L'Entrevue- Interdire la brevetabilité de l'être humain

Depuis son passage à la Commission royale sur les technologies de reproduction, de 1989 à 1991, Maureen McTeer a consacré l'essentiel de ses activités professionnelles aux questions éthiques soulevées par les avancements de la recherche biomédicale. Elle a intégré cette réflexion à son enseignement en droit à l'Université de Calgary et a publié en 2000 un ouvrage fouillé sur le sujet: Vivre au XXIe siècle: choix et enjeux.

Plus récemment, le marathon international visant à décrypter le génome humain et à lever le voile sur le merveilleux potentiel des cellules souches, dont regorgent les tout jeunes embryons humains, l'ont préoccupée particulièrement.

Maureen McTeer n'a pas peur de ses convictions, même lorsqu'elles sont à contre-courant. Elle ose critiquer, proposer des solutions qui vont à l'encontre du discours ambiant et qui, de ce fait, sont impopulaires. Et ce, même si sa réputation peut en sortir écorchée. Les compromis, ce n'est pas dans sa nature. Rien ne l'arrête. L'épouse du chef du Parti conservateur et ancien premier ministre du Canada, Joe Clark, a même osé tenter sa chance en politique - en vain -, alors que les mauvaises langues disaient que ça ne se faisait pas.

Encore aujourd'hui, elle ne peut s'empêcher de militer, car, pour elle, l'inaction signifie qu'on adhère au statu quo, qu'on acquiesce à la mouvance générale de plus en plus dictée par des intérêts commerciaux. Ce commerce vorace qui empiète maintenant sur l'intégrité du corps humain, elle le dénonce haut et fort. "Accepter d'accorder des brevets sur le vivant, c'est réduire l'humain à une source de marchandises commercialisables", accuse-t-elle.

Au moment où les chercheurs canadiens s'arrogent le droit de détruire les embryons humains pour y puiser les fameuses cellules souches qu'on dit chargées d'immenses promesses pour les malades, Maureen McTeer croit qu'il est impératif que "la science trouve un équilibre entre son mandat visant à repousser les frontières de la connaissance, laquelle ouvre la porte à de multiples possibilités, et la protection des droits de la personne et des valeurs fondamentales de notre société, dont l'une est le respect de la vie humaine".

Les cellules souches

En fait, Maureen McTeer a été estomaquée que les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) s'autorisent à procéder à des recherches sur les embryons - créés en surplus à l'occasion de traitements contre l'infertilité -, alors que le projet de loi devant encadrer ces activités n'a pas encore été déposé au Parlement. "J'ai été étonnée qu'un groupe en particulier se croie au-dessus du Parlement canadien, dit-elle, surtout alors que la ministre de la Santé annonce qu'un projet de loi traitant des nouvelles techniques de reproduction et de la recherche sur les embryons sera déposé prochainement. Je trouve cette attitude d'une arrogance incroyable!"

Elle s'interroge: "Comment se fait-il qu'un groupe de pression ayant un intérêt dans l'une des grandes questions de priorité publique comme la science et qui utilise des fonds publics dirige le débat?"Ce n'est pas une façon démocratique de procéder, s'insurge-t-elle. "Il faut plutôt exposer toutes les options possibles, permettre à tous les Canadiens d'en débattre afin de prendre une décision éclairée. Ce sera ensuite au Parlement d'encadrer le tout par une loi qui reflétera le consensus auquel les citoyens seront arrivés.""Afin d'avoir accès aux cellules souches que contiennent les embryons pour les besoins de leurs recherches, les scientifiques se permettent de redéfinir le statut de cette étape du développement d'un être humain qui se déroule depuis la conception - la fécondation de l'oeuf avec le sperme - jusqu'au 14e jour du développement, s'inquiète Maureen McTeer. Pour nos instituts de recherche, cette étape n'est rien de plus qu'un amas de cellules indifférenciées. Elle est si peu importante qu'ils en nient son humanité."

Or, si l'individu n'est considéré que comme un simple tissu, prévient la juriste, cela ouvre la porte à la commercialisation du corps humain. Car, en vertu du droit canadien, les tissus peuvent être génétiquement modifiés et brevetés. Et tout le monde sait que "brevet" rime avec "commerce". Maureen McTeer refuse catégoriquement cette redéfinition de l'embryon précoce qui, à ses yeux, est une étape cruciale de notre voyage sur Terre.

Avortement et destruction des embryons

Une position qui n'empêche pas la féministe en elle, qui milita jadis pour le droit des femmes à l'avortement, de dénoncer vertement l'amalgame entre l'avortement et la destruction des embryons surnuméraires à des fins de recherche que se permettent de faire certains juristes. "Il est complètement inacceptable que des juristes défendent les scientifiques [qui désirent avoir accès aux embryons surnuméraires pour leurs recherches] en affirmant que, puisque l'avortement est permis durant les trois premiers mois de la grossesse, la destruction des embryons durant les premiers 15 jours de leur vie [pour des fins de recherche] est justifiable. C'est un manque total de jugement intellectuel!", tranche-t-elle.

