Le Groenland se liquéfie

La calotte glaciaire du Groenland a perdu 3800 milliards de tonnes de glace depuis 1992. Et elle continue de rétrécir à un rythme sept fois plus rapide que dans les années 1990, révèle une étude publiée mardi 10 décembre dans la revue Nature.
Une équipe de 96 spécialistes des sciences polaires dénommée IMBIE (Ice Sheet Mass Balance Inter-comparison Exercise) a analysé et comparé 26 relevés satellitaires du Groenland obtenus entre 1992 et 2018.
Ces relevés ont ainsi permis de préciser l’ampleur de la détérioration de cette deuxième plus grande masse de glace sur Terre après celle de l’Antarctique.
« Bien que le volume de glace emprisonné dans le Groenland ne représente que 12 % de celui que renferme l’Antarctique, ses récentes pertes de glace ont néanmoins été près de 36 % plus grandes en raison d’un réchauffement atmosphérique et océanique relativement important qui s’est produit dans son voisinage, ce qui en fait une source majeure de la montée du niveau de la mer, un statut qu’il devrait conserver dans le futur », soulignent les auteurs de l’article.
Dans les années 1990, la masse de glace de cette calotte glaciaire était presque en équilibre : les précipitations de neige l’hiver contrebalançaient plus ou moins la fonte des glaces durant l’été. Mais, par la suite, cet équilibre a été rompu, les pertes de glace ont commencé à s’accroître progressivement, atteignant un taux maximum de 335 milliards de tonnes de glace perdues par année, en 2011.
À partir de 2012, la tendance s’est inversée, les pertes annuelles ont ralenti grâce une circulation atmosphérique favorisant des conditions plus fraîches, et une baisse des températures de l’océan. Entre 2013 et 2017, elles s’élevaient en moyenne à 217 milliards de tonnes de glace par an.
Mais compte tenu des records de chaleur que nous avons connus en 2019, la fonte pourrait à nouveau s’accroître, avancent les chercheurs, qui ne disposaient pas de données pour 2019.
En utilisant des modèles du climat régional, les chercheurs ont pu quantifier la contribution des deux processus responsables de la perte de masse de l’inlandsis du Groenland. Ils estiment que la fonte de la glace en surface de la calotte glaciaire qui survient en raison de l’augmentation des températures de l’air et de la réduction du couvert nuageux durant l’été compterait pour 52 % de la perte totale.
« Cette eau de fonte peut ruisseler à la surface du glacier, mais aussi s’infiltrer dans des anfractuosités et se retrouver sous le glacier, où elle s’écoulera vers la mer, entraînant avec elle le glacier. Cette eau peut ainsi accélérer le mouvement du glacier vers la mer », explique Jean-Éric Tremblay, spécialiste de l’océanographie des mers froides à l’Université Laval.
Les experts ont évalué que 48 % de la perte de glace du Groenland est imputable au déplacement du glacier vers la mer.
Hausse du niveau des océans
« Le glacier glisse graduellement de la terre vers l’océan. Et lorsqu’il entre en contact avec l’eau de la mer, laquelle s’est réchauffée, il se brise en morceaux, d’où une formation accrue d’icebergs », précise M. Tremblay.
Globalement, le Groenland s’est vu délesté de 3800 milliards de tonnes de glace depuis 1992. La fonte de toute cette glace a entraîné une hausse globale du niveau de la mer de 10,6 millimètres depuis 1992.
L’eau que renferme la calotte glaciaire du Groenland pourrait, si elle fond, élever le niveau global des océans de 7,4 mètres, précisent les auteurs de l’étude.
« À chaque centimètre d’élévation du niveau global de la mer, six millions de personnes supplémentaires seront exposées à des inondations côtières à travers la planète » affirme Andrew Shepherd, de l’Université de Leeds, co-auteur de l’étude.
Les pertes totales de glace au Groenland sont très proches de celles qui avaient été prédites par le scénario le plus catastrophique de l’Intergovernmental Panel on Climate Change (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), lequel prévoyait une hausse additionnelle de 50 à 120 millimètres du niveau de la mer en 2100, font remarquer les auteurs. Or, une telle hausse exposerait 40 millions de personnes de plus à des inondations annuelles.
Jean-Éric Tremblay salue la qualité des résultats de cette étude, qui a été effectuée par « tous les experts mondiaux du domaine » et qui a permis de préciser les estimations de l’état du glacier et de déterminer avec plus d’exactitude les causes de sa détérioration.
La force de l’étude réside dans le fait qu’ils ont utilisé différentes approches, dont des données satellitaires, lesquelles ont donné des renseignements sur la vitesse à laquelle le glacier glisse vers la mer, sur son volume et son altitude, ainsi que sur « les anomalies du champ magnétique de la terre qui sont proportionnelles à la masse de glace en présence », précise M. Tremblay.