Le dilemme de la tarification

De la tarification dynamique à l’affichage intelligent, en passant par l’harmonisation du prix des vignettes, plusieurs mesures sont prévues par la Ville dans le but de mieux gérer l’offre sur son territoire, des quartiers centraux jusqu’aux extrémités de l’île.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir De la tarification dynamique à l’affichage intelligent, en passant par l’harmonisation du prix des vignettes, plusieurs mesures sont prévues par la Ville dans le but de mieux gérer l’offre sur son territoire, des quartiers centraux jusqu’aux extrémités de l’île.

Gratuits, de courte durée ou à prix modulable, là est la question. Et quand vient le temps de parler de tarification des espaces de stationnement, il n’est pas rare de voir se soulever les passions. Alors que certains arguent que limiter en imposant une tarification tue la ville à petit feu, d’autres croient plutôt qu’en réduisant l’emprise de la voiture, il est possible de lui donner un nouveau souffle.

Le premier parcomètre a été implanté en 1935, à Oklahoma City aux États-Unis, à la demande des commerçants qui souhaitaient permettre à leurs clients de trouver rapidement une place de stationnement en bordure de leur magasin. Plus de 80 ans plus tard, les parcomètres se sont multipliés et les modèles tarifaires se sont diversifiés. Mais l’objectif demeure le même : réguler l’utilisation de ces espaces convoités.

Mesures prévues

Tarification dynamique selon la demande

Harmonisation des vignettes

Création d’un organisme municipal de gestion du stationnement

Signalisation simplifiée

Affichages dynamiques

Applications mobiles

Élaboration d’un programme de verdissement pour les stationnements privés


Aujourd’hui, de San Francisco à Berlin, en passant par Paris, de plus en plus de villes se dotent de politiques de stationnement audacieuses pour freiner la croissance soutenue du parc automobile et les problèmes de congestion et de pollution qui en découlent. Leurs points communs ? Une meilleure gestion des espaces destinés aux voitures stationnées sur leur territoire et un modèle tarifaire innovant, bien souvent en phase avec l’offre et la demande. « C’est le plus puissant levier qui soit, lance sans ambages Jean-François Lefebvre, économiste et chercheur associé au Groupe de recherche appliquée en macroécologie (GRAME). Augmentez le prix des places de stationnement au centre-ville, par exemple, et vous verrez le nombre de voitures qui s’y rendent diminuer considérablement. C’est quantifiable, on le constate sur le terrain. »

Modèle montréalais

 

Rendue publique par l’administration Coderre à la mi-décembre 2015, la première version de la très attendue politique de stationnement montréalaise fait l’objet ces jours-ci, d’une série de consultations publiques par la commission des transports de la Ville de Montréal. Au programme : la présentation de plus d’une quarantaine de mémoires portés par des groupes issus des milieux de l’environnement, du design, de la fiscalité et de l’urbanisme, entre autres choses. Sur ce nombre, ils sont plusieurs à croire que l’administration Coderre a déjà fait un saut vers l’avant avec cette première version. Ils espèrent toutefois que la Ville se donnera les moyens de mettre son plan en oeuvre. « La vision stratégique de la Ville est intéressante, reconnaît Félix Gravel, responsable des campagnes transport pour le Conseil régional de l’environnement de Montréal. La métropole cherche clairement à trouver un équilibre entre la place de voiture en milieu urbain et les autres usagers. »

De fait, la politique fait mention du désir de la Ville de « réduire la dépendance à l’auto », tout en « favorisant les modes de transport collectif et actif ». De la tarification dynamique à l’affichage intelligent, en passant par le développement d’application mobile pour faciliter la recherche d’espaces de stationnement et par l’harmonisation du prix des vignettes, plusieurs mesures sont d’ailleurs prévues par l’administration Coderre dans le but de mieux gérer l’offre sur son territoire, des quartiers centraux jusqu’aux extrémités de l’île. « Après, il aurait sans doute été possible d’être plus précis, note toutefois l’urbaniste de formation. À Boston, ils ont décidé de geler la construction de ces espaces. À San Francisco, ils ont choisi de carrément réduire le nombre de places au centre-ville. Des exemples comme ça, il y en a plein ! »

