Cent ans passés à défendre les scientifiques

Yves Gingras prévient que « les scientifiques se doivent de rester vigilants, car ni le Canada ni le Québec ne sont à l’abri de l’émergence de courants sociaux antiscientifiques ».
Photo: Yves Gingras prévient que « les scientifiques se doivent de rester vigilants, car ni le Canada ni le Québec ne sont à l’abri de l’émergence de courants sociaux antiscientifiques ».

Depuis un siècle, l’Acfas se fait le porte-parole des scientifiques du Québec, défend leurs intérêts et fait rayonner leur contribution à la société. Cent ans après sa création, l’organisation n’a pas perdu sa raison d’être, bien au contraire. Son rôle est plus « indispensable » que jamais, étant donné que la communauté scientifique francophone du Québec a proliféré, s’est diversifiée et que ses besoins se sont grandement accrus. Retour sur le chemin parcouru avec l’historien et sociologue des sciences Yves Gingras, qui signe une biographie indépendante de la centenaire association.

L’Acfas (Association canadienne-française pour l’avancement des sciences) est « une organisation unique au pays », souligne-t-il d’emblée. Elle s’inspire du modèle de la British Association for the Advancement of Science, qui a été fondée en 1831, suivie par l’American Association for the Advancement of Science (AAAS), créée en 1848, et enfin par l’Association française pour l’avancement des sciences (AFAS), en 1872, une association aujourd’hui dissoute.

« Il n’y a jamais eu d’association canadienne pour l’avancement des sciences. Le ROC [Rest of Canada] s’est plutôt associé à l’American Association for the Advancement of Science et participe au congrès de l’AAAS. À cet égard, l’Acfas démontre la spécificité du Québec en matière de culture », fait remarquer celui qui est directeur scientifique de l’Observatoire des sciences et des technologies.

Soit dit en passant, l’Acfas a envisagé à plusieurs reprises de revoir son appellation afin de mieux refléter son identité québécoise. Mais par souci de ne pas abandonner les francophones vivant hors du Québec, elle a toujours écarté la désignation de « québécoise », dit-il. L’expression « canadienne-française » étant devenue trop désuète, on opte en 2001 pour Association francophone pour le savoir, tout en conservant l’acronyme de l’Acfas, qui perdure jusqu’à aujourd’hui. En 2016, on abandonne finalement cette dernière dénomination et on recentre l’appellation sur l’Acfas, qui est désormais accompagné du sous-titre « faire avancer les savoirs ».

Des intellectuels visionnaires

Dans sa biographie indépendante intitulée Pour l’avancement des sciences. Histoire de l’Acfas (1923-2023) publiée chez Boréal, M. Gingras rappelle que la création de l’Acfas, qui a lieu au milieu « des discours cléricaux et conservateurs », est le fruit d’intellectuels visionnaires. Ces derniers étaient « au diapason de la science internationale », conscients de l’importance de regrouper les sociétés savantes de l’époque pour mieux favoriser le développement de la recherche scientifique au Québec.

C’est donc un petit groupe de professeurs de l’Université de Montréal, formé entre autres du frère Marie-Victorin, du radiologue Léo Pariseau et du biologiste Louis-Janvier Dalbis, qui jette les bases de cette association se donnant pour mission de « promouvoir la culture scientifique par la vulgarisation et l’enseignement des sciences dans les écoles secondaires, de stimuler la recherche scientifique dans les universités et de développer l’identité sociale des scientifiques francophones ».

Se joindra bientôt à ce noyau dur l’ethnologue et botaniste Jacques Rousseau, disciple de Marie-Victorin. Il sera l’instigateur du congrès annuel de l’Acfas, dont la première édition, en 1933, se tient à l’Université de Montréal. Détail intéressant, à l’époque, celle-ci est située rue Saint-Denis, à l’emplacement de l’actuelle Université du Québec à Montréal (UQAM). C’est d’ailleurs pour rappeler cette toute première édition que le 90e Congrès de l’Acfas, en cette année du centième anniversaire de l’institution, se tient sur les campus de l’Université de Montréal, de HEC Montréal et de Polytechnique Mont­réal, souligne M. Gingras.

Réunir la francophonie en science

Étant donné la disparition de l’AFAS, le congrès annuel organisé par l’Acfas est devenu le plus grand rassemblement scientifique multidisciplinaire de la francophonie. Cette 90e édition, qui se déroule cette semaine, soit du 8 au 12 mai, rassemblera 9000 congressistes et présentera plus de 300 colloques portant sur tous les champs de la recherche contemporaine.

L’Acfas est également à l’origine de la revue de vulgarisation scientifique Québec Science, dont l’ancêtre était Le Jeune scientifique, éditée par l’Acfas à partir de 1962. Cette dernière revue, qui remplissait l’une des missions de démocratisation de l’Acfas, en vient toutefois à grever le budget de l’association, qui la vend en 1969 à la naissante Université du Québec, laquelle la renomme Québec Science. Le magazine appartient aujourd’hui à Vélo Québec Éditions.

L’Acfas a toujours conservé un rôle incontournable pour promouvoir la science et les carrières scientifiques au Québec, car elle a poursuivi cette mission en lançant de nouvelles activités, de nouveaux événements et concours qui sont plus en phase avec le monde d’aujourd’hui, relève M. Gingras. « Par exemple, Ma thèse en 180 secondes est un concours créé et dirigé par l’Acfas en 2012, et qui est devenu international. »

L’Acfas a sa raison d’être « plus que jamais, car elle rappelle de façon récurrente, chaque année, par des mémoires, des colloques, des conférences », les principes d’une bonne politique scientifique. Elle réitère au gouvernement qu’il est nécessaire d’investir dans la recherche, notamment fondamentale, et dans la relève, affirme M. Gingras.

En militant pour le développement de la recherche universitaire qui se fait au Québec, l’Acfas a également contribué indirectement à la création des programmes de subventions qu’on appelle aujourd’hui les Fonds de recherche du Québec, note-t-il.

Yves Gingras prévient que « les scientifiques se doivent de rester vigilants, car ni le Canada ni le Québec ne sont à l’abri de l’émergence de courants sociaux antiscientifiques. L’avenir de la recherche et son autonomie relative par rapport aux demandes immédiates de l’État ne peuvent donc être assurés sans l’existence d’un organisme représentatif capable de rappeler aux élus et à la population l’importance de la science, du point de vue tant social ou culturel qu’économique ».

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