Transporter de l’hydrogène jusqu’en Allemagne implique de coûteuses pertes

Le chancelier allemand, Olaf Scholz, est reparti du Canada avec la promesse que son pays obtiendrait des livraisons d’hydrogène dès 2025. Or, transporter ce carburant sur une aussi grande distance implique des pertes énergétiques qui rendent cette idée non viable, estiment des spécialistes.
L’Allemagne mise en partie sur l’hydrogène propre pour décarboner son économie et se libérer de sa dépendance au gaz naturel russe. Grâce à son entente avec le Canada, elle espère très bientôt créer une « chaîne d’approvisionnement transatlantique » en hydrogène propre. La ressource pourrait être générée avec de l’électricité d’origine éolienne.
L’hydrogène, un gaz léger, doit être transformé pour faciliter son transport sur de longues distances. Il est possible de le liquéfier, comme le gaz naturel, ou encore de le convertir en ammoniac (NH3). L’ammoniac, très dense en énergie, peut ensuite être reconverti en hydrogène une fois arrivé à bon port.
Selon le ministre canadien des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, une quinzaine de projets de production d’hydrogène vert sont en développement et pourraient un jour approvisionner l’Allemagne. La majorité d’entre eux misent sur une conversion vers l’ammoniac pour le transport par navire.
Le problème, c’est qu’à chaque étape de transformation, de l’énergie est consommée. D’abord, le passage de l’électricité à l’hydrogène implique des pertes de 30 à 40 %. Ensuite, la conversion vers l’ammoniac entraîne des pertes supérieures à 15 %, et des pertes du même ordre surviennent pour le retour à l’hydrogène.
À l’heure actuelle, l’ammoniac — un ingrédient essentiel pour fabriquer des engrais chimiques — ne sert pas à transporter de l’hydrogène, explique l’ingénieur chimique Paul Martin, cofondateur du groupe scientifique indépendant Hydrogen Science Coalition. « La raison est simple : si on faisait ça, on perdrait la majorité de l’énergie », dit-il.
Plusieurs scientifiques ont dénoncé au cours de la dernière année l’emballement exagéré des politiciens à propos de l’hydrogène. Selon les prévisions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’hydrogène ne comptera que pour 2 % du bilan énergétique mondial en 2050.
De nos jours, près de la moitié de la production mondiale d’hydrogène — issu quasi exclusivement de combustibles fossiles — sert à fabriquer de l’ammoniac. La plus grande partie de cet ammoniac est ensuite utilisée pour faire de l’engrais.
Cette industrie est une grande émettrice de gaz à effet de serre (GES). La production mondiale d’ammoniac entraîne des émissions de 450 millions de tonnes d’équivalent CO2 par année, soit cinq fois les GES du Québec. Le Canada génère chaque année des millions de tonnes d’ammoniac à partir de gaz naturel.
« Il devrait être prioritaire de remplacer l’hydrogène gris ou noir [issu du gaz naturel ou du charbon] par de l’hydrogène vert pour faire de l’engrais, car de l’engrais, nous en avons absolument besoin », fait valoir Johanne Whitmore, chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal.
D’après Mme Whitmore, l’entente entre le Canada et l’Allemagne sur l’hydrogène a surtout été paraphée pour envoyer un signal politique. Il y a de fortes probabilités qu’elle ne se concrétise pas si des options plus intéressantes se présentent à Berlin d’ici 2025.
Selon M. Martin, il faudrait que l’Allemagne utilise son ammoniac vert canadien pour faire de l’engrais, ce qui limiterait les pertes liées aux transformations. « Et encore, je suis sceptique quant à la rentabilité de l’affaire », dit-il.
Fuites dommageables
Pour l’instant, il n’est pas clair comment l’Allemagne utiliserait l’ammoniac importé. Serait-il retransformé en hydrogène ou utilisé pour faire de l’engrais ? La déclaration d’intention conjointe de Berlin et d’Ottawa n’en fait pas mention.
Transporter de l’hydrogène liquéfié est encore plus difficile que sous la forme d’ammoniac. Pour demeurer liquide, la molécule doit être refroidie à très basse température (-253 °C). Chaque litre d’hydrogène liquide contient deux fois moins d’énergie que l’ammoniac. Par ailleurs, l’hydrogène liquide a tendance à s’évaporer au fil des jours, ce qui génère des pertes.
De manière générale, les fuites d’hydrogène doivent être surveillées de près, car elles contribuent à l’effet de serre. En effet, l’hydrogène interagit avec d’autres GES dans l’atmosphère et accroît leur potentiel de réchauffement. Il prolonge la durée de vie du méthane, notamment.
Selon une étude du gouvernement britannique publiée le printemps dernier, le potentiel de réchauffement climatique de l’hydrogène est environ dix fois plus élevé par kilogramme que celui du CO2 sur une période de 100 ans. Sur une période de 20 ans, il est environ trente fois plus puissant.
« Les fuites d’hydrogène durant la production, l’entreposage, la distribution et l’utilisation vont partiellement annuler certains des bénéfices d’une économie basée sur l’hydrogène », écrivaient les auteurs de cette étude. « La minimisation des fuites doit être une priorité si l’hydrogène devient une source majeure d’énergie », ajoutaient-ils.