Réinventer la ville… - Porte-étendard malgré eux de l’agriculture urbaine

Le potager drummondvillois de Michel Beauchamp et Josée Landry a fait le tour de monde.
Photo: Annik MH de Carufel - Le Devoir Le potager drummondvillois de Michel Beauchamp et Josée Landry a fait le tour de monde.

Quand, au printemps, Michel Beauchamp et sa conjointe Josée Landry ont décidé d’arracher tout le gazon devant leur maison de banlieue pour le remplacer par un luxuriant potager, ils étaient loin de se douter qu’en plus des panais, tomates et bettes à carde, ils récolteraient une bonne dose d’engagement social et deviendraient, un peu malgré eux, les porte-étendard de l’agriculture urbaine.

Hier, la Ville de Drummondville a fait parvenir aux deux jardiniers une lettre pour exiger que 30 % de la cour avant soit «engazonnée» d’ici cinq jours sous peine d’amendes quotidiennes de 100 à 300 $. Et sous peu, un règlement reléguera définitivement les potagers à l’arrière des maisons.

Le potager drummondvillois a fait le tour de monde. Sur Facebook, le combat du couple contre la Ville, qui dure depuis plusieurs semaines, s’est répandu comme une traînée de poudre. Les appuis venus d’Australie, de Pologne ou des États-Unis arrivent chaque jour. D’ailleurs, l’activiste américain Roger Doiron a décidé d’agir. Le fondateur de Kitchen Gardeners International, qui a convaincu Michelle et Barack Obama de créer un potager à la Maison-Blanche, lancera sous peu une pétition internationale pour faire plier Drummondville.


« Cet exemple montre que les villes n’ont pas eu la flexibilité nécessaire pour s’adapter à ce type de projet », selon Patrice Godin, du Centre d’écologie urbaine de Montréal. Il prédit qu’ils se multiplieront. « On a qu’à voir Ricardo à Radio-Canada, qui nous incite à passer à l’action. Ça va prendre une souplesse et une capacité d’adaptation des villes. » Selon lui, Drummondville a sapé une belle occasion d’entretenir gratuitement une image de ville « progressive » grâce à la popularité du projet sur Facebook et les blogues.


Pour le professeur associé à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM Éric Duchemin, la question de l’aménagement des devants de maison est « cruciale » pour le développement de l’agriculture urbaine. « Les règlements, il faut les revoir, mais de manière cohérente, sans tout permettre n’importe comment », explique-t-il. « C’est souvent en avant que l’ensoleillement se trouve, et c’est faux que les gens sont victimes de vol ou de vandalisme », ajoute celui qui avoue avoir planté un modeste potager devant sa demeure de Pointe-Saint-Charles. Il en appelle au développement d’une nouvelle forme « d’esthétisme comestible » qui remplacerait celle du « tout au gazon ».


« Le conflit force les villes à confronter les anciennes règles », explique Alexandre Aylett, expert en politiques environnementales municipales. Plus qu’un simple changement esthétique, il voit en ces potagers urbains « la direction qui va nous mener vers la résilience aux changements climatiques : des villes qui ne sont pas juste des lieux de consommation, mais de production. »


Pour la Ville, il s’agit d’une question « d’uniformité de la trame urbaine », explique le directeur général de Drummondville, Claude Proulx : « Quelqu’un pourrait mettre du blé d’Inde, l’autre des patates », selon lui. Il ajoute que le potager a soulevé une certaine « problématique » dans le voisinage. Il a refusé de dire au Devoir combien de plaintes avaient été déposées.

 

Des visions contradictoires


Au nom de tous les jardiniers, Michel et Josée comptent contester la future réglementation. « On fait juste cultiver des légumes ! » soupire Josée. « Je veux faire en sorte que tout le monde à la grandeur du Québec ait les mêmes droits, je vais en faire mon cheval de bataille ! » promet Michel.


Cependant, son jardin ayant été créé avant l’adoption de la réglementation, la Ville reconnaît que le couple jouit d’un droit acquis. Leur maison se trouve dans le secteur Saint-Charles-de-Drummond, où les aménagements potagers en façade sont permis pour l’instant.


La réglementation actuelle est sujette à interprétation. Si la règle du « 30 % d’espaces verts » s’y trouve bel et bien, ces derniers doivent se trouver de manière « préférentielle », et non pas obligatoire, dans la cour avant et latérale. Pour cette raison, Michel Beauchamp est convaincu de la conformité de son potager, qui occupe effectivement près de 100 % de la cour avant.


Michel et Josée ne voient que des points positifs à leur nouvelle passion. En quelques mois, il a perdu 75 livres, elle, 25. Les voisins se servent avec leur bénédiction. Les enfants du quartier viennent traîner entre les rangées de poivrons et de haricots. Auparavant au chômage, Michel Beauchamp commence même aujourd’hui un nouvel emploi… à la pépinière du coin.


Pendant la visite du Devoir, trois inconnus, curieux, sont débarqués. Michel leur a servi un cours d’écologie 101 et un énorme zucchini. « C’est un jardin magique ! » s’exclame-t-il devant des légumes qui ont plusieurs semaines d’avance, l’ensoleillement avant étant exceptionnel.


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Le potager de Michel Beauchamp et Josée Landry





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