Pour l’Association des designers urbains du Québec (ADUQ), la politique mise en avant par la métropole s’inscrit dans une série d’actions de la Ville. « Montréal semble avoir une vision plus large, qui comprend le stationnement, mais pas juste ça, indique Pauline Butiaux, l’une des fondatrices de l’organisme. On a qu’à penser au programme de piétonnisation et aux projets pilotes qui ont vu le jour au cours des dernières années. C’est très encourageant. »

L’ADUQ espère aussi que Montréal intégrera à sa politique et à son plan d’urbanisme un guide de « placotoires », ces installations colorées de plus en plus populaires qu’on voit pousser un peu partout en ville dès le retour de la belle saison. « Réfléchir aux stationnements, c’est réfléchir à l’usage qu’on fait de la rue comme lieu de vie. C’est espérer qu’elle deviendra plus qu’un espace monofonctionnel, c’est se demander comment on peut, collectivement, la réenchanter. »

Beaucoup d’inconnues

Aux termes des consultations publiques, la commission des transports remettra un rapport au comité exécutif une série de recommandations qui permettra à ce dernier de faire, au besoin, certains changements à sa politique. « Il ne faut pas perdre de vue que la version actuelle est préliminaire, rappelle Aref Salem, responsable du transport au comité exécutif de la Ville de Montréal. Nous sommes ouverts aux propositions — la commission sert justement à ça — et nous sommes prêts à faire des ajustements, si nous le jugeons nécessaire. »

Une fois la politique adoptée par le comité exécutif, son application retombera, en partie, sur la table du futur organisme municipal de gestion du stationnement. Il est toutefois encore trop tôt pour savoir quelle forme ce dernier prendra. « Le gros problème est là, laisse entendre Félix Gravel, avec un léger soupir. Avec tout ce qui se passe en transport en ce moment — la commission parlementaire avec Uber, les enjeux de gouvernance, la refonte du Code de la sécurité routière —, ces changements pourraient prendre un temps fou à voir le jour. Mais, en attendant, qu’est-ce qu’on fait ? Le stationnement est dans un entre-deux complet. Nous avons déjà une bonne idée de quoi aura l’air la politique finale, mais sa mise en oeuvre se fera sur combien de temps, ça reste à voir. »

Aller plus loin

 

« La politique actuelle est profitable, mais il est possible d’aller encore plus loin », précise Jean-François Lefebvre, du GRAME. Selon l’économiste, la Ville aurait tout intérêt — tant sur le plan financier qu’environnemental — à s’attaquer aux espaces de stationnement qui ne relèvent pas directement de sa compétence. « Ces espaces ont une valeur sous-estimée, insiste le chercheur. Ce sont des revenus supplémentaires que la Ville pourrait aller récupérer en instaurant une taxe ou en obligeant les gens qui disposent d’une place de stationnement gratuit à leur travail à le déclarer comme un revenu dans leurs impôts. Ce sont des avenues qui ont été testées ailleurs et qui ont fait leurs preuves. »

Interrogé sur la question, Aref Salem, indique que des démarches sont en cours pour, à terme, partager certains de ces espaces privés. « Les stationnements sur rue ne représentent qu’une infime partie du problème, renchérit Jean-François Lefebvre. La politique de stationnement actuelle est bonne, il faut l’adopter. Mais si Montréal veut reprendre le contrôle de son territoire et réellement réduire sa production de gaz à effet de serre, elle a le devoir d’aller plus loin. Après, comme le disait [l’écologue] Pierre Dansereau, la seule limite est celle de notre imagination. »



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