Un ARN clé dans la résistance aux antimicrobiens
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche
Les infections urinaires récurrentes touchent des millions de personnes, surtout des femmes. Elles sont souvent causées par la bactérie Escherichia coli (E. coli), qui peut résister aux antibiotiques. Une équipe de chercheurs de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) a réussi à l’affaiblir en ciblant une séquence d’ARN. Leurs travaux pourraient permettre de combattre d’autres bactéries.
Un quart des femmes ont à nouveau une infection urinaire dans les six mois de leur diagnostic initial et jusqu’à la moitié des femmes dans l’année, même après un traitement microbien. « Les antibiotiques à répétition sont problématiques, car ils peuvent déplacer le microbiome de l’intestin et provoquer des effets secondaires », indique Charles Dozois, professeur en microbiologie et immunologie à l’INRS. Par ailleurs, des cures d’antibiotiques répétées peuvent aussi augmenter la présence de souches qui deviennent résistantes dans la flore intestinale.
Le professeur Dozois a travaillé avec le doctorant Hicham Bessaiah pour comprendre le mécanisme de virulence de la bactérie E. Coli, qui est responsable de la grande majorité des infections urinaires. Au cours de leurs travaux, ils ont découvert le rôle-clé d’une petite séquence d’ARN régulateur, différent de son cousin messager, lequel nous est devenu familier.
« C’est une séquence d’ARN qui ne donne pas de protéines, contrairement à l’ARN messager. Il régule la réponse de la bactérie selon l’environnement où elle se trouve, c’est pourquoi on l’appelle un ARN régulateur », explique Hicham Bessaiah.
L’antistress de la bactérie
L’équipe de recherche de l’INRS a publié ses résultats dans le journal PLOS Pathogens en mai 2021. « Nous avons démontré pour la première fois l’importance de l’ARN régulateur pour la capacité de survie de la bactérie E. coli, ce qui lui permet de provoquer une infection urinaire », souligne Charles Dozois. En passant de l’intestin à la vessie, cette bactérie doit s’adapter rapidement à des stress importants, notamment la réaction immunitaire de l’hôte et les variations de la concentration en sel.
« Pour un microbe, un tel changement environnemental est comparable à celui d’un humain qui passerait de la forêt à un désert », lance le professeur.

Le petit ARN régulateur agit donc comme un « gène de gestion du stress » de la bactérie E. coli, selon les chercheurs qui ont ensuite observé l’importance de la séquence d’ARN régulateur ryfA in vivo (sur des souris) et in vitro. « Nous avons injecté la bactérie mutée dans des souris et avons regardé ce qui se passait 48 heures plus tard dans leur vessie et dans leurs reins, en comparant avec la bactérie mère ». Ils ont pu constater que la bactérie mutée n’arrivait plus à infecter les souris. « Privée de cette séquence d’ARN régulateur, elle s’adapte moins bien aux changements et devient atténuée, moins virulente », décrit Charles Dozois.
Un potentiel plus vaste
Les deux chercheurs poursuivent leurs recherches pour comprendre quels gènes interagissent avec cet ARN régulateur et pour identifier les sources de stress les plus déterminantes dans l’infection. « Nous adoptons une approche globale qui pourrait nous permettre de recueillir des informations pertinentes à la fois pour la santé humaine et pour la biologie en général », souligne Charles Dozois.
Leurs travaux permettraient en effet de combattre d’autres bactéries qui affectent aussi les animaux (et les humains en fin de compte par l’alimentation). C’est le cas, par exemple, de la bactérie Salmonella, qui peut provoquer des gastro-entérites, mais aussi des fièvres typhoïdes et paratyphoïdes. « Cette bactérie fait partie de la famille des entérobactéries, qui contiennent toutes un gène très semblable à cet ARN régulateur. Ils ne sont pas encore étudiés pour leur rôle infectieux, mais il y a de fortes chances qu’ils jouent le même rôle de gestion du stress », anticipe Charles Dozois.
La bactérie Klebsiella pneumoniae, responsable d’infections respiratoires et nosocomiales, fait également partie de ces entérobactéries partageant un ARN régulateur semblable.
Si le potentiel thérapeutique de ces recherches est confirmé, le chemin sera encore long pour aboutir à des traitements.
« Des approches commencent à se développer pour altérer une bactérie in vivo pendant une infection ou pour administrer des ARN bloquants appelés « antisens » à des patients. On pourrait ainsi réduire la capacité de la bactérie à gérer le stress, mais aussi la rendre plus sensible aux traitements antibiotiques avec une approche combinée », prévoit Charles Dozois. Les bactéries n’ont qu’à bien se tenir, la bataille grâce à l’ARN régulateur ne fait que commencer.
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