Une menace, les enfants?

Plusieurs études observationnelles et épidémiologiques semblent indiquer que les enfants sont moins susceptibles de contracter la COVID-19 et de la transmettre que les adultes. Ces données, pour le moins rassurantes au moment où on s’apprête à rouvrir les écoles primaires et les garderies, demandent toutefois à être confirmées, d’autant que les résultats d’autres études biologiques suggèrent plutôt que les enfants contribueraient autant à la transmission de l’infection que les adultes.
L’histoire du jeune Britannique de 9 ans qui avait contracté la COVID-19 en janvier dernier après avoir été infecté par un ami de la famille alors qu’il passait des vacances dans les Alpes françaises a d’abord étonné la communauté scientifique. Ne souffrant que de légers symptômes, le garçonnet avait suivi ses cours de ski et était rentré à l’école avant qu’il ne soit diagnostiqué et déclaré positif. Il n’avait transmis le virus à aucune des 72 personnes testées avec lesquelles il avait été contact. Et ni son frère ni sa sœur n’ont été infectés par la COVID-19, mais ils ont souffert ultérieurement, tout comme lui, d’une grippe et d’un rhume. Bien qu’il s’agisse d’un cas anecdotique, plusieurs autres études laissent entendre que les enfants ne seraient pas d’importants vecteurs du SRAS-CoV-2 : ils ne contracteraient pas le virus aussi facilement que les adultes et le transmettraient peu aux autres. Selon diverses études épidémiologiques, les jeunes enfants sont nettement moins affectés par l’infection que les adultes, comme en témoignent le petit nombre d’enfants infectés et les symptômes peu sévères, voire inexistants, de ces derniers. Qui plus est, des données sur le suivi de leurs contacts et des études familiales, dont notamment sur 54 ménages néerlandais incluant 123 adultes et 116 enfants âgés de 16 ans et moins, n’ont révélé aucun cas où un enfant était le patient zéro, soit la première personne à avoir été contaminée dans son réseau familial ou de contacts.
Mais des chercheurs allemands de la Charité-Universitätsmedizin Berlin ont fait remarquer qu’il était difficile d’estimer la réelle contribution des enfants dans la transmission alors que les écoles et les garderies sont fermées, car les enfants ont ainsi beaucoup moins de contacts, ce qui réduit la possibilité qu’ils soient à l’origine d’un foyer d’infection dans leur famille. Dans le but d’éclaircir cette question, ils ont mesuré et comparé la charge virale, soit la quantité de virus, dans les voies respiratoires de personnes de différents âges. Or, ils n’ont trouvé aucune différence entre les enfants et les adultes, ce qui les a conduits à conclure que les enfants pouvaient probablement propager le virus aussi bien que les adultes.
« Ce n’est pas parce que la charge virale est la même que, nécessairement, la transmission sera la même. On peut avoir beaucoup de virus dans la gorge, mais si on n’a pas beaucoup de symptômes, on transmet beaucoup moins que quelqu’un qui tousse abondamment », déclare la pédiatre et microbiologiste-infectiologue Caroline Quach, du CHU Sainte-Justine.
« La quantité de virus excrétés, soit la charge virale dans les sécrétions respiratoires, est une des variables qui entrent en ligne de compte dans le fait qu’une personne soit infectieuse, mais ce n’est pas la seule », ajoute le Dr Jesse Papenburg, spécialiste en microbiologie et infectiologie pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants.
Pour expliquer le fait que les enfants seraient vraisemblablement moins sensibles au SRAS-CoV-2, des chercheurs chinois ont avancé l’idée que le nombre et l’affinité des récepteurs cellulaires ACE2, auxquels le virus doit s’attacher pour pénétrer dans la cellule qu’il veut investir pour se reproduire, seraient moindres chez les enfants que chez les adultes, ce qui diminuerait l’aptitude du virus à infecter de nouvelles cellules chez l’enfant. « Mais il ne s’agit que d’une hypothèse », précisent les Drs Quach et Papenburg, qui soulignent par ailleurs le fait que les tests PCR dont s’est servie l’équipe allemande pour déterminer la charge virale ne précisent pas si les virus dénombrés sont viables et capables d’infecter des cellules.
