L’Acfas, centenaire et toujours moderne

Jean-Benoît Nadeau
Collaboration spéciale
Le président de l'Acfas, Jean-Pierre Perreault, en juin, lors de l’annonce de l’inscription de l’Acfas au Registre de la Mémoire du monde du Canada de l’UNESCO
Acfas Le président de l'Acfas, Jean-Pierre Perreault, en juin, lors de l’annonce de l’inscription de l’Acfas au Registre de la Mémoire du monde du Canada de l’UNESCO

Ce texte fait partie du cahier spécial 100 ans de l'Acfas

Quand il considère les origines de l’Acfas, dans le Québec des Années folles, son président Jean-Pierre Perreault est frappé par une chose : la modernité de l’organisme. Dès le premier jour, lors de la rencontre fondatrice du 15 juin 1923 qui réunissait des associations scientifiques travaillant dans des disciplines très variées allant de la biologie à la philosophie en passant par l’astronomie, l’économie et la chimie, l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences — d’où l’acronyme Acfas — s’est donné une quadruple mission : favoriser l’interdisciplinarité, la langue française, la communication et susciter la relève.

« Beaucoup d’organisations ont du mal à vieillir, mais regardez : cent ans plus tard, l’Acfas repose toujours sur les mêmes quatre piliers. Si on voulait recréer l’Acfas en 2023, on referait exactement la même chose », dit le président, également vice-recteur à la recherche et aux études supérieures de l’Université de Sherbrooke.

Les commémorations

 

Si l’Acfas maintient toujours le secret sur la manière dont elle célébrera officiellement son centième anniversaire le 15 juin 2023, elle a tout de même annoncé deux douzaines d’événements commémoratifs tout au long de cette année anniversaire. L’un des points d’orgue aura certainement été le dévoilement de La fabuleuse histoire de la science au Québec cette semaine.

Cette série en dix épisodes d’environ quinze minutes, réalisée par Michel Barbeau et coproduite avec Savoir média, relate les dix décennies de cet organisme. Ce documentaire suivra l’évolution de personnalités fondatrices plus grandes que nature comme le frère Marie-Victorin, Pierre Demers et Pierre Dansereau, et toutes les évolutions d’une organisation qui a inspiré des initiatives aussi diverses que la création du magazine Québec Science et la politique scientifique québécoise. « J’ai eu quelques surprises avec la série, raconte Jean-Pierre Perreault, notamment d’apprendre que l’Université de Montréal était le siège d’un gros laboratoire secret impliqué dans le développement de la bombe atomique. »

Toute l’année 2022-2023 sera émaillée d’événements, dont la publication d’un livre illustré sur les 50 personnalités francophones de la recherche au Canada et la 2e édition du classique du chercheur Yves Gingras sur l’histoire de l’Acfas, Pour l’avancement des sciences. Outre plusieurs expositions, les six chapitres régionaux en francophonie canadienne tiendront chacun leur semaine d’activité pendant l’hiver.

« Avec l’inscription de l’Acfas au Registre de la Mémoire du monde du Canada à l’UNESCO, mais aussi avec les livres et la série documentaire, nous voulons assurer un legs permanent à la communauté des chercheurs. »

Assurer sa pertinence

 

Selon Jean-Pierre Perreault, avec la série, les livres et toutes les activités de commémoration, on constate que l’Acfas a su demeurer pertinente tout au long de sa très longue histoire.

« Ça suppose quelques changements d’orientation », dit-il. Par exemple, en 1933, après une décennie de conférences dans les écoles pour susciter des vocations scientifiques, l’Acfas organise son premier congrès scientifique — le début d’une longue tradition. Dans les années 1960, en pleine Révolution tranquille, l’Acfas développe la vulgarisation en créant la revue Le jeune scientifique, qui deviendra Québec Science. Et elle commence à peser pour que le gouvernement du Québec développe une politique scientifique. « Ce sont les moyens qui changent, plutôt que les objectifs. »

Au cours des années, l’Acfas subira deux transformations majeures. Au moment de sa formation, l’organisme est entièrement masculin. En 1933, seules deux femmes, Marcelle Gauvreau et soeur Marie-Jean-Eudes, présentent des communications parmi plus d’une centaine de conférenciers. Mais en 1974, l’Acfas se donne une première présidente, l’économiste Livia Thür. « Elles comptent désormais pour 63 % de nos membres », dit Jean-Pierre Perreault.

En 1978, l’organisation avait envisagé brièvement de se rebaptiser Association québécoise pour l’avancement des sciences. Mais c’est en 2001 que l’Acfas change de nom afin de le moderniser et de se doter d’une ouverture internationale. C’est ainsi qu’elle devient l’Association francophone pour l’avancement des savoirs. « Le changement est passé quasi inaperçu parce que la plupart des gens la connaissaient par son acronyme, Acfas, que nous avons maintenu. »

Les urgences nationales

 

Jean-Pierre Perreault est devenu président de l’Acfas le 11 mars 2021, durant une pandémie mondiale. « On ne peut jamais savoir quelle sera la prochaine crise et c’est pour cela que notre mission d’interdisciplinarité est si importante : il faut soutenir toutes les sciences, même quand on n’en voit pas l’application. »

Le chimiste donne pour exemple son domaine de recherche, l’ARN, considéré comme un sujet quasi occulte il y a 30 ans. « Et c’est l’ARN messager qui a produit nos meilleurs vaccins. Une chance qu’on l’avait étudié ! »

Il se dit également gravement préoccupé par le peu de cas des gouvernements pour la relève scientifique. « Les bourses aux étudiants n’ont pas été indexées depuis 2003. C’est une urgence nationale. En période de plein emploi, quelle option offrons-nous aux étudiants ? »

Il s’agit d’une cause qui tient à coeur à l’Acfas depuis longtemps, car elle consacre de nombreuses activités aux jeunes chercheurs, notamment avec les concours Ma thèse en 180 secondes et La preuve par l’image, et les Journées de la relève en recherche. Autre nouveauté au prochain congrès : les étudiants de premier cycle seront admis à produire des communications libres. « Les universités le réclamaient depuis longtemps. Mon souhait, c’est d’allumer plus d’étudiants à envisager une carrière en recherche. »

La recherche francophone

 

Pour les francophones, l’hégémonie de l’anglais continue de rester un problème, qui s’aggrave. Selon le magazine Affaires universitaires, 90 % des nouveaux journaux scientifiques créés depuis 2005 au Canada sont en anglais, et 7-8 % sont bilingues, ce qui en laisse à peine 2 ou 3 % uniquement en français. « La réforme de la Loi sur les langues officielles sera une autre occasion d’infléchir les règles. »

Le président croit que l’occasion se présentera bientôt de négocier certains changements avec les grandes plateformes de publication scientifique (pour introduire la traduction des articles) ou de créer de nouvelles manières de communiquer la science à travers de nouvelles plateformes s’inspirant d’Érudit et d’ArXiv.

« Les grandes plateformes anglophones sont en train de se piéger. Elles nous font payer 5000 dollars pour publier un texte que nous devons formater nous-même, et il faut encore payer pour se lire. D’autres organisations commencent à y mettre le holà, et l’Acfas entend peser dans ce débat. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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