Japon - Construire une ville intelligente

Le Japon est en train de repenser ses villes pour faire face à d’éventuelles catastrophes naturelles. Le tremblement de terre et le tsunami de mars 2011 lui ont fait prendre conscience de sa fragilité et surtout des risques liés à l’utilisation du nucléaire. L’archipel s’est lancé dans une quête de solutions innovantes pour réduire sa dépendance énergétique. Voici le dernier d’une série de trois textes.
Elle pourrait presque passer inaperçue à côté des grandes tours résidentielles construites en plein coeur de Yokohama, en banlieue de Tokyo. Cette petite maison de bois, fabriquée par la compagnie Sekisui, est plus petite qu’un bungalow québécois et n’a vraiment rien d’impressionnant à première vue. Elle est pourtant le symbole du nouveau développement immobilier au Japon.
Il suffit d’en franchir le seuil pour constater que cette maison est un véritable laboratoire technologique. Sur l’écran plasma accroché au mur du salon, toutes les données concernant la consommation d’énergie de chaque appareil ménager sont indiquées grâce à un système HEMS (Home Energy Management System). En un coup d’oeil, vous pouvez connaître, avec ce système, la consommation d’énergie du lave-vaisselle, la quantité d’eau utilisée depuis la matinée ou la température ambiante.
Système central de données
Ce système central de données se gère simplement à partir d’une tablette ou d’un téléphone intelligent. « Si vous êtes au bureau et que vous réalisez que vous avez oublié de fermer les lumières, vous pouvez maintenant les éteindre à distance », lance Minami Yusuke, le responsable de la maison Sekisui, alors que son index effleure sa tablette pour nous plonger dans le noir. Le principe est le même pour activer l’alarme, diminuer le chauffage ou arrêter le système d’air climatisé.
« Comme la population est vieillissante au Japon, il sera aussi possible de connecter votre système à celui d’un proche parent », tient à ajouter M. Yusuke en expliquant qu’un Japonais pourra savoir si son vieux père a éteint les éléments chauffants de la cuisinière ou si l’appartement de sa mère est assez chauffé pendant l’hiver. Il pourra même leur envoyer un message texte en cas d’oubli.
Un peu plus loin dans la cuisine, un comptoir avec un système électronique intégré a aussi été installé. À l’avenir, les familles japonaises n’auront plus à se casser la tête à l’heure du souper. Il suffira de déposer un paquet de nouilles sur l’écran tactile et une liste de recettes sera proposée. En déposant une bouteille de vin, une suggestion de plats apparaîtra pour l’accompagner. « Ce système fonctionne avec une étiquette à puce collée sur les produits, mais l’étiquette coûte 80 yens [environ 1 $]. C’est encore beaucoup trop cher pour commercialiser ce système », explique M. Yusuke en déposant une pomme étiquetée sur l’écran pour obtenir instantanément ses informations nutritives.
L’innovation se poursuit jusqu’au garage où un véhicule électrique est stationné. « C’est la voiture qui alimente la maison en électricité en ce moment », lance M. Yusuke. En fait, l’électricité excédentaire produite par des panneaux solaires intégrés au toit est emmagasinée dans une batterie. Pendant la nuit, la voiture électrique, la Nissan Leaf, se charge sur cette batterie et, pendant le jour, la batterie de la voiture peut servir de génératrice. S’il y avait un arrêt de production d’électricité comme ce fut le cas à la centrale nucléaire de Fukushima en 2011, la batterie de la voiture pourrait fournir de l’électricité pendant deux jours.
« Cet événement nous a fait prendre conscience de notre dépendance énergétique et de l’urgence de trouver des solutions en cas d’une autre catastrophe », affirme Naoshi Nagura, le directeur de projet sur les changements climatiques à la ville de Yokohama. « C’est ce qui a incité le gouvernement japonais à aller de l’avant avec les projets de création de villes intelligentes », ajoute-t-il.
Consommation à l’oeil
À vrai dire, ce concept de ville intelligente vise surtout à créer un réseau central de données sur la consommation électrique et énergétique de toutes les infrastructures d’une ville. L’offre et la demande pourront ainsi être mieux gérées. Pour y arriver, la compagnie Toshiba a développé un système central de données appelé le CEMS. Ce système recueillera toutes les données des maisons, des édifices publics et des commerces qui devront, eux, être dotés d’un système HEMS comme celui de la maison Sekisui.
Jusqu’à maintenant, 14 édifices sont branchés au système CEMS à Yokohama, ce qui est bien peu. Cette ville de 3,7 millions d’habitants ressemble à Montréal avec son vieux port, son centre urbain et ses quartiers résidentiels et industriels. « Nous ne sommes qu’au tout début du projet, mais la volonté est là. En transformant Yokohama en ville intelligente, cela nous aidera à atteindre notre objectif de réduire de 25 % les émissions de CO2 d’ici 2020 et de 80 % en 2050 », note M. Nagura.
D’ici avril prochain, la ville prévoit donc doter 2000 maisons d’un système HEMS qui coûte environ 1600 $. Au cours des cinq prochaines années, 150 millions de dollars sont prévus pour mener à terme le projet, dont les deux tiers des coûts sont couverts par le gouvernement central et la municipalité. Le reste est assumé par le privé.
Un exemple : JX Nippon
À quelques kilomètres du centre-ville de Yokohama, JX Nippon finance d’ailleurs l’un des projets de la ville. La pétrolière est en train de convertir un vieil édifice de 16 appartements en immeuble intelligent. « Au Japon, nous avons plutôt l’habitude de démolir et de reconstruire plutôt que de rénover, souligne Kei Morita, le responsable du projet de JX Nippon. En rénovant cet immeuble, nous en avons profité pour installer dans chacun des appartements un système HEMS qui est relié à un système central dans l’immeuble, et c’est ce système qui est lié au CEMS de la ville. »
Les familles vivant dans l’immeuble de JX Nippon ont ainsi accès aux données concernant leur consommation d’électricité et de chauffage, mais aussi à celles de leurs voisins et de la ville. Inversement, le gestionnaire du système CEMS de la ville sait combien l’immeuble de JX Nippon consomme d’énergie dans son ensemble et combien chacune des familles consomme. Et s’il y a exagération, le CEMS enverra tout simplement une alerte, par message texte, pour leur dire de mettre la pédale douce.
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Collaboration spéciale