Sécuritaires, les laboratoires de recherche scientifique?

Au laboratoire P4, sur le campus de l’Institut de virologie de Wuhan, des recherches sur les maladies les plus dangereuses au monde sont conduites. Certains hauts responsables américains ont d’ailleurs soupçonné cet endroit d’être à l’origine de la pandémie de COVID-19.
Photo: Hector Retamal Agence France-Presse Au laboratoire P4, sur le campus de l’Institut de virologie de Wuhan, des recherches sur les maladies les plus dangereuses au monde sont conduites. Certains hauts responsables américains ont d’ailleurs soupçonné cet endroit d’être à l’origine de la pandémie de COVID-19.

L’hypothèse de la fuite du nouveau coronavirus d’un laboratoire chinois, voire de sa possible modification génétique par des scientifiques, a été relancée récemment. Le débat autour des mesures de sécurité encadrant les centres de recherche les plus sensibles de la planète a, du même coup, été relancé.

S’il n’existe à l’heure actuelle aucune preuve que le SRAS-CoV-2 provient de l’Institut de virologie de Wuhan, ville berceau de la pandémie, de nombreux experts appellent non seulement à la poursuite de l’enquête sur son origine, mais aussi à un meilleur contrôle de ce type de laboratoires.

L’Institut de Wuhan, centre de recherche majeur sur les coronavirus, mais dont Pékin nie vigoureusement le lien avec l’émergence de la COVID-19, possède notamment un laboratoire dit P4, pour pathogène de classe 4.

Cette classification traduit « le plus haut niveau de protection pour empêcher un pathogène d’infecter un chercheur ou de s’échapper dans la nature », explique à l’AFP Gregory Koblentz, spécialiste de biodéfense à l’Université George Mason, aux États-Unis.

Les erreurs humaines constituent 70 % des erreurs dans les laboratoires

Un peu moins d’une soixantaine de laboratoires similaires sont en fonctionnement ou en construction dans le monde, selon un récent rapport qu’il a coécrit.

« Les systèmes de ventilation sont conçus pour que les virus ne puissent s’échapper par les aérations, et l’eau qui sort de ces bâtiments est traitée avec des produits chimiques ou des températures élevées », détaille-t-il.

Toutefois, « il n’existe aucune norme internationale contraignante », selon ce rapport. Et des accidents sont survenus par le passé.

Manipulations génétiques

 

En 2004, deux étudiants chinois sont infectés par le SRAS, un autre coronavirus sur lequel des travaux sont menés au sein de l’Institut national de virologie de Pékin, où ils travaillent. Plusieurs cas sont confirmés dans leur entourage, et la mère de l’un d’eux décède.

Lynn Klotz, du Centre pour la non-prolifération et la lutte contre les armes, sonne l’alarme sur les risques posés par ces structures depuis des années. « Les erreurs humaines constituent 70 % des erreurs dans les laboratoires », explique-t-il à l’AFP.

La théorie d’une fuite du SRAS-CoV-2 depuis l’Institut de Wuhan est par ailleurs doublée, aux États-Unis, d’accusations de manipulations génétiques dangereuses, notamment relayées par certains élus républicains.

Ces derniers accusent les Instituts de santé nationaux (NIH) américains d’avoir financé à Wuhan des recherches dites de « gain de fonction » (gain-of-function, en anglais). Mais les NIH nient avoir participé à de tels travaux.

De quoi s’agit-il ?

Les recherches de « gain de fonction » constituent des modifications délibérées « dans le code génétique, conduisant à ce qu’une molécule acquière une nouvelle fonction qu’elle n’avait pas auparavant », explique à l’AFP Marc Lipsitch, professeur d’épidémiologie à Harvard.

Un terme « large » qui regroupe également des expériences communes et inoffensives. « C’est pourquoi certaines personnes utilisent le terme “gain de fonction préoccupante” » pour qualifier les études plus problématiques, précise-t-il.

Ces travaux-là peuvent ainsi viser à introduire des changements pour accroître la virulence ou la transmissibilité d’un pathogène.

Quel intérêt ? « Si vous pouvez comprendre quelles mutations sont requises pour qu’un virus de la grippe circulant chez les oiseaux soit capable d’infecter les humains, vous pouvez surveiller si ces mutations surviennent chez les virus dans la nature, et accroître votre vigilance à leur égard », explique Amesh Adalja, de l’Université Johns Hopkins.

Mais pour certains spécialistes, les risques d’accident sont trop grands, pour un bénéfice peu élevé. « La préoccupation est qu’un organisme modifié ayant le potentiel de se transmettre entre humains infecte accidentellement quelqu’un dans un laboratoire et lance une chaîne d’infections non contrôlée », dit Marc Lipsitch.

Quelle régulation ?

Les premiers débats sur le sujet remontent à 2011, avec les travaux de chercheurs ayant créé des versions du virus de la grippe aviaire H5N1 capables de se transmettre entre mammifères.

Une énorme controverse éclate alors. Certains craignent que ces techniques puissent être utilisées par des « bioterroristes ».

En 2014, sous pression de nombreux scientifiques, dont Marc Lipsitch, les États-Unis suspendent les recherches de « gain de fonction » sur les virus grippaux et sur les coronavirus.

La préoccupation est qu’un organisme modifié ayant le potentiel de se transmettre entre humains infecte accidentellement quelqu’un dans un laboratoire et lance une chaîne d’infections non contrôlée

Une mesure finalement levée en 2017, avec l’instauration d’un nouveau cadre : ces travaux doivent désormais être étudiés au préalable par un comité spécial, au cas par cas.

Mais les membres de ce comité sont anonymes, et leurs délibérations ne sont pas publiques, déplore M. Lipsitch. Le processus « n’est pas transparent ».

Pour Alina Chan, biologiste moléculaire au Broad Institute, les laboratoires conduisant ces recherches devraient surtout être situés dans des endroits très isolés, et tous leurs employés soumis à une quarantaine avant de retourner en société.

Selon elle, une interdiction pure et dure ne ferait en revanche qu’encourager des recherches clandestines. « Les scientifiques sont des gens très créatifs, on trouvera un moyen de rendre ça plus sûr », conclut-elle.

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