Les enjeux du numérique chez les jeunes ont été accentués par la pandémie

Catherine Couturier
Collaboration spéciale
L’enseignement en ligne a mis en évidence les inégalités numériques entre les jeunes, qui, contrairement à la croyance populaire, ne sont pas tous «nés dedans».
Photo: Nelson Almeida Agence France-Presse L’enseignement en ligne a mis en évidence les inégalités numériques entre les jeunes, qui, contrairement à la croyance populaire, ne sont pas tous «nés dedans».

Ce texte fait partie du cahier spécial 88e congrès de l'Acfas

Le colloque Environnement numérique : perspectives critiques et enjeux de bien-être chez les enfants et les adolescents s’intéresse à une question brûlante d’actualité, la pandémie ayant transporté presque toutes nos activités et nos interactions sur les écrans.

« Le numérique est dans toutes les activités humaines. On voulait apporter un regard pluriel et croisé sur la variété d’enjeux qu’il pose », explique Jean Gabin Ntebutse, professeur au Département de pédagogie de l’Université de Sherbrooke et organisateur du colloque.

Au-delà du temps d’écran

Dans sa conférence d’ouverture, la professeure de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke Caroline Fitzpatrick fera un survol de l’état des connaissances sur l’incidence des écrans chez les enfants. « Un mois avant le grand confinement, le ministère de la Santé a organisé un forum pour faire une mise au point des connaissances. L’ensemble des chercheurs avaient déjà des inquiétudes importantes », relate-t-elle. Puis la COVID-19 est venue faire exploser le temps d’écran.

Les conséquences d’un abus d’écrans sur les jeunes sont multiples : moins bonne préparation scolaire, moins de vocabulaire, d’engagement, d’habileté motrice, incidence sur l’IMC et les fonctions exécutives, etc. L’OMS recommande ainsi d’éviter tout écran avant 2 ans, et de limiter à 1 heure par jour entre 2 et 5 ans et à 2 heures pour le temps de loisir pour les enfants d’âge scolaire et les adolescents.« Pour les plus vieux, on suggère d’ouvrir le dialogue, de discuter de leur expérience en ligne, ou encore de jouer avec eux de temps en temps », continue Mme Fitzpatrick. À l’adolescence, on s’éloigne des idées de limites strictes puisque les jeunes doivent apprendre à s’autoréguler. Malheureusement, ce ne sont pas toutes les familles qui ont les ressources pour accompagner leurs enfants dans cette gestion des écrans et de leurs contenus.

« On s’est beaucoup focalisés sur le temps d’écran dans les recherches. Mais c’est aussi important de considérer la qualité du contenu et le contexte d’usage », précise-t-elle toutefois. Elle mène avec des chercheurs de 11 pays une large recherche pour établir une mesure très détaillée de l’utilisation des médias numériques par les enfants. Par la force des choses, le projet qu’elle amorçait est devenu une étude « COVID ». La professeure a donc examiné l’utilisation des écrans durant la COVID-19 auprès de 330 familles.

On s’est beaucoup focalisés sur le temps d’écran dans les recherches. Mais c’est aussi important de considérer la qualité du contenu et le contexte d’usage.

 

Alors que les études antérieures s’attardaient à évaluer le temps passé devant les écrans par type (télévision, ordinateur, jeux vidéo), les mesures seront plutôt effectuées sur les types de contenu et le contexte. L’écoute se déroule-t-elle sous la supervision du parent ? Quel est l’état d’esprit de l’enfant quand il utilise un écran — est-il calme, de bonne humeur, fâché ? « On veut mieux comprendre dans quelles circonstances le temps d’écran serait le plus néfaste, et quelles variables le rendent positif », illustre Mme Fitzpatrick.

La professeure Fitzpatrick ne veut pas faire sentir davantage coupables les parents déjà inquiets de l’augmentation du temps de l’écran, dans cette période anxiogène. « Il faut s’assurer d’avoir du temps pour les autres activités bénéfiques — sommeil, activité physique et interaction avec les autres — et trouver un équilibre », précise-t-elle.

(In)égalité numérique à l’ère de l’apprentissage en ligne

Jean Gabin Ntebutse dressera quant à lui un Portrait du bien-être numérique des jeunes en contexte d’apprentissage en ligne et à distance. « Je m’intéresse à ces questions depuis 2010 à travers une approche sociocritique », explique-t-il. Plusieurs mythes continuent d’être véhiculés autour du numérique, notamment que les jeunes « nés dedans » possèdent tous des compétences numériques égales. Or, on constate que leur rapport au numérique est très hétérogène et inégalitaire.

La pandémie de COVID-19 et le passage à l’enseignement à distance et en ligne ont mis en lumière ces inégalités préexistantes. Les jeunes ne sont en effet pas tous égaux tant du point de vue de l’accessibilité aux outils (matériel informatique comme connexion haute vitesse) que des compétences d’usage.

Le professeur Ntebutse présentera ainsi les résultats préliminaires d’un projet de recherche financé par la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec portant sur l’incidence de l’égalité numérique sur l’apprentissage des jeunes en ligne et à distance. Le sondage en ligne a été envoyé auprès d’écoles secondaires et d’universités. M. Ntebutse dévoilera lors du colloque quelques résultats préliminaires récoltés auprès de trois écoles secondaires. Même s’ils sont partiels, ils donnent des informations intéressantes sur les problèmes rencontrés par les jeunes, notamment la difficulté de s’autoréguler et de se concentrer, et l’importance du soutien et de l’accompagnement des parents et des enseignants.

Ces résultats restent préliminaires, mais donnent des pistes aux chercheurs, qui présenteront leur portrait final aux écoles et aux universités pour ultimement dégager des pistes d’actions afin de favoriser la persévérance scolaire. « La question de l’équité numérique est importante, et les pouvoirs publics devraient y accorder plus d’attention. Ce n’est pas nouveau, mais la pandémie a mis en lumière les problèmes : on a pu voir que les élèves n’avaient pas tous les mêmes conditions ou accès au même soutien », résume M. Ntebutse.

Le bien-être numérique des élèves en chiffres

Quelques résultats du portrait du bien-être numérique des élèves (échantillon de 141 élèves de 4e et 5e secondaire) :

• Les deux principaux appareils avec lesquels les jeunes se connectent à la maison sont l’ordinateur (86 %) et le téléphone intelligent (80 %).

• Apprentissage autorégulé à distance : seulement 31 % des élèves disent qu’ils sont à l’aise de rester concentrés et impliqués dans les cours en situation d’apprentissage à distance.

• Appréciation de l’enseignement à distance reçu pendant la période de confinement : 41,1 % l’évaluent négativement.

• Aide reçue pour effectuer les tâches d’apprentissage effectuées à distance : 48 % des parents, 57 % des pairs et 62 % des enseignants l’ont fournie.

 

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.



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