Point chaud - Le vélo, une affaire d’hommes?


	Le chercheur américain John Pucher en promenade à bicyclette dans les rues de Québec.
Photo: Renaud Philippe - Le Devoir
Le chercheur américain John Pucher en promenade à bicyclette dans les rues de Québec.

Pour savoir si une ville offre des infrastructures de qualité aux cyclistes, il faut s’attarder au pourcentage de femmes qui s’en servent, plaide John Pucher, un chercheur américain spécialisé dans les politiques de vélo.

« Les femmes sont une sorte d’indicateur du succès des politiques cyclistes », avance le professeur de planification urbaine de l’Université de Rutgers au New Jersey. « Les pays qui ont un ratio égal de femmes et d’hommes cyclistes sont ceux où la pratique est la plus répandue. »


M. Pucher et son collègue Ralph Buehler sont les auteurs de City Cycling, un nouvel ouvrage collectif faisant le point sur les politiques cyclables dans le monde. Le livre doit paraître cet automne. Le chercheur était de passage à Québec la semaine dernière pour prononcer une conférence chez Accès transports viables, un organisme provélo.


Il prétend que le chapitre le plus intéressant de son livre est celui qui parle des réticences des femmes vis-à-vis du vélo.


Les femmes comptent pour plus de la moitié des cyclistes dans les pays où la part du vélo est très répandue. C’est le cas des Pays-Bas et du Danemark, où 56 % et 55 % des cyclistes sont des femmes.


À l’inverse, dans les villes sans pistes sécuritaires, les cyclistes qu’on voit sur les routes sont presque tous de jeunes hommes, note ce partisan du vélo. « Dans l’ensemble du Canada, 23 % des cyclistes sont des femmes, un rapport d’environ trois pour un. Et c’est la même chose aux États-Unis. »


Au Québec, en 2010, 60 % des hommes faisaient du vélo contre 47 % des femmes, selon Vélo-Québec. Et dans les grandes villes, les deux tiers, voire les trois quarts des déplacements à vélo, sont effectués par ces messieurs.


Les réticences des femmes découlent du manque de sécurité, souligne M. Pucher. Et lorsqu’on leur demande ce qui les convaincrait d’utiliser leur deux-roues, la réponse est claire : des pistes cyclables clairement séparées des voies où circulent les voitures. « Les pistes cyclables donnent un sentiment de sécurité », signale l’auteur. « Ce n’est pas juste un enjeu de sécurité en tant que tel, c’est une question de perception. »


Les auteures du chapitre sur cet enjeu, Jan Garrard, Susan Handy et Jennifer Dill, ont suivi à la trace les déplacements d’un groupe témoin de femmes et d’un groupe d’hommes. « Elles ont constaté ceci : les hommes sont fous de la vitesse. Ils vont prendre le chemin le plus direct entre A et B même si ça les force à prendre des rues où il y a plus de circulation », résume Pucher. « Les femmes, en revanche, vont faire un détour pour emprunter des rues plus tranquilles où il y a des pistes cyclables. »


Pour le chercheur, ces différences sont intéressantes parce qu’elles posent la question de l’équité. Malheureusement, dit-il, le vélo n’est pas encore accessible à tous. « Le vélo, ça devrait être pour tout le monde : les femmes autant que les hommes, les enfants, les personnes âgées, les gens avec des handicaps (autant que possible). Pas juste pour les jeunes hommes. »


En somme, si on convainc les femmes, on convaincra tout le monde, dit-il. « Les femmes sont davantage préoccupées par la sécurité, le manque de confort. Elles sont réticentes à pédaler dans le trafic parmi les bus et les voitures. Or, il s’avère que la majorité des gens n’aiment pas ce genre de risques non plus. »

 

Une question de santé


Étant donné les bénéfices du vélo sur la santé, Pucher aimerait en outre voir davantage de 70 ans et plus à vélo. « Aux Pays-Bas, 26 % de tous les déplacements des 70 ans et plus se font à vélo. C’est énorme ! Aux États-Unis, c’est le quart de 1 % ! »


City Cycling sort alors qu’un nombre grandissant de villes nord-américaines mise sur le vélo-partage et les pistes cyclables. Le jour de notre entretien, le magazine The Economist avait d’ailleurs demandé à M. Pucher de lui accorder une entrevue sur cet engouement nouveau.


Or, les villes qui investissent dans les infrastructures cyclistes, comme Montréal et New York, sont confrontées à de nouvelles tensions entre cyclistes, piétons et automobilistes. À New York, le Time Magazine parlait en juillet de véritables « guerres du vélo ».


Interrogé sur cet apparent déséquilibre, Pucher répond qu’il n’y aura jamais trop de vélos et, qu’à New York, le problème découle de l’hostilité des policiers envers les cyclistes.


Il concède qu’encore trop de cyclistes ne respectent pas le Code de la route et brûlent des feux rouges. Lui-même admet qu’il n’attend pas toujours le feu vert pour pédaler lorsqu’il n’y a pas de voitures au feu rouge…


Comme beaucoup de partisans du vélo, il plaide qu’il faut une certaine masse critique de vélos pour que les automobilistes s’habituent à en tenir compte. On gagnerait peut-être aussi à imiter les Pays-Bas, qui ont intégré au cursus scolaire un cours sur la pratique du vélo sécuritaire, dit-il. Et pourquoi ne pas intégrer des questions sur le vélo aux examens de conduite automobile, comme le font les Allemands ?


Car il y a beaucoup à faire. « Je serais très content si, au Canada et aux États-Unis, on pouvait atteindre 5 à 10 % de part modale [la part de l’ensemble des déplacements effectués à vélo]. » Actuellement, au Canada, entre 1 et 2 % de tous les déplacements se font à vélo.

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