà roulé à Montréal sait que c’est impossible ! »

Vitrine internationale

Son vol parti, c’est un brin désemparée que Madeleine Allard s’est rendue au comptoir de sa compagnie aérienne. « Ils n’avaient pas l’air surpris quand je leur ai dit que j’avais raté mon vol après être restée prise dans le 747, confie-t-elle. J’ai finalement pu avoir un autre billet pour le lendemain matin, moyennant des frais de 80 $ supplémentaires. Mais cette fois-là, c’est en taxi que je me suis rendue à l’aéroport. »



Tous n’ont toutefois pas cette chance. « Le seul vol que ma compagnie aérienne a pu me trouver vers La Havane — moyennant des frais supplémentaires de 115 $ — décollait 48 heures plus tard », raconte un homme qui a préféré que son identité ne soit pas connue. Coincé entre la congestion et d’imposants travaux routiers, le 747 n’a pas bougé d’un iota pendant près de 40 minutes. Parti de la station Berri-UQAM, ça lui aura finalement pris plus de deux heures pour arriver à l’aéroport. « Je partais 9 jours… Au final, c’est le quart de mes vacances qui s’est envolé sans moi. »

« Et le pire là-dedans, ce n’est pas moi, laisse-t-il tomber, visiblement toujours en colère. J’étais découragé, j’ai utilisé les outils disponibles sur le site Web de la STM pour calculer le temps de voyagement. Il faut croire qu’il ne faut pas s’y fier. Mais imaginez un touriste, quelqu’un qui retourne chez lui, qui a des obligations qui l’attendent. Imaginez le souvenir qu’il garde de notre ville. Le 747, c’est plus qu’un service, c’est une vitrine de notre ville pour le reste du monde. »

 

Porte-bagages encombrés

En plus des retards fréquents, les passagers qui désirent se rendre à l’aéroport en autobus se butent régulièrement à des portes closes en raison d’un manque d’espace pour les bagages. « Je me suis déjà fait refuser l’accès à deux autobus avant de pouvoir monter à bord parce qu’il n’y avait plus d’espaces dans le support prévu pour les valises », raconte Craig Sauvé, conseiller de ville dans l’arrondissement du Sud-Ouest.

De fait, en vertu de l’article 519.8 du Code de la sécurité routière, « les chauffeurs sont tenus de sécuriser les bagages » dans un porte-bagages, précise la porte-parole de la Société de transport, Amélie Régis. Ceux prévus à cet effet dans les autobus de la STM peuvent contenir « entre 16 et 24 valises, selon leurs tailles ». Au-delà de ça, le chauffeur est donc tenu de refuser de nouveaux passagers, et ce, même s’il reste des places assises à bord de son autobus.

Malgré tout, la STM indique qu’elle a tout récemment augmenté le nombre d’autobus équipé de supports à bagages, passant de 16 à 29 véhicules. Impossible toutefois pour le transporteur public de bonifier l’espace réservé aux bagages, les autobus utilisés pour le trajet du 747 servant également sur les autres lignes.


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