"Dans le cas de l'avortement, il y a un conflit inconciliable entre les intérêts de la femme enceinte et ceux du foetus. La société a choisi de protéger d'abord la femme, car les droits des femmes à engendrer représentent une valeur aussi importante, sinon plus grande, que celle de l'enfant à naître. Cette position ne déconsidère absolument pas le foetus, insiste-t-elle. Mais forcer une femme à poursuivre une grossesse qu'elle ne désire pas, la forcer à donner naissance à un enfant qu'elle refuse est aussi une tragédie."

Dans la foulée, Maureen McTeer souligne que, pour les embryons créés par fécondation in vitro, le conflit physique entre la femme enceinte et le foetus en développement n'existe plus, car ces embryons ont été créés délibérément pour un projet de vie... "Nous avons donc la responsabilité de considérer l'avortement non seulement comme une cause à part, mais comme une exception à la règle générale selon laquelle toute vie humaine doit être respectée", précise-t-elle.

Par ailleurs, elle trouve ironique que ce soient ces mêmes embryons que l'on a créés avec tellement de difficultés pour des projets de vie élaborés par des couples infertiles et stériles qui soient maintenant convoités par les scientifiques.

"Dans tout ça, nous avons oublié la raison d'être de la création de ces embryons, ajoute-t-elle. Plutôt que d'offrir ces nombreux embryons abandonnés dans les cliniques de fertilité aux scientifiques, nous pourrions envisager de les donner en adoption aux couples infertiles qui sont forcés d'aller acheter ovules, sperme et embryons sur le marché, ou de louer les services d'une mère porteuse, avec les risques que cela comporte. Assurons-nous que, parmi ces embryons, certains permettent de réaliser des projets de vie et qu'ils ne deviennent pas seulement des outils de recherche."

Pour Maureen McTeer, ces enjeux sont extrêmement importants. Ils prennent un sens tout particulier alors que sa fille se marie dans quelques semaines et s'apprête à fonder une famille. La mère secoue la cage afin que le gouvernement intervienne avant qu'il ne soit trop tard. Juriste de formation, Maureen McTeer croit profondément au pouvoir législatif que détiennent les sociétés démocratiques comme la nôtre.

"Même si on accorde déjà des brevets sur des gènes et des tissus humains, on peut toujours introduire une clause à la Loi sur les brevets qui interdirait la brevetabilité de l'humain, de sa conception à sa mort, affirme-t-elle. Par ailleurs, j'exige que les règles encadrant la recherche sur l'humain s'appliquent à toutes les étapes de développement d'un être humain", lance-t-elle.

Il ne faut surtout pas croire que Maureen McTeer s'oppose à tout progrès scientifique. Bien au contraire, elle salue le travail des scientifiques, qui devraient quant à elle recevoir encore plus d'encouragements. Elle regrette en effet qu'ils n'aient pas été mieux soutenus financièrement par l'État.

"Je ne peux imaginer un monde sans la science, lance-t-elle. C'est un impératif moral. Nombre de nos problèmes, environnementaux notamment, seront bientôt résolus grâce aux progrès scientifiques. La science améliorera notre qualité de vie. Nous espérons tous des enfants en santé. Que des traitements permettant de guérir les multiples maladies qui nous affligent voient le jour. Mais on ne peut les obtenir à n'importe quel prix. Je ne désire pas freiner la science, je cherche uniquement l'encadrement législatif qui assurerait le meilleur bénéfice pour la collectivité."

Le rôle d'"épouse"

Maureen McTeer avoue qu'elle a été choyée par la vie. Alors, elle accepte sans vraiment de regrets les concessions que sa situation de conjointe d'un politicien important l'a obligée à faire dans sa propre vie professionnelle. De toute façon, dit-elle, on n'a pas vraiment le choix.

"Du fait que j'étais mariée à un chef de parti, à un ministre, à un premier ministre, ma carrière a été complètement différente de celle que j'aurais eue si j'avais épousé un homme d'affaires, par exemple. J'ai toujours tenu à ne pas me retrouver en situation de conflit d'intérêts avec le travail de Joe. C'est notamment parce que Joe avait le mandat de nommer les juges à titre de premier ministre et de ministre de la Justice que j'ai abandonné l'idée d'exercer ma profession d'avocate à la cour pour défendre des causes."

Son rôle d'"épouse" lui a peut-être coupé les ailes à certains moments, mais il lui a apporté beaucoup d'autres avantages, insiste-t-elle. Bien des voyages et des rencontres exceptionnelles et enrichissantes. "Une vie remplie", somme toute.

La satisfaction qu'affiche Maureen McTeer est probablement celle d'une femme comprise. "Joe m'a toujours épaulée dans mes décisions. Il m'a même encouragée à reprendre mes études", confie-t-elle.

Ces temps-ci, Maureen McTeer donne des conférences. Les questions éthiques que soulève la recherche médicale de pointe sont devenues son combat de tous les jours. Elle écrit aussi beaucoup, notamment ses mémoires - ou plutôt ses "réflexions" -, qui seront publiés à l'automne chez Libre Expression.

Elle planifie également son retour à l'université: cette fois, elle s'attaquera à un doctorat en sciences médicales ou en droit. Maureen McTeer semble toujours animée de la même fougue et de la même énergie.

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