Les maladies orphelines, parents pauvres de la recherche

Depuis l’âge de six mois, Sam, aujourd’hui âgé de 18 ans, doit interrompre ses activités toutes les deux heures et demie pour avaler un mélange de fécule de maïs et de lait de soya. La nuit, une alarme le réveille toutes les quatre heures pour qu’il consomme cette mixture sans laquelle il risque de tomber en hypoglycémie, et même pire, de faire des convulsions.
Sam souffre de glycogénose de type 1, une maladie génétique très rare. Hormis cette diète très contraignante qui complique considérablement la vie de Sam, il n’existe aucun traitement pour cette maladie dont souffrent à peine 6000 personnes dans le monde, dont 20 au Québec.
Comme pour la plupart des maladies orphelines, les compagnies pharmaceutiques sont réticentes à investir dans la mise au point d’un traitement dont bénéficieraient un nombre aussi limité de patients.
En 1983, les États-Unis ont adopté l’Orphan Drug Act dans le but d’encourager le développement de traitements pour les maladies orphelines. Cette loi accorde aux compagnies qui s’engagent dans de tels projets certains avantages, tels qu’une réduction de taxes ou une exclusivité de marché. Le Japon a adopté une loi similaire en 1993 et l’Union européenne en 2000.
L’Orphan Drug Act a ainsi stimulé la création de compagnies s’intéressant aux maladies orphelines. L’une d’elles, l’entreprise Ultragenyx, s’est lancée dans la mise au point d’une thérapie génique destinée à améliorer la vie des personnes qui, comme Sam, sont atteintes d’une glycogénose de type 1.
Cette thérapie fait actuellement l’objet d’une première étude clinique chez l’humain aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Espagne et au Canada. Sam est le seul Canadien parmi les neuf patients qui participent à cette étude de phase 2 visant à vérifier si le traitement est inoffensif et à déterminer la dose nécessaire pour que l’effet se manifeste.
Expérience
Le 3 décembre dernier, Sam a donc reçu par intraveineuse une solution de virus contenant des copies normales du gène qui, chez lui, est défectueux en raison d’une mutation.
«Nous utilisons des virus adéno-associés (Adeno-associated virus AAV-8) qui ne causent aucune maladie chez l'humain. On retire l'ARN du virus et on le remplace par une copie normale du gène qui synthétise une enzyme, la glucose-6-phosphatase, qui permet de convertir le glycogène entreposé dans le foie en glucose libre dans le sang. Une fois injectés dans l’organisme, ces virus pénètreront dans le foie et inséreront leur ADN dans les cellules hépatiques. Le foie commencera alors à produire l'enzyme que Sam n’arrive pas à synthétiser, et celle-ci devrait lui permettre de briser le glycogène en glucose libre qui pourra rejoindre la circulation sanguine et lui permettre d’allonger ses périodes de jeûne [voulant dire sans manger] et de mener une vie plus normale», précise le Dr John Mitchell, expert des maladies métaboliques rares au Centre universitaire de santé McGill (CUSM).
Si le traitement atteint son but, le foie de Sam commencera alors à produire enfin l’enzyme nécessaire pour libérer l’énergie qu’il garde en réserve sous forme de glycogène. Sam bénéficierait alors non seulement d’une vie plus normale, mais il serait moins susceptible de développer des maladies graves.
« Sam n’est pas seulement à risque à court terme d’hypoglycémie, mais aussi à long terme de cancer du foie, de dommages aux reins et d’une hyperlipémie susceptible de lui causer des problèmes cardiovasculaires », résume le Dr Mitchell, qui est directeur de la division d’endocrinologie de l’Hôpital de Montréal pour enfants (HME).
Espoir
Sam a accepté de participer à l’essai clinique malgré les risques et les multiples tests que comporte ce genre d’étude« parce que les résultats semblaient prometteurs ».
« Le traitement était censé me permettre d’espacer les prises de fécule de maïs et de pouvoir passer six heures sans avoir à en consommer. C’est ce qu’on a observé chez les premiers patients de l’étude. Cela m’a motivé », confie Sam qui termine son cégep et prévoit d’aller étudier en ingénierie de la production automatisée, à l’ETS.
Même si, pour le moment, l’amélioration n’est pas aussi spectaculaire qu’attendu, il fonde encore beaucoup d’espoir sur ce traitement. Si cette phase 2 de l’étude continue à bien se passer, les chercheurs procéderont à une phase 3 qui consistera à évaluer spécifiquement l’efficacité du traitement.
Après cette dernière étape, la compagnie Ultragenyx devra soumettre une demande d’approbation dans les différents pays où elle désirera le commercialiser. « Comme le Canada est un plus petit pays que les États-Unis et l’Europe, les compagnies pharmaceutiques privilégient d’abord ces deux dernières régions du monde, où elles trouveront un plus grand nombre de patients, pour mettre en marché leurs nouveaux médicaments », fait remarquer le Dr Mitchell qui coordonne l’étude clinique en cours, au Canada.
Outre l’incitatif financier qui est moindre au Canada, un autre problème décourage les compagnies de demander une autorisation de mise en marché au Canada.
« Quand un médicament est accepté par la Food and Drug Association (FDA), il peut être vendu. Au Canada, l’approbation de Santé Canada n’est qu’une première étape. La compagnie devra soumettre son médicament à un autre processus d’évaluation, qui sera effectué par l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé (ACMTS).
« L’ACMTS pose un regard détaillé sur les effets du médicament, sur son coût et le niveau de qualité de vie qu’il procure par rapport à son coût. Le Canada est particulièrement rigoureux, plus qu’aux États-Unis, dans la revue des nouveaux médicaments. Au terme de son évaluation, l’ACMTS formulera des recommandations aux provinces qui financent cette évaluation. Chaque province décide ensuite si elle intégrera ce nouveau traitement à la liste des médicaments que couvre son régime d’assurance maladie. »
« Pour sa part, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) effectue sa propre analyse coût-avantage avant de décider d’inclure le nouveau médicament dans sa liste de médicaments pouvant être prescrits et remboursés sans restriction par les médecins, et ce, même si l’ACMTS en a déjà fait une », souligne le Dr Mitchell avant d’ajouter que « l’Australie et le Japon ont des programmes nationaux spécifiques pour financer les traitements pour les maladies rares ».
Autre handicap qui freine le développement de traitements pour les maladies orphelines : le coût de ces médicaments qui est généralement très élevé.
De plus, le fait que le nombre de patients susceptibles de les acheter sera minime ne contribue pas à les rendre moins dispendieux, fait aussi remarquer le Dr Mitchell qui continue à se battre pour que ses patients puissent accéder à des traitements capables d’améliorer leur qualité de vie.