Le poisson qui aimait trop la crevette nordique

Rabéa Kabbaj
Collaboration spéciale
L’analyse des contenus stomacaux de près de 7000 sébastes a permis d’observer les variations dans leur régime alimentaire au fil des années.
Photo fournie par Sarah Brown-Vuillemin L’analyse des contenus stomacaux de près de 7000 sébastes a permis d’observer les variations dans leur régime alimentaire au fil des années.

Ce texte fait partie du cahier spécial Relève en recherche

Si la crevette nordique du Québec ravit les gourmets, il est un « fin palais » qui pourrait bien finir par la mettre en danger : le sébaste. Désormais surreprésenté dans les eaux du golfe du Saint-Laurent, ce prédateur a un régime alimentaire plutôt préoccupant pour l’avenir du délicat crustacé. C’est ce que mettent en évidence les travaux de Sarah Brown-Vuillemin, doctorante en océanographie et lauréate du dernier Concours de vulgarisation de la recherche de l’Acfas.

« On trouve de plus en plus de crevettes dans les contenus stomacaux des sébastes dépassant les 25 à 30 cm. Cela peut être assez inquiétant parce que les proportions de crevettes prédatées sont énormes. Le sébaste arrive à trouver les zones où la crevette se retrouve en plus grande abondance, et il prédate notamment la crevette nordique qui est une espèce à haute valeur commerciale pour le Québec », souligne Sarah Brown-Vuillemin, étudiante au doctorat à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).

Dans le cadre de sa thèse, la chercheuse a analysé — avec l’aide d’autres collègues — les contenus stomacaux de près de 7000 sébastes, prélevés lors de missions océanographiques de Pêches et Océans Canada menées dans les années 1990 et dans les années 2010.

Alors que les petits sébastes de la première période se délectaient de zooplancton associé aux eaux froides, les bébés sébastes de la période plus récente mangeaient eux aussi du zooplancton, mais d’une autre espèce, cette fois-ci davantage associée aux eaux chaudes, le réchauffement climatique ayant fait son œuvre entre-temps.

Chez les sébastes adultes, en revanche, l’attrait pour les crevettes est similaire pour les deux périodes. Car même si les grands sébastes d’hier et d’aujourd’hui se nourrissent également de poisson — du capelan pour la première période étudiée, et de petits sébastes pour la seconde —, la crevette demeure « la catégorie prédominante dans le régime alimentaire d’un grand sébaste », explique Sarah Brown-Vuillemin.

Une pression supplémentaire sur les crevettes

 

La prédation des grands sébastes envers les crevettes nordiques s’avère préoccupante dans la mesure où celles-ci doivent déjà faire face à de multiples difficultés. « Il y a des paramètres environnementaux qui ont déjà un impact sur l’espèce, comme l’hypoxie — la baisse d’oxygénation dans les masses d’eau — due au réchauffement climatique, et qui est de plus en plus intense dans les eaux du golfe du Saint-Laurent. En plus de cela, on a d’autres prédateurs dans le système qui s’alimentent aussi de crevettes », fait valoir Mme Brown-Vuillemin.

De l’avis de la doctorante, ses résultats rendent compte de la nécessité de poursuivre dans l’exploration de cette problématique. « C’est très important d’avoir un suivi dans le temps, de la consommation des crevettes, pour voir comment ça évolue. Cela permettra d’apporter un maximum de données qui pourront aider les gestionnaires à mettre en place des questionnements ou des solutions sur le devenir de la crevette, mais aussi du sébaste », estime-t-elle.

Une passion pour les relations de prédation

 

Primée pour la présentation de cette étude lors du dernier Concours de vulgarisation de la recherche de l’Association pour le savoir francophone (Acfas), Sarah Brown-Vuillemin a toujours été passionnée par les thématiques de biologie marine touchant aux relations proies-prédateurs.

« Pendant mon cursus universitaire, j’ai toujours fait des stages sur l’étude des régimes alimentaires des grands poissons, des raies, des grands prédateurs. À la fin de ma maîtrise, j’ai fait une pause et je suis allée vivre un peu plus d’un an en Nouvelle-Zélande, juste pour voyager. À mon retour en France, je savais que je voulais être biologiste marine », relate la jeune femme originaire de la ville de Toulon, non loin de Marseille, dans le sud du pays.

C’est alors que Mme Brown-Vuillemin est entrée en contact avec celui qui deviendrait son directeur de recherche — Dominique Robert, de l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER) — qui cherchait justement, au même moment, un doctorant ou une doctorante pour travailler sur le régime alimentaire du sébaste. « Je me suis dit que ce serait une belle occasion pour moi de continuer dans cette voie et de me spécialiser encore plus dans les notions de réseaux trophiques », indique l’étudiante.

Au dire de la chercheuse, l’étude des régimes alimentaires est aussi passionnante que prépondérante, tant elle constitue une mine de précieuses informations. « Cela permet de comprendre comment un écosystème fonctionne, comment les espèces sont unies entre elles, et leurs conditions optimales pour vivre dans un milieu. C’est ce qui me plaît. On peut ainsi toucher à différents groupes écologiques : les sébastes, mais aussi le zooplancton, les crevettes etc. C’est très stimulant d’un point de vue scientifique », fait-elle valoir.

Et ces connaissances prennent tout leur sens, à l’heure où les défis sont de taille.

« Les écosystèmes marins sont soumis à de grosses pressions, humaines notamment. Pour apporter des solutions et retrouver des écosystèmes en santé, on a donc besoin de comprendre fondamentalement ce qui s’y passe », conclut la doctorante.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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