Thérapie génique - le manque d'argent freine la recherche

La recherche sur la thérapie génique et cellulaire, cette technologie qui devrait permettre de vaincre le cancer au XXIe siècle, se bute à un énorme obstacle, financier en l'occurrence, qui freine l'élan des scientifiques québécois. Les ressources financières manquent, en effet, pour éprouver chez l'humain les résultats des découvertes effectuées dans les laboratoires québécois. En l'absence du soutien financier adéquat, les scientifiques québécois ne peuvent démarrer d'études cliniques chez l'humain alors qu'ils sont fin prêts, ce qui retarde d'autant le moment où cette technologie sera accessible à nos malades.

À l'occasion du colloque sur la thérapie génique et cellulaire du cancer qui se tenait les 11 et 12 avril derniers, les chercheurs du Centre de thérapie expérimentale du cancer de Montréal ont fait part au Devoir de leur déception de ne pouvoir offrir aux patients d'ici l'opportunité d'expérimenter cette thérapie révolutionnaire alors que la recherche fondamentale et les essais - pré-cliniques - sur les animaux vont bon train et génèrent des résultats extrêmement prometteurs.

La thérapie génique est apparue fin des années 80, début des années 90 comme la stratégie par excellence pour corriger définitivement les déficiences engendrées par les maladies héréditaires, telles que l'hémophilie et la dystrophie de Duchesne, et éventuellement pour s'attaquer au cancer, aux maladies cardiovasculaires, aux troubles du système nerveux central, au diabète et aux problèmes du système immunitaire. Le principe de la thérapie génique est à la fois simple et fabuleux. Pour combattre le cancer par exemple, on insère dans des virus préalablement désactivés un gène susceptible d'induire la mort des cellules cancéreuses. On injecte ensuite ces virus dans les tumeurs malignes afin d'y programmer leur destruction.

La thérapie cellulaire, quant à elle, consiste à prélever des cellules du patient que l'on modifie biochimiquement ou génétiquement en leur adjoignant un gène synthétique afin qu'elles deviennent une arme contre le cancer. On réintroduit ensuite ces cellules transformées chez le patient où elles pourront se lancer dans un corps à corps avec les cellules cancéreuses ou alerter le système immunitaire, qui se chargera de la bataille.

Bien que la thérapie génique ait connu quelques succès retentissants en accordant la guérison à deux enfants bulles - dont le système immunitaire était inopérant - et à une personne hémophile, son emploi pour torpiller le cancer n'a pas encore fait ses preuves, mais les espoirs sont grands. Sur environ 320 études cliniques visant à vérifier l'innocuité et l'efficacité de la thérapie génique chez l'humain, à peine quelques-unes sont effectuées au Canada, dont aucune au Québec.