« Le SRAS-CoV-2 ne semble pas se comporter de la même façon que les autres virus d’infections respiratoires communes, comme le virus respiratoire syncytial, le rhume, la grippe et même la bactérie de la coqueluche, pour lesquels les enfants sont de bons propagateurs à la maison, à la garderie et à l’école », poursuit le Dr Papenburg. Les enfants propagent plus allègrement ces infections communes saisonnières que les adultes parce qu’ils sont en primo-infection. « Comme c’est la première fois qu’ils sont infectés, ils excrètent des virus plus longtemps et en plus grand nombre parce qu’ils n’ont aucune immunité qui leur permettrait de contrôler l’infection, contrairement aux adultes qui ont acquis une certaine immunité en raison des multiples infections qu’ils ont eues. Or, comme aucun humain n’avait rencontré le SRAS-CoV-2, personne n’a d’immunité partielle. Tout le monde, enfants et adultes, est en primo-infection, ce qui expliquerait pourquoi la charge virale semble être la même à tous les âges », explique le Dr Papenburg.
Il est clair que par leurs contacts nombreux et rapprochés, ainsi que leur charge virale élevée, les jeunes enfants devraient transmettre le SRAS-CoV-2 aussi bien, sinon plus que les adultes. Or, les études observationnelles et épidémiologiques suggèrent plutôt le contraire. « Mais il existe d’autres infections pulmonaires que les enfants transmettent moins bien que les adultes : notamment la tuberculose, une infection bactérienne qui se transmet non pas seulement par gouttelettes, mais aussi par aérosols (particules ultrafines qui restent en suspension dans l’air) », fait remarquer le Dr Papenburg. Deux raisons sont avancées pour expliquer la moins grande aptitude des enfants à transmettre la tuberculose : les enfants seraient moins capables de générer des aérosols que les adultes et la localisation de l’infection dans les poumons n’est pas la même chez l’enfant que chez l’adulte.
« Y aurait-il, pour la COVID-19, une localisation différente de l’infection entre les adultes et les enfants qui jouerait un rôle dans la transmission ? Les tests visant à mesurer la charge virale se font uniquement sur les sécrétions nasopharyngées et ne nous indiquent pas la charge présente dans les poumons. La COVID-19 serait-elle plus transmissible quand la charge virale est abondante dans les voies respiratoires inférieures que dans les voies respiratoires supérieures ? Est-ce qu’il y aurait une plus grande production de gouttelettes et d’aérosols quand un adulte tousse et parle ? Ce sont des hypothèses qu’il faudrait examiner », s’interroge le Dr Papenburg.
Réouverture des écoles
Lors de la réouverture des écoles, « on sait qu’il y aura de la transmission parce qu’aussitôt qu’il y a des regroupements, il y a un risque de transmission. Mais comme l’a dit le Dr Arruda, c’est un risque calculé. S’il y a de la transmission, mais pas de maladies graves, ça va », affirme la Dre Quach, tout en précisant qu’« avant de rouvrir les écoles, il faut toutefois s’assurer que ça soit relativement tranquille dans la communauté parce qu’autrement, le système de santé ne pourra absorber une nouvelle augmentation de la transmission ».
« Étant donné que les enfants contractent moins l’infection et sont moins malades que les adultes, ils participent moins à la transmission que les adultes, la réouverture des écoles primaires et des CPE est probablement la bonne stratégie pour commencer le déconfinement. Mais le Québec est-il prêt avec le niveau de transmission actuel ? C’est une autre question », croit le Dr Papenburg.
Une étude menée dans les écoles de la Nouvelle-Galles-du-Sud, en Australie, semble justement indiquer que les enfants ne seraient pas d’aussi bons agents de propagation du SRAS-CoV-2 qu’on l’imaginait. Cette enquête a montré qu’entre le début mars et la mi-avril, 18 personnes (9 enseignants et 9 élèves) ont été infectées, et que parmi les 735 élèves et 128 membres du personnel qui sont entrés en contact avec ces individus contaminés — avant que leur statut ne soit déclaré positif —, seulement deux élèves ont contracté la COVID-19. « Mais est-ce vraiment les enfants qui transmettent moins ou est-ce le résultat des mesures de distanciation et d’hygiène qui ont été adoptées dans ces écoles pour éviter la transmission [qui ont donné ces résultats] ? » se demande le Dr Papenburg.
Beaucoup d’observations convergent donc dans la même direction, mais elles restent à être confirmées, concluent les Drs Quach et Papenburg.