Un nouvel arsenal contre le cancer
Lors d'un récent colloque à l'Institut de recherche en biotechnologie (IRB), les chercheurs du Centre de thérapie expérimentale du cancer de Montréal révélaient leurs dernières découvertes en matière de thérapie génique et cellulaire, ce nouvel arsenal, encore expérimental, conçu pour combattre des maladies aussi diverses que le cancer, le diabète et des maladies génétiques.
Les stratégies imaginées pour battre en brèche le cancer sont non seulement légion mais également très prometteuses. L'une d'elles, expérimentée avec succès, est une thérapie génique qui consiste à injecter dans les tumeurs cancéreuses des virus préalablement désactivés contenant un gène suicide, qui, une fois intégré au bagage génétique des cellules malignes, leur ordonne de se suicider. Ainsi, à l'aide du gène de la thymidine kinase, un gène suicide issu du génome du virus du feu sauvage (Herpès simplex) qu'on a inséré dans l'enveloppe de virus synthétiques qui ont ensuite été administrés dans les tumeurs de rats atteints d'un cancer du cerveau, le Dr Jacques Galipeau, hématologue-oncologue à l'Institut Lady Davis de l'Hôpital général juif, a réussi à guérir près de 60 % de ces animaux.L'équipe du Dr Joséphine Nalbantoglu, de l'Institut neurologique de Montréal, a obtenu des résultats comparables grâce au gène de l'apoptose p 53. Sous l'effet de mutations spontanées, ce gène anticancer se bousille ou disparaît complètement, explique le Dr Galipeau. "Or, si on le réintroduit ou le surexprime artificiellement dans les cellules cancéreuses, on stoppe le cancer", dit-il.
Dans la même veine, Pinina Brodt, de l'hôpital Victoria, a fait appel à un "antigène" qui réprime l'expression, voire élimine certains gènes délétères qui dérèglent les cellules et les rendent carrément cancéreuses. La chercheuse a notamment introduit l'antigène du récepteur à l'hormone IGF-1 (Insulin Growth Factor), qui entraîne la disparition de ces récepteurs qui, lorsqu'ils se lient avec l'hormone IGF-1, stimulent la croissance des tumeurs cancéreuses à la manière d'un engrais sur une plante.
Une autre stratégie, appelée thérapie cellulaire, vise quant à elle à prélever des cellules du malade et à modifier leur bagage génétique en leur adjoignant des gènes qui normalement ne sont pas exprimés ou sont absents. "On force ces cellules à exprimer ces gènes et à produire de grandes quantités de protéines qui peuvent avoir un effet anticancéreux", précise Jacques Galipeau.
Son équipe a par exemple puisé des cellules de la moelle osseuse de petits animaux atteints de cancer. Elle les a multipliées en laboratoire et les a modifiées génétiquement afin qu'elles libèrent l'interleukine II, une hormone que notre organisme sécrète normalement lorsque nous avons un gros rhume et qui stimule le système immunitaire. Les chercheurs ont ensuite réinjecté ces cellules modifiées autour de la tumeur cancéreuse. "Véritable signal d'alarme, l'interleukine II alerte les bataillons du système immunitaire qui se précipitent alors sur le site du cancer, le reconnaissent comme un intrus, l'attaquent et le détruisent", explique le scientifique.
Claudine Rancourt, de l'Université de Sherbrooke, a pour sa part prélevé des cellules de la paroi abdominale de souris souffrant d'un cancer de l'ovaire. Elle a trafiqué l'ADN de ces cellules afin qu'elles larguent une protéine "anti-angiogénique", qui détruit les vaisseaux sanguins dont a besoin le cancer pour croître.
Pour combattre le même cancer, l'équipe du Dr Galipeau a quant à elle eu recours à des globules blancs qu'elle a décorés de protéines particulières - appelées anticorps bispécifiques - capables de reconnaître certaines molécules exprimées à la surface des cellules cancéreuses. "Cette manipulation biochimique des globules blancs avant qu'on ne les administre au malade les aide à reconnaître les cellules malignes et leur permet d'interagir physiquement avec elles dans le but de les détruire", souligne Jacques Galipeau.
Animaux domestiques
Par ailleurs, les chercheurs de la faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal s'appliquent à vérifier l'efficacité de la thérapie génique chez des animaux domestiques qui développent spontanément des cancers du sein ou de la prostate . "Le cancer est un important problème de santé chez les chats et les chiens", nous apprend le Dr Marilyn Dunn, professeur à la faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal. "Près de 45 % de ces animaux âgés de plus de 10 ans développent un cancer et la plupart d'entre eux en meurent." Ces cancers qui surgissent naturellement chez les animaux représentent donc un modèle beaucoup plus réaliste de la maladie qui frappe les humains que les tumeurs induites artificiellement chez les souris et les rats, souligne le Dr Galipeau. "De plus, ils permettent une première validation de nos découvertes à un coût beaucoup plus abordable qu'une étude clinique chez l'humain."
Dans le cadre d'une première étude, Marilyn Dunn tente d'incorporer dans les tumeurs malignes de chiennes atteintes d'un cancer du sein un gène exprimant un marqueur afin de vérifier si le transfert génique a effectivement lieu. "Si ce transfert réussit, nous introduirons une cargaison d'agents thérapeutiques [le gène exprimant l'interleukine II notamment] dans les vecteurs", annonce le Dr Dunn, qui affirme que les premiers animaux traités n'ont souffert d'aucun effet secondaire. "Dans nos laboratoires, nous réussissons régulièrement à guérir des souris du cancer par cette thérapie. Mais le vrai test consistera à guérir les humains", lance Jacques Galipeau.
À l'heure actuelle, il est difficile d'espérer que la thérapie génique et cellulaire devienne un traitement accessible dans nos hôpitaux avant huit à dix ans, reconnaissent Jacques Galipeau et Amine Kamen, chercheur à l'IRB. Ce qui ne devrait surprendre personne puisque "même pour des traitements traditionnels, il faut environ 15 ans avant qu'ils soient autorisés et fassent partie de la pratique courante", fait remarquer M. Kamen. Les patients québécois pourraient toutefois y avoir accès dans le cadre de protocoles de recherche clinique si les chercheurs parviennent à décrocher le soutien financier nécessaire...