Perdre du poids pour ne pas perdre la mémoire

L’obésité est un facteur de risque de développer la maladie d’Alzheimer, selon une étude publiée le Journal of Alzheimer’s Disease.
Photo: Paul Ellis Agence France-Presse L’obésité est un facteur de risque de développer la maladie d’Alzheimer, selon une étude publiée le Journal of Alzheimer’s Disease.

L’obésité induit un amincissement du cortex cérébral, et la distribution de cette neurodégénérescence est très semblable à celle observée chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, révèle une étude publiée le 31 janvier 2023 dans le Journal of Alzheimer’s Disease. Compte tenu de ces résultats, les chercheurs concluent que l’obésité est manifestement un facteur de risque de développer la maladie d’Alzheimer et que des interventions visant la perte de poids pourraient certainement diminuer ce risque.

Ce sont des chercheurs du Neuro (Institut-hôpital neurologique de Montréal) de l’Université McGill et du Centre de recherche CERVO de l’Université Laval qui sont arrivés à ces constatations à partir des données de plus de 1300 adultes de plus de 50 ans (des patients atteints d’alzheimer, des individus sains servant de témoins, des personnes obèses et cognitivement saines, ainsi que des personnes minces) tirées de la UK Biobank du Royaume-Uni.

Une première comparaison entre le cortex cérébral des sujets obèses et celui de personnes minces a permis de mettre en évidence un amincissement de cette région du cerveau chez les individus obèses du même âge et de même sexe. « À partir de l’âge de 17 ans, nous commençons à perdre du cortex. L’âge est la première cause de perte de tissu cérébral. La deuxième cause est l’obésité. Toutes les études effectuées à partir de banque de données démontrent que l’obésité entraîne une perte de tissu dans le cortex du cerveau », précise le neurologue Alain Dagher, du Neuro, qui a dirigé l’étude publiée dans le Journal of Alzheimer’s Disease.

Dans le but de mieux caractériser l’atrophie du cortex cérébral observée chez les personnes obèses, les chercheurs ont comparé les images obtenues par résonance magnétique du cerveau d’individus obèses à celles du cerveau de patients souffrant d’alzheimer. Ils ont alors noté que la distribution de l’atrophie de la matière grise était très semblable dans les deux groupes d’individus. « La distribution de l’atrophie était la même, mais cette dernière n’était pas aussi intense chez les personnes obèses, car elles ne présentaient pas de problèmes cognitifs au moment de l’étude », précise le Dr Dagher.

Dans les deux groupes, l’atrophie est apparue plus marquée dans les lobes temporaux, pariétaux et frontaux du cerveau, qui sont les régions où apparaissent habituellement les premiers signes de neurodégénérescence et d’amincissement cortical liés à la maladie d’Alzheimer. Mais selon le Dr Dagher, il s’agit d’« un phénomène qui est diffus dans tout le cerveau ». « Il y a certaines régions qui sont plus vulnérables que d’autres, mais quand on fait une autopsie d’une personne atteinte d’alzheimer, on voit les signes de la maladie partout dans le cerveau », indique-t-il.

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Un signe précurseur ?

« Cette atrophie corticale reliée à [l’accumulation de graisse] pourrait, chez des individus vulnérables, précéder le développement d’une accumulation de protéines amyloïdes bêta et tau, qui, elle, conduit à l’expression de la maladie d’Alzheimer », avancent les auteurs dans leur article.

Le Dr Dagher évoque à ce propos une étude menée à Montréal dans laquelle on suit des personnes en bonne santé qui sont à haut risque de développer l’alzheimer parce qu’elles ont un parent atteint de la maladie : on a déjà noté une perte de tissu dans le cerveau de ces personnes, mais à ce stade, « rien ne prouve que ces personnes développeront la maladie, même si c’est très probable ». « Comme on suit ces personnes pendant plusieurs années, on pourra probablement répondre à cette question », dit-il.

« Quand on regarde les pertes cognitives chez des milliers de personnes, il y a des différences subtiles entre les personnes obèses et les personnes minces. Des différences très subtiles, qui n’apparaîtraient peut-être pas dans la vie de tous les jours, sauf qu’elles sont là, et on les voit quand on fait des tests poussés. Nous pensons que c’est un premier signe de ce qui va arriver à terme — un premier signe de perte de tissu cérébral, qui ne cause peut-être pas de symptômes quand on a 55 ans, mais qui va finalement causer des problèmes », ajoute-t-il.

« Comme la cigarette et le cancer du poumon »

« Si ce phénomène d’atrophie cérébrale est déjà présent chez les personnes obèses dans la cinquantaine, voire entre 50 et 75 ans, cela ne veut pas dire que ces personnes développeront nécessairement l’alzheimer, fait remarquer le Dr Dagher. Mais cela démontre qu’il s’agit d’un facteur de risque sur lequel on peut intervenir, comme la cigarette pour le cancer du poumon. »

Plusieurs études ont démontré que l’obésité à l’âge adulte prédispose à la maladie d’Alzheimer, et le Dr Dagher et ses collègues ont cherché à comprendre par quels mécanismes l’obésité pouvait entraîner des dommages au cerveau.

Dans un article publié l’an dernier dans The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism, ils ont montré du doigt les multiples conséquences métaboliques de l’obésité, soit le diabète de type 2, l’hypertension, la dyslipidémie (dont notamment des niveaux élevés de lipides), ainsi qu’une inflammation systémique. « Le tissu adipeux relâche des cytokines pro-inflammatoires, ainsi que des protéines associées à l’inflammation qui conduisent à une inflammation systémique de bas grade », précisent-ils.

« L’obésité cause de façon constante et chronique de petits dommages au cerveau. L’inflammation, l’accumulation de lipides, la résistance à l’insuline et l’hypertension causent des dommages vasculaires dans le cerveau. Et petit à petit, ces dommages s’accumulent et on pense que c’est ce qui mène à l’atrophie du tissu cérébral. L’accumulation de ces dommages finit ainsi par déclencher le processus de la maladie d’Alzheimer », explique le Dr Dagher.

« En prouvant que l’obésité est un facteur de risque pour cette maladie très sérieuse et fréquente, on soutient l’importance de traiter l’obésité chez tout le monde. On dispose de traitements pour l’obésité. Il y a de nouveaux traitements qui sortent cette année, mais le problème est qu’ils ne sont pas approuvés pour l’obésité parce que les gouvernements ne veulent pas payer. Il y a encore cette idée que l’obésité est la faute de la personne [atteinte], qui manquerait de maîtrise de soi », affirme le Dr Dagher.

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