Rêver d’un tramway pour l’est de Montréal

À Toronto, par exemple, il se construit maintenant dix fois plus de stations de tramway que de stations de métro.
Photo: iStock À Toronto, par exemple, il se construit maintenant dix fois plus de stations de tramway que de stations de métro.

De Lyon à Minneapolis, en passant par San Francisco et Ottawa, les réseaux de tramway se multiplient aux quatre coins de la planète. Alors que les attentes en matière de transport collectif viennent tout juste d’être gonflées à bloc par la toute récente annonce de réseau électrique métropolitain mise sur la table par la Caisse de dépôt et placement du Québec, Montréal pourrait-elle, à son tour, rêver d’un projet aussi ambitieux ?

Assis dans un café du Quartier latin, Luc Gagnon étale avec précaution ses documents devant lui. Cartes détaillées, montages financiers méticuleux, descriptions imagées, le projet de tramway pour l’est de Montréal sur lequel il travaille depuis de nombreuses années prend tranquillement forme sur la table. « Les besoins en transport en commun sont criants dans cette portion de l’île, le réseau actuel est surchargé, il n’arrive plus à répondre à la demande », explique le président d’Option transport durable, un organisme qui s’attelle depuis 2002 à faire la promotion des meilleures solutions de transport collectif.
 

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Le nombre de stations de tramway que compte le projet développé par Option transport durable.

Source : Option transport durable

L’organisation propose l’implantation de deux lignes de tramway, dont une sur l’axe Pie-IX, du boulevard Saint-Martin à Laval jusqu’au pied du Stade olympique — à la place du service rapide par bus (SRB) envisagé depuis des années par l’Agence métropolitaine de transport (AMT). Le second tracé entamerait son parcours à Anjou, à l’est de l’échangeur de la 25 pour se rendre jusqu’au site du nouveau du Centre hospitalier de l’Université de Montréal, en plein coeur du centre-ville. « Notre réseau permettrait de desservir un secteur de l’île en mal de transport pour un budget moindre que celui qui est actuellement envisagé pour le prolongement de la ligne bleue et de manière plus efficace que le service rapide par bus — le quasi mythique SRB —, précise Luc Gagnon, convaincu. Et, surtout, sans les nuisances afférentes. »

Combattre les préjugés

 

Au cours des dernières années, cet ancien conseiller à Hydro-Québec pour les projets d’électrification des Transports a présenté à maintes reprises son projet de tramway pour desservir l’axe Pie-IX et les quartiers avoisinants. Des alliés, il en a plusieurs, que ce soit à la Ville de Montréal, à l’AMT ou au ministère des Transports… Et si partout, il a trouvé une oreille attentive et un enthousiasme palpable, il s’est également toujours buté à la même réponse.

23 km
L’étendue du réseau proposé par Option transport durable.

Source : Option transport durable

« On nous a répété que le projet était intéressant, mais que la décision se prenait à un autre niveau, laisse tomber Luc Gagnon. L’AMT nous a suggéré d’aller parler à la Ville, les gens de Montréal nous ont conseillé d’approcher le ministère, et ainsi de suite. Au final, tout le monde se renvoie la balle, et rien n’avance. »

Souvent décrit comme trop cher et trop long à mettre en place, le tramway souffre d’une réputation à redorer, surtout quand on parle d’en implanter un dans la métropole québécoise. « Il a une profonde méconnaissance de ce qu’est le tramway au XXIe siècle, soutient le chargé de cours à l’École de technologie supérieure. C’est vrai que ça coûte cher à mettre en place, mais les économies faites en frais d’exploitation sont substantielles, assez pour que le projet puisse s’autofinancer. En règle générale — et contrairement à l’autobus —, le tramway est également générateur de développement économique. Il fait augmenter la valeur foncière et a un effet attractif sur les commerces. Le financement, c’est un coup à donner, c’est vrai. Mais pour une fois, l’argent est là ! »

Même son de cloche chez son collègue, l’analyste en transport Réjean Benoît. « L’idée est toujours de mettre le bon mode au bon endroit, soutient celui qui étudie depuis plus de 15 ans le développement des tramways dans le monde. Ici, on se pose rarement ce genre de question. On oppose les modes plutôt que de les additionner. Le métro est peut-être plus performant en termes de capacité, mais ce secteur n’est pas assez dense pour justifier son implantation. L’autobus, pour sa part, répond mieux aux besoins, mais génère de la pollution. Il existe un mode intermédiaire, c’est le tramway ! »

S’inspirer d’ailleurs

Depuis une trentaine d’années, les grandes villes du monde qui optent pour le tramway plutôt que pour un autre mode de transport se multiplient. Assez pour qu’aujourd’hui, plus de 275 municipalités et agglomérations soient dotées d’un réseau de tram moderne ! Et les villes canadiennes ne font pas figure d’exceptions. Au cours de la dernière décennie, plus de dix projets de tramways, de tram-train ou de train léger sur rail — tous issus de la même famille — se sont mis en branle aux quatre coins du pays.

« Quand on regarde le portrait global, à l’échelle de la planète, le tramway n’a jamais été aussi populaire, lance Réjean Benoît qui a lui-même participé à l’inventaire des réseaux dans le monde. On est loin de cette image vieillotte et désuète. De nos jours, quand les villes ont le choix, elles optent généralement pour ce mode intermédiaire. » À Toronto, par exemple, il se construit maintenant dix fois plus de stations de tramway que de stations de métro.

Dans le même sens, la Ville d’Ottawa jette tranquillement les bases de son projet de train léger sur rail depuis novembre 2008. La Ligne de la Confédération, dont les travaux ont officiellement débuté au printemps 2013 et devraient s’étirer jusqu’en 2018 pour un total de 2,1 milliards, devrait permettre à la capitale canadienne de donner un second souffle à son réseau de transport collectif. Utilisé à sa capacité maximale, ce dernier peine à répondre aux besoins croissants de la ville. Et, surtout, l’ajout de nouveaux autobus ne fait qu’exacerber les tensions.

« C’est la même chose à Montréal, souligne Luc Gagnon. Chaque bus supplémentaire vient ralentir ceux qui sont déjà sur le terrain. Ottawa s’en est rendu compte au bout d’un certain nombre d’années, mais ici nous sommes à l’heure des choix. Ce serait un peu masochiste de ne pas considérer tout de suite l’option du tram, alors qu’on sait qu’il faudra y revenir dans dix ans. Et même si on décidait de mettre des trolleybus — ces fameux bus électriques —, on finirait par avoir les mêmes problèmes de congestion. Or, si la Ville souhaite réellement atteindre ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre, elle devrait commencer à envisager sérieusement des alternatives à l’autobus traditionnel. »

1,6 milliard
L’investissement nécessaire qui est projeté par Option transport durable pour l’implantation de son réseau de tramway. Ce montant comprend une station de métro supplémentaire sur la ligne bleue pour rejoindre l’axe Pie-IX. À titre comparatif, le projet de prolongement de la ligne bleue présentement sur la table nécessiterait un investissement de 3,4 milliards de dollars.

Source : Option transport durable et Agence métropolitaine de transport


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