La désinformation, fléau de société

La désinformation est devenue un véritable fléau dans nos sociétés branchées carburant aux médias sociaux. Elle aurait d’ailleurs contribué à la mort de milliers de Canadiens durant la pandémie. Et ce phénomène toxique, qui a pris une ampleur sans précédent ces dernières années, est loin de s’essouffler, disent les experts qui cherchent à le contrecarrer.
Plusieurs chercheurs ont discuté de cette problématique à la Grande Bibliothèque jeudi, dans le cadre du symposium Combattre la désinformation en 2023, organisé par le collectif LaSciencedAbord.
Grâce à Internet, nous croulons sous une masse d’informations comme à aucune autre époque. Or, un nombre de plus en plus important d’entre elles sont erronées ou trompeuses ; elles viennent berner les citoyens et parfois même menacer leur santé et leur vie.
« La désinformation tue des gens. Cette affirmation semble exagérée, mais elle ne l’est pas. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration a remarqué que la propagation de la désinformation contribuait à l’érosion de l’espérance de vie dans le pays. Et selon un rapport récemment publié par le comité d’experts du Conseil des académies canadiennes, la désinformation visant la COVID-19 aurait entraîné la mort de 2800 Canadiens durant la pandémie. C’est un problème extrêmement important auquel il faut s’attaquer », lance en entrevue le professeur Timothy Caulfield, titulaire d’une chaire de recherche du Canada en droit et en politique de la santé à l’Université de l’Alberta, qui était l’un des intervenants au symposium.
La désinformation a sans conteste eu une incidence sur le taux de vaccination en raison de la propagation d’informations clairement fausses, comme « le vaccin tue les gens », « les vaccins induisent l’autisme », « les vaccins à ARNm vont modifier votre ADN », donne-t-il en exemple. Elle contribue aussi à l’utilisation de thérapies non éprouvées pour une foule de maladies, comme la COVID-19 et le cancer, se désole le professeur.
Une position idéologique
M. Caulfield a notamment observé que la désinformation était de plus en plus assimilée à des positions idéologiques. « Au début de la COVID, les Canadiens étaient plus unis, ils célébraient les professionnels de la santé publique, qu’on considérait comme des héros. Puis, peu à peu, les positions idéologiques sont devenues prépondérantes », note-t-il.
Marie-Ève Carignan, professeure au Département de communication de l’Université de Sherbrooke et cotitulaire de la chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent, fait remarquer pour sa part que le président américain Donald Trump a miné la confiance du public envers les médias traditionnels en les accusant de véhiculer des fake news (fausses nouvelles), « qui sont une forme de désinformation imitant le format journalistique, mais qui sont produites par des individus ayant souvent des intérêts cachés d’ordre politique, économique ou autre ».
Au Québec, la désinformation est beaucoup relayée sur les réseaux sociaux par des influenceurs qui ont « une idéologie préalable, qui peut être politique ou parfois rattachée à une parascience », dit-elle.
« Certains ont des visées financières ou des intérêts dans des domaines comme la médecine “alternative” ou naturelle. » Plusieurs « disent vouloir combattre une dictature gouvernementale ou des mensonges qui sont véhiculés dans notre société ». Ils ont « généralement un intérêt caché » et ils adoptent « un discours parfois conspirationniste », précise la chercheuse.
« Certains leaders conspirationnistes se présentent comme journalistes alors qu’ils ne le sont pas, dans les faits, car ils n’adhèrent à aucune déontologie journalistique », souligne-t-elle. « Ils prétendent être journalistes et avoir un site d’information fiable respectant les normes professionnelles du journalisme, alors que dans les faits, ce sont des sites qui cherchent à confirmer leurs propres biais idéologiques », indique Mme Carignan tout en précisant que le Québec regorge de « médias “alternatifs”, ou pseudomédias », « au discours qu’on peut qualifier parfois de très complotiste et qui ont une grande influence ».
