La conscience ne serait pas spécifique à l'humain

Paris - La conscience ne serait pas l'apanage de l'humain. D'autres espèces du règne animal éprouveraient des expériences conscientes, ce qui confirmerait que des structures biologiques la sous-tendent.

Selon d'éminents neuroscientifiques réunis en congrès à Paris, la conscience résulterait de processus neuronaux particuliers parfaitement unifiés, mais néanmoins très complexes. Depuis des lustres, les philosophes se sont penchés sur l'énigme de la conscience, celle qui nous abandonne lorsque nous nous endormons et qui réapparaît quand nous nous réveillons, autant que celle du "Je pense, donc je suis" de Descartes. Les scientifiques s'y sont par contre attaqués beaucoup plus tardivement. Même le grand neurophysiologiste Charles Sherrington en 1940 avait la conviction que la conscience ne pouvait s'expliquer scientifiquement. "Quand je tourne mon regard vers le ciel, je vois le dôme aplati du ciel et le disque brillant du Soleil. Un rayon de lumière venu du Soleil pénètre dans l'oeil [...] et donne naissance à une série d'étapes chimiques et électriques qui aboutissent à la couche nerveuse située en haut du cerveau, disait-il.

Puis se produit un changement qui n'a plus rien à voir avec ce qui a conduit à lui et que nous ne pouvons pas du tout expliquer. Une scène visuelle se présente à l'esprit." Cette vision consciente du ciel ensoleillé est en effet quelque chose de subjectif, de totalement différent des événements physiques objectifs qui la précèdent et l'accompagnent, fait remarquer le neurobiologiste Gerald Edelman, directeur de l'Institut de neurosciences à La Jolla en Californie et lauréat du prix Nobel de médecine en 1972, qui présidait ce week-end à Paris le congrès international Biologie et Conscience organisé par l'Académie européenne interdisciplinaire des sciences.

Cette capacité d'être conscient de ses propres sensations, de se souvenir très précisément d'avoir fait quelque chose est un niveau de conscience certainement présent chez de très nombreux animaux, affirme pour sa part le neurophysiologiste Wolf Singer, directeur du département de neurophysiologie de l'Institut Max Planck à Francfort, en Allemagne. "On sait que les animaux arrivent à associer des souvenirs à un stimulus présent. Et, pour ce faire, il faut ressortir la trace mnésique et l'introduire à la conscience afin de pouvoir la relier à la situation actuelle, précise-t-il. Or, les animaux savent faire cela."

La conscience du soi est par contre nettement moins répandue chez les animaux. Elle n'est présente que chez quelques rares chimpanzés, qui, au moment où ils se voient dans un miroir et se rendent compte qu'on leur a peint le nez en rouge le touchent afin de vérifier ce qui leur arrive.

Jusqu'à l'âge de deux ans, le bébé humain n'a pas encore cette conception du soi, souligne Wolf Singer. En effet, les bébés qui se voient dans un miroir ont souvent tendance à tourner autour de celui-ci dans l'espoir de trouver celui qu'ils ont vu et qui se cacherait derrière. "La conscience du soi chez les jeunes humains ne commence à se manifester que lorsque les structures du cortex préfrontal atteignent leur maturité", ajoute-t-il.

Mais comment explique-t-on l'émergence de la conscience à partir du tissu nerveux?

Wolf Singer fait d'abord remarquer que la composition et le fonctionnement des cellules nerveuses sont identiques chez l'humain et le monde animal. Aucun changement dans l'organisation du cerveau ne distingue les rongeurs des humains. Depuis l'apparition du cortex chez les tortues, aucune nouvelle structure ne s'est ajoutée. Seul le volume des structures existantes - notamment le cervelet - s'est accru et la surface du cortex s'est étendue au cours de l'évolution.

Mais, somme toute, ce n'est pas le volume du cerveau qui importe et explique la supériorité de l'humain. Les éléphants et les baleines ont en effet un cerveau beaucoup plus volumineux que l'humain. "Plus un animal est gros, plus il dispose de muscles qu'il doit actionner. Et plus le tissu cérébral doit être abondant pour les contrôler, explique le Professeur Singer. L'important est le nombre de cellules nerveuses par rapport à la taille et au poids du corps. Or, l'humain est le champion de l'évolution sur ce plan."

Outre cette concentration exceptionnelle de cellules nerveuses dans le cerveau humain, on remarque un vaste réseau de connexions entre les différentes aires corticales, qui assument diverses fonctions. "Les aires qui coordonnent le langage par exemple doivent être connectées à toutes les autres modalités sensorielles, explique Wolf Singer. Car on peut reconnaître et nommer un objet aussi bien par le toucher que par la vision, l'audition ou l'odeur. Toutes ces informations doivent trouver leur chemin vers le générateur du mot."

Or, les connexions intermodales entre les différentes aires corticales sont beaucoup moins nombreuses chez les animaux dont les systèmes sensoriels demeurent davantage isolés, nous apprend le chercheur. Si l'animal détecte un stimulus par le système visuel, il n'est pas certain qu'il sache le généraliser dans une autre modalité, comme le toucher par exemple. "Les animaux généralisent beaucoup moins bien, parce qu'ils ont moins de connexions intermodales", précise le neurobiologiste.

Par ailleurs, Wolf Singer insiste sur les synchronisations qu'il a observées entre les multiples activités neuronales qui surviennent en parallèle en diverses régions du cerveau lors d'une expérience consciente. Ces synchronisations seraient importantes pour lier les résultats de ces activités distribuées, pour les associer et les interpréter en un tout cohérent afin de créer l'unité de la conscience, explique-t-il. "Mais ces synchronisations n'expliquent pas en soi ce phénomène de la conscience qui est si difficile à décrire parce qu'il est ressenti à la première personne. Nous supposons que les interactions entre les neurones doivent être corrélées au phénomène de la conscience, mais nous ne voyons pas la conscience se manifester dans l'activité neuronale. Il y a la réalité neuronale d'un côté et la conscience de l'autre. Les deux choses sont étroitement corrélées mais ne sont pas identiques." Selon le chercheur allemand, un problème philosophique fondamental subsiste donc...

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