Des dents confectionnées grâce à l’intelligence artificielle
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche
Une équipe de chercheurs de Polytechnique Montréal utilise l’intelligence artificielle pour réduire les marges d’erreurs dans la confection de couronnes dentaires.
L'hypertrucage au service de la dentisterie, telle est la devise de François Guibault, professeur titulaire au Département de génie informatique et génie logiciel de Polytechnique Montréal. Depuis 18 mois, le chercheur utilise la même technologie d’intelligence artificielle (IA) qui sert à falsifier des vidéos pour fabriquer des couronnes dentaires.
« Faire une dent, c’est autant une science qu’un art, dit-il. Chaque bouche a son histoire et chaque dent est unique à l’individu, par sa forme, sa couleur, sa surface, son usure. Si je sortais une dent d’un catalogue et que je la lui mettais, elle aurait l’air artificielle. »
Le technicien qui fabrique une couronne part de mesures et d’images numériques, pour ensuite, à l’aide de logiciels divers, générer une forme 3D qu’une machine reproduira ensuite en porcelaine. « On cherche une méthode pour automatiser davantage certains processus », précise François Guibault.
Une question d’étiquette
Pour générer une dent ou n’importe quelle forme numérique, on part d’un nuage de points numériques que l’on relie ensuite en petits triangles. La forme de la dent est la somme de tous ces petits triangles. « Quand on numérise une dent, on peut avoir 40 000 points. Le tout est de savoir lesquels sont les bons », détaille le professeur.
Avant de pouvoir produire la forme, il faut donc étiqueter chaque point, ce qui consiste à lui donner une coordonnée en x, y, z. Dans le cas des dents, qui se touchent parfois, le système doit également déterminer l’adresse de chaque coordonnée — autrement dit, à quelle dent elle appartient.
« Pour y parvenir, ça prend beaucoup de bouches », révèle François Guibault. Il explique que les données proviennent du laboratoire dentaire Kerenor, de Westmount, qui dispose de milliers de numérisations et de couronnes. Cette collaboration implique également la firme iMD Research, de Montréal, spécialisée en technologie de dentisterie.
« On sait maintenant étiqueter chaque dent avec plus de 98 % de fiabilité. » Pour l’atteindre, deux étudiantes du cégep Édouard-Montpetit, recrutées par le Centre collégial de transfert de technologie en sciences pharmaceutiques, situé au cégep John-Abbott, ont travaillé de longs mois afin d’analyser le nuage de points et faire le contrôle de qualité et éliminer le « bruit », c’est-à-dire les points non pertinents ou redondants.
Mais pourquoi générer des données sur une bouche quand il faut une seule dent ? D’abord parce qu’il manque souvent des morceaux à la dent à remplacer. Mais aussi parce qu’une dent ne travaille jamais seule. « On génère une dent dans son contexte. L’idéal pour nous est d’avoir les deux dents voisines et les trois dents opposées. »
Faire travailler ses neurones
L’étape suivante consiste à générer la forme pour la reproduire. Pour cela, il faut reconnecter tous les points pour générer des surfaces qu’on additionne. François Guibault utilise des circuits dits neuronaux. Il s’agit de « réseaux antagonistes génératifs » (ou GAN, pour le sigle anglais), une technique d’apprentissage profond mise au point à Montréal en 2014 et qui a révolutionné l’IA.
L’apprentissage profond consiste à mettre en opposition deux fonctions du cerveau : celle qui génère et celle qui discrimine. Le générateur (aussi appelé encodeur) produit les formes ; le discriminateur (appelé décodeur) détermine si cela ressemble au modèle ou non. Le système apprend en rejetant ce qui est mauvais et en gardant ce qui est bon.
Pour que le système puisse apprendre, il faut donc lui fournir beaucoup de données. Et c’est là que les données du laboratoire dentaire Kerenor sont si importantes. « On est rendu à plusieurs centaines de bouches. Plus on lui montre de scans et de formes correspondantes, plus il devient bon. »

François Guibault espère sortir le prototype d’ici l’été. « Pour nous, ce sera la première occasion d’être utilisés et critiqués. C’est comme ça, le génie. On cherche l’amélioration constante », affirme-t-il.
L’ingénieur chercheur, qui modélisait des turbines hydrauliques avant de s’intéresser aux couronnes dentaires, voit déjà les autres applications de son travail. Son laboratoire utilise les mêmes technologies pour la fabrication additive, communément appelée impression 3D, pour des pièces d’avion en titane. Mais il entrevoit aussi une utilisation pour la fabrication de prothèse. « Au lieu de vous sortir un tibia du catalogue, on pourrait vous faire votre tibia. »
Toutefois, il insiste quant au fait que son travail actuel en dentisterie ne vise pas à priver des techniciens de 20 ans d’expérience de leur gagne-pain, au contraire.
« Oui, si on réussit, nous pourrons générer une forme en quelques secondes alors que le technicien y parvient en une heure en utilisant divers logiciels. Mais il faudra toujours son art et son expérience pour les ajustements et son appréciation du résultat, souligne-t-il. L’objectif n’est pas de le remplacer, mais de lui donner un outil de plus qui va raccourcir son temps d’intervention et de validation. »
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