"Le Québec regorge pourtant d'excellents chercheurs effectuant de la recherche fondamentale de pointe dans cette discipline", souligne le Dr Jacques Galipeau, hématologue-oncologue à l'Institut Lady Davis de l'Hôpital général juif. "Nous en formons également beaucoup qui n'ont d'autre choix, faute de ressources financières suffisantes, que de s'exiler. De plus, nous possédons les principales infrastructures - notamment des centres hospitaliers universitaires où les patients pourraient être traités - pour faire le saut chez l'humain. Mais les coûts associés à la production du matériel génétique synthétique et des vecteurs employés dans les stratégies de thérapie génique sont extrêmement prohibitifs et constituent de ce fait le principal obstacle à la mise en branle d'études cliniques au Canada."Ces coûts découlent de la qualité et de la quantité de vecteurs viraux exigées pour les études chez l'humain. "Ces dernières requièrent des vecteurs d'une qualité supérieure à celle requise dans nos expériences de laboratoire avec les souris, et qui soit comparable à celle des produits pharmaceutiques", précise le Dr Galipeau. "Aussi, pour traiter un humain qui pèse 2000 fois plus qu'une souris, il faut injecter beaucoup plus de vecteurs." Compte tenu du fait que les virus employés comme vecteurs ont perdu leur pouvoir de se multiplier.Contrairement aux États-Unis où le NIH (National Institutes of Health) a mis sur pied un laboratoire public, le National Gene Vector Laboratory, qui manufacture gratuitement ces matériaux de base - vecteurs et gènes synthétiques - pour les chercheurs universitaires désirant conduire des études cliniques chez des humains, la seule option offerte aux chercheurs canadiens consiste à en confier la fabrication à des entreprises de biotechnologie américaines spécialisées en la matière. "Ainsi, pour produire les vecteurs et le matériel génétique nécessaires au traitement d'une douzaine de patients cancéreux, il en coûterait 500 000 $, indique Jacques Galipeau. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas d'études cliniques visant à valider les découvertes effectuées par des chercheurs d'ici qui sont conduites au pays."Ce cas patent reflète une fois de plus le fossé entre les ressources allouées à la recherche publique aux États-Unis (qui s'élèvent à plus de 60 $ par individu) et celles consenties au Canada (moins de 10 $, avec une population presque dix fois moindre qu'aux États-Unis), souligne le scientifique, avant d'admettre sa réticence à abandonner aux Américains le développement des stratégies thérapeutiques que les chercheurs d'ici ont découvertes et mises au point. "Si on attend que les Américains le développent pour nous, nous n'aurons pas accès à la technologie avant dix ou quinze ans, prévient-il. Si on veut que nos patients bénéficient d'une thérapie expérimentale mais néanmoins très prometteuse pour les cancers incurables, il faut s'organiser."

Déterminés à amener ces technologies au chevet des patients québécois atteints de cancer, une vingtaine de chercheurs provenant de l'Université de Montréal, de l'Université Laval, de l'Université de Sherbrooke, de l'université McGill, de l'UQAM (l'Institut Armand-Frappier) et de l'Institut de recherche en biotechnologie se sont regroupés pour former le Centre de thérapie expérimentale du cancer de Montréal. "Depuis quelque temps, les gouvernements subventionnent de préférence des équipes, des réseaux, des chercheurs qui travaillent en synergie. Ce qui est fort louable car, jusqu'à récemment, la recherche sur le cancer ressemblait à la guerre médiévale avec des laboratoires indépendants travaillant en parallèle. Or, pour gagner la bataille contre le cancer, il faut travailler en équipe", affirme l'hématologue-oncologue.

Jacques Galipeau salue l'initiative du ministère de la Recherche, de la Science et de la Technologie du Québec d'avoir créé le programme de subvention "Valorisation Recherche Québec" (VRQ), qui a accordé 2,7 millions de dollars au Centre de thérapie expérimentale du cancer de Montréal - qui compte 20 chercheurs - pour les quatre prochaines années. Fort appréciée, cette subvention n'est toutefois pas suffisante pour mener une étude clinique sur une quinzaine de patients puisque les coûts, incluant la fabrication des vecteurs et le traitement des patients, sont évalués à près d'un million de dollars. Jacques Galipeau admet que "les organismes subventionnaires canadiens [et québécois] n'ont pas les ressources suffisantes pour financer l'exploration de nouveaux traitements pharmaceutiques biologiques de cette nature, qui sont très dispendieux".Même si les chercheurs du réseau n'excluent pas catégoriquement un partenariat avec une entreprise privée (pharmaceutique ou de biotechnologie), ils demeurent néanmoins quelque peu réticents à s'associer à l'industrie, "dont les objectifs plutôt mercantiles ne sont pas nécessairement compatibles avec ceux des chercheurs". Ils espèrent plutôt la mise sur pied d'autres initiatives gouvernementales à l'image du VRQ qui fourniraient les fonds opérationnels qui font défaut et qui empêchent la mise en branle d'études cliniques sur notre territoire.

Ils rêvent aussi qu'un ou des mécènes, des "angels" comme disent les anglophones, mus par un élan de générosité totalement gratuit, pensent à eux...

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