Des chambres d’écho
Au Québec, nous sommes beaucoup influencés par la désinformation francophone, qui provient également de la France et de la Belgique, et qui est elle-même influencée par ce qui se fait aux États-Unis, signale d’ailleurs Mme Carignan.
La firme NewsGuard a publié en décembre dernier une liste des sites francophones de désinformation les plus influents en 2022. Epochtimes.fr, la version française d’Epoch Times, un réseau de médias de droite opposé au gouvernement communiste chinois, arrive en tête. Il est suivi par Francesoir.fr, le site d’un ancien grand quotidien français, qui s’est vu retirer le statut de site « d’information politique et générale » après avoir publié de fausses informations sur la COVID-19, les vaccins et la guerre en Ukraine.
« Le problème est que ces sites se donnent beaucoup de visibilité entre eux. Souvent, des leaders d’ici sont invités sur les réseaux français et vice versa, et cela contribue à les faire rayonner », souligne la chercheuse.
Les algorithmes des médias sociaux contribuent aussi grandement à la propagation des informations fausses, trompeuses ou sans fondement qui forment la désinformation, notent les experts. Ces algorithmes recherchent et recommandent des contenus accrocheurs qui concordent avec les intérêts des usagers et ce qu’ils consultent habituellement.
Les algorithmes agissent ainsi comme « des chambres d’écho », « où les gens sont toujours placés devant des informations qui viennent donner écho à leurs croyances et les renforcer », explique Mme Carignan.
M. Caulfield a d’ailleurs remarqué que ce phénomène faisait en sorte qu’une personne qui croit à une théorie conspirationniste — que la guerre en Ukraine serait une mise en scène, par exemple — croira aussi souvent à d’autres, comme celles liées à QAnon. « Et quand ces idéologies font partie de la vision du monde de la personne, elles font aussi partie de la façon dont elle se définit. Il devient alors plus difficile de changer la façon de penser de cette personne. On a observé ce phénomène d’abord aux États-Unis et, maintenant, on le voit de plus en plus au Canada », affirme le chercheur.
Alessandro Marcon, associé de recherche au Health Law Institute de l’Université de l’Alberta, a découvert quant à lui l’existence de comptes Twitter qui n’appartiennent pas à des personnes réelles, mais à des robots informatiques — des logiciels programmés pour exécuter automatiquement des tâches sans l’intervention d’un être humain. Lui et ses collègues ont constaté que la plupart de ces comptes faisaient la promotion de l’hydroxychloroquine lors de la pandémie, alors que des études scientifiques avaient démontré l’inefficacité de ce médicament contre la COVID-19.
« Il y avait beaucoup de ces comptes qui avaient été créés pour faire la promotion [de ce médicament], et de théories complotistes dans des gazouillis très émotifs. Par contre, il n’y en avait que très peu, voire aucun, qui étaient critiques à son égard », explique-t-il.
Comment agir ?
Ces différents experts proposent diverses pistes pour combattre la désinformation. Le professeur Caulfield croit notamment qu’il faudra intervenir sur le plan des médias sociaux, « qui ont une grande part de responsabilité » dans la situation actuelle, et qu’il faudra aussi se doter d’« outils réglementaires ».
La professeure Carignan insiste quant à elle sur l’importance de vulgariser davantage — et mieux — la science. Il faut notamment miser sur l’éducation, expliquer le fonctionnement du processus scientifique, expliquer la démarche journalistique pour que le public fasse la différence entre un texte produit par un journaliste et celui produit par un influenceur, expliquer comment fonctionnent les médias sociaux et leurs algorithmes, expliquer ce qu’est une dictature ou un système autoritaire, fait-elle valoir.
« Et il ne faut pas aller seulement vers les jeunes, car les données nous montrent que ceux qui sont les plus touchés par la désinformation et le conspirationnisme sont les personnes âgées de 18 à 55 ans », précise la chercheuse.