Passer les sciences au féminin pluriel
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Les 60 ans de l'AUF
Aux premières Assises de la francophonie scientifique, qui se sont déroulées à Bucarest les 22 et 23 septembre derniers, l’un des thèmes chers à l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) a fait l’objet d’un atelier particulier : le droit des femmes à l’université. En mars dernier, l’organisation a créé un consortium de onze universités francophones prêtes à travailler ensemble pour promouvoir l’égalité entre les sexes.
C'est Annie Ross, directrice adjointe à la recherche et professeure au Département de génie mécanique de Polytechnique Montréal, qui représente l’Amérique du Nord au consortium. « Nous avons trouvé important de poser notre candidature parce que nous rencontrons des défis en tant qu’université d’ingénierie », raconte la professeure, très enthousiaste pour ce partage d’expériences qui fonctionne dans les deux sens.
« Jusqu’à présent, nous contribuons avec des conseils que nous apportons, mais nous découvrons également des sensibilités et informations qui nous permettent de mieux comprendre nos nombreux étudiants qui proviennent de toute la francophonie », se réjouit-elle.
Selon le dernier rapport statistique de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie au Québec, les femmes sont majoritaires dans presque tous les domaines universitaires, à l’exception des sciences pures et appliquées (43 % de femmes en 2019-2020) et du génie (23 % de femmes en 2019-2020). Avec 19,7 % de femmes diplômées en ingénierie seulement, l’UNESCO plaçait en février 2021 le Canada sous la moyenne mondiale. Pourtant, des initiatives porteuses montrent que l’on peut défier ces statistiques.
Attirer les étudiantes
À Polytechnique Montréal, 30,2 % des diplômés en baccalauréat ingénierie sont des femmes. « Cela ne s’est pas fait en un claquement de doigts », lance Annie Ross en faisant allusion à la création de la Chaire Marianne-Maréchal dès 1998. « Cette chaire a mis en place des outils pour démystifier les sciences et le génie pour les jeunes filles, allant d’ateliers scientifiques dans les écoles primaires et secondaires à des journées permettant à des élèves du pré-universitaire d’aller voir en pratique comment on exerce la profession d’ingénieur, ainsi que du mentorat, des bourses, des conférences, etc. », détaille la directrice adjointe à la recherche.
Avec le programme GéniElles, de nombreuses initiatives sont proposées pour éveiller l’intérêt des filles et femmes de 12 à 20 ans pour les sciences. Annie Ross se réjouit de partager les résultats obtenus avec ses homologues. « Le fait que nous ayons réussi à dépasser le chiffre magique de 30 % montre que c’est possible en y mettant les efforts », souligne-t-elle. La professeure voit la Certification Parité obtenue par Polytechnique Montréal auprès de l’organisme La Gouvernance au Féminin comme une stimulation supplémentaire pour continuer à s’améliorer.
Des exemples féminins
À l’Université du Québec à Montréal (UQAM), les dernières données, datant de l’automne 2020, comptaient 361 étudiantes et 427 étudiants à la maîtrise et au doctorat de la Faculté des sciences. Magda Fusaro, la rectrice de l’université depuis 2018 vient d’intégrer le conseil d’administration de l’AUF. « Dans ma candidature, mon premier point était de rendre aux femmes l’importance qu’elles méritent. Nous sommes encore trop peu nombreuses à la tête d’organisations », déplore celle qui met un point d’honneur à maintenir la parité au conseil d’administration de l’UQAM.
Pour Mme Fusaro, il est important d’attirer l’intérêt des jeunes filles pour les sciences dès le primaire et le secondaire, avec bienveillance. « Il faut leur montrer que tout le monde a un rôle à jouer. Même si on n’a pas 100 % en mathématiques ou en physique en secondaire 3, il faut persévérer ! » encourage la rectrice, qui constate que beaucoup décrochent des mathématiques avant l’université. « Il faut attirer les jeunes filles vers des carrières scientifiques, mais aussi parascientifiques. Nous n’avons pas toutes la vocation de devenir professeure en chimie, mais pourquoi pas technicienne dans un laboratoire, dirigeante d’une entreprise de pharmacie ou travailler dans une start-up en étant sensibilisée aux sciences ? » suggère la rectrice.
L’UQAM a créé un Institut de recherche et d’études féministes (IREF)il y a plus de 30 ans, et le Fonds pour les femmes en sciences qui remet des bourses à des étudiantes, en 2021. L’université propose chaque année une semaine thématique « Femmes et filles de sciences ». La dernière édition, qui s’est tenue virtuellement, proposait notamment des portraits de pionnières, des témoignages et une activité à faire en classe pour les enseignants.
Avec l’initiative « 40 femmes, 40 semaines », Polytechnique Montréal met aussi en valeur des chercheuses et enseignantes en ingénierie, dont l’exemple peut contribuer à renforcer la motivation des étudiantes.
Soutenir les cheminements
Il ne suffit pas d’attirer des étudiantes pour agir profondément sur la place des femmes en sciences à l’université. « On parle beaucoup du recrutement, mais la rétention et le soutien au cheminement de carrière sont très importants », précise Annie Ross. Car la route est longue jusqu’à la fin des études doctorales, à un âge où beaucoup commencent à fonder leur famille. « Ce sont des études très exigeantes, avec des hauts et des bas. Certaines femmes sont tentées de privilégier un emploi régulier pour leur vie familiale », déplore la professeure qui a obtenu son diplôme de doctorat alors que son aîné était tout juste sorti des couches et qu’elle attendait son deuxième enfant.
« J’encourage souvent des doctorantes qui doutent à partir de mon expérience, car c’est l’importance pour moi de ces deux aspects de ma vie qui m’a permis de réussir à tout mener de front », explique-t-elle.
À l’UQAM, la communauté en ligne « Réseau Spin Femmes » vise à stimuler l’autonomisation des jeunes chercheuses en sciences et en génie. Le réseau professionnel a joué un rôle important dans le parcours de Magda Fusaro, qui croit beaucoup au rôle des mentors pour aider par exemple les jeunes chercheuses en les poussant à publier dans de bonnes revues qui les aideront à décrocher par la suite un poste de professeure. « J’ai fait des rencontres déterminantes dans ma vie professionnelle, avec des femmes et des hommes qui m’ont accueillie et mobilisé mon énergie », souligne la rectrice.
La cause féminine n’est d’ailleurs pas qu’une affaire de femmes pour Annie Ross, qui appelle à un profond engagement des hommes. « Beaucoup ne veulent pas ou n’osent pas s’engager, pensant que ce n’est pas leur place ou leur cause. En ingénierie, il y a plus de 80 % d’hommes. Si on veut avancer à une vitesse normale, il faut que 100 % de ce groupe y contribue ! »
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