Années 1920: la consolidation de la communauté scientifique au Québec
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial 100 ans de l'Acfas
La décennie des années 1920 est un moment charnière dans l’histoire de la science au Québec. La province compte alors ses propres scientifiques canadiens-français, pour la plupart professeurs et chercheurs, mais ce n’est pas le résultat de leurs recherches scientifiques qui font de cette décennie un tournant pour la science.
« C’est à cette époque que ces scientifiques réalisent qu’ils doivent s’organiser afin de faire la promotion de la science s’ils veulent que celle-ci prenne au Québec la place qu’ils souhaitent qu’elle occupe, explique Yves Gingras, historien des sciences et professeur à l’UQAM. Et cela passe par la création d’institutions. »
Ce sera d’abord par la création de sociétés savantes, comme la Société de biologie de Montréal ou la Société canadienne d’histoire naturelle. S’ajoute à ces dernières la création de facultés scientifiques, telles l’École supérieure de chimie à l’Université Laval et la Faculté des sciences de l’Université de Montréal. « La création, en 1923, de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences permettra de fédérer ces divers établissements, avance Yves Gingras, et l’Acfas deviendra le principal promoteur de la science au Québec. »
Les jeunes ne seront pas en reste, car le chef de file de ce mouvement de promotion et de consolidation est Marie-Victorin qui, avant d’entamer sa carrière de botaniste, avait enseigné au primaire et au secondaire. On assistera donc à la création de nombreux cercles des jeunes naturalistes. « Marie-Victorin croyait qu’il fallait travailler par les deux bouts, souligne Yves Gingras, soit donner aux scientifiques les outils dont ils avaient besoin, mais aussi vulgariser la science afin d’attirer les jeunes vers cette discipline. »
D’autres acteurs importants
Si Marie-Victorin est la figure de proue de la science à cette époque — il le demeurera jusqu’à son décès en 1944 —, d’autres scientifiques ont aussi contribué à l’essor de la science au Québec. Il y a Léo Parizeau, médecin et radiologiste. « C’est Léo Parizeau qui, le premier, eut l’idée de fonder l’Acfas, raconte Yves Gingras, et il sera tout au long de sa carrière un porte-parole actif de la promotion de la science au Québec. D’ailleurs, le premier prix décerné par l’Acfas en 1944 porte son nom. »
Édouard Montpetit, avocat et économiste, joua un rôle majeur dans le développement des sciences économiques au Québec dans les années 1920 et appuya le mouvement de consolidation. Il fut aussi un important universitaire. Nommé secrétaire général de l’Université de Montréal en 1920, il fonde la même année l’École des sciences sociales, économiques et politiques, dont il assume la direction.
Il faut aussi mentionner le botaniste et ethnobiologiste Jacques Rousseau. Bien qu’encore jeune homme lors de la fondation de l’Acfas en 1923, il en devient le secrétaire général en 1930. « Si Marie-Victorin est la locomotive du mouvement d’affirmation scientifique, précise Yves Gingras, Jacques Rousseau en est la cheville ouvrière. Ce sont ses talents d’organisateur qui mèneront l’Acfas à sa maturité et à son premier congrès en 1933. »
Le cas de Louis-Janvier Dalbis est plus controversé. Né en France, il devient en 1920 professeur d’histologie et de biologie à la Faculté des sciences de l’Université de Montréal et participe à la création de la Société de biologie de Montréal. En 1927, il fonde l’Institut scientifique franco-canadien, qui se veut un pont entre les scientifiques québécois et français.
« C’est la création de l’Institut scientifique franco-canadien qui causera un différend entre Dalbis et Marie-Victorin, souligne Yves Gingras. Marie-Victorin soutient que le pont est trop à sens unique, permettant surtout aux Français de séjourner au Québec, et que l’institut fait compétition à l’Acfas. » Le différend se dénouera lorsque Dalbis retournera en France quelques années plus tard.
Marie-Victorin, écrivain
On connaît aujourd’hui Marie-Victorin surtout par son travail de botaniste, notamment la fondation du Jardin botanique de Montréal en 1931 et la publication de Flore laurentienne, en 1935, mais on oublie qu’il fut aussi un intellectuel et un écrivain de premier plan. « Sur le plan intellectuel, Marie-Victorin est l’antithèse de Lionel Groulx, mentionne Yves Gingras. Pour Lionel Groulx, la survivance du Québec doit s’appuyer sur le passé. Mais pour Marie-Victorin, elle doit s’appuyer sur l’avenir et ce dernier passe par la science. »
De plus, Marie-Victorin est ardent nationaliste. « Dans un texte écrit en 1925, intitulé “La province de Québec, pays à découvrir et à conquérir”, raconte Yves Gingras, Marie-Victorin y va d’un vibrant plaidoyer en faveur d’une communauté scientifique canadienne-française. »
Mais Marie-Victorin est aussi un journaliste scientifique autant auprès des jeunes que des adultes. C’est pourquoi il accepte l’invitation d’Omer Héroux, qui dirige alors la rédaction du journal Le Devoir, d’y signer des billets qui traitent de la science, pour en faire la vulgarisation et la promotion, évidemment toujours sous un angle nationaliste. Cette collaboration durera jusqu’à son décès.
« Dans les années 1920, relate Yves Gingras, Le Devoir agit comme fer de lance de la promotion de la science en ouvrant ses pages à celle-ci. Le journal couvrira tous les congrès de l’Acfas, et cette collaboration dure jusqu’à nos jours. »
La société québécoise
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la société québécoise de cette époque a été nullement réfractaire à cette montée scientifique, y compris l’Église catholique. « Il n’y a pas eu de mouvement antiscience au Québec, avance Yves Gingras. Quelques escarmouches peut-être, notamment entre les collèges classiques et les scientifiques, ces derniers voulant que l’on fasse davantage de place à l’enseignement des sciences. »
Il donne en exemple le premier Congrès de l’Acfas. « En plus du congrès scientifique, l’Acfas avait aussi organisé une exposition des cercles des jeunes naturalistes. On estime à 100 000 personnes le nombre de visiteurs à cette exposition », dit-il. Un nombre considérable pour l’époque et qui témoigne de la curiosité des Canadiens français pour la science.
Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.