Le vapotage, ce péril jeune

La cigarette électronique est plus nocive pour les jeunes que pour les adultes parce que «le cerveau des adolescents est encore en développement».
Photo: Richard Vogel Associated Press La cigarette électronique est plus nocive pour les jeunes que pour les adultes parce que «le cerveau des adolescents est encore en développement».

Les jeunes sont de plus en plus nombreux à vapoter partout dans le monde, y compris au Québec. Ce phénomène, qui s’accompagne d’une recrudescence du tabagisme chez cette même population, inquiète sérieusement les professionnels de la santé étant donné que le cerveau des moins de 25 ans est toujours en développement et, de ce fait, beaucoup plus vulnérable aux effets de la nicotine.

Compte tenu de l’engouement planétaire pour la cigarette électronique chez les jeunes et du fait qu’elle s’avère plus dangereuse pour eux que pour les adultes, la Society for Adolescent Health and Medicine, qui représente tous les spécialistes en médecine de l’adolescence du monde, a publié un article dans le Journal of Adolescent Health, où elle rappelle les risques du vapotage pour les adolescents et les jeunes adultes et formule des recommandations visant à freiner ce phénomène alarmant.

La cigarette électronique est en effet plus nocive pour les jeunes que pour les adultes parce que « le cerveau des adolescents est encore en développement », souligne d’entrée de jeu le Dr Nicholas Chadi, responsable des cliniques de toxicomanie pour le service de médecine de l’adolescence au CHU Sainte-Justine, qui a coordonné le groupe de 10 experts internationaux ayant rédigé cet article.

Le cerveau des jeunes est plus sensible aux substances telles que l’alcool et les drogues. Si le cerveau d’un adolescent est exposé à la nicotine, par exemple, le centre du plaisir et de la récompense, appelé noyau accumbens, qui a des tentacules couverts de récepteurs auxquels peut s’attacher cette substance, sera alors sensibilisé à l’effet de toutes les drogues, et poussera le jeune à rechercher ce même plaisir qu’il a éprouvé, ce qui l’incitera à répéter l’expérience, voire à consommer d’autres drogues, comme du cannabis, de l’alcool, voire des drogues dures, explique le Dr Chadi.

« Durant l’adolescence, on renforce habituellement les connexions des neurones qui nous sont utiles. Mais un adolescent qui passe beaucoup de temps à vapoter et à consommer des drogues va plutôt renforcer les connexions entre les neurones qui lui procurent du plaisir et qui sont liés à cette activité-là, et ce, aux dépens d’autres régions du cerveau qui nous permettent d’apprendre, de mémoriser, de faire des tâches exécutives importantes pour l’école », ajoute-t-il.

« Le cortex préfrontal, une région du cerveau qui nous permet de planifier, de prendre des décisions, de peser le pour et le contre de ce qui pourrait être risqué, n’est pas complètement développé chez les jeunes de moins de 25 ans, ce qui fait que le risque de dépendance pour toute substance, y compris pour la nicotine, est plus grand », explique le médecin.

Durant l’adolescence, on renforce habituellement les connexions des neurones qui nous sont utiles. Mais un adolescent qui passe beaucoup de temps à vapoter et à consommer des drogues va plutôt renforcer les connexions entre les neurones qui lui procurent du plaisir et qui sont liés à cette activité-là, et ce, aux dépens d’autres régions du cerveau.

Les jeunes qui consomment de très hautes concentrations de nicotine, comme le permet la cigarette électronique, vont alors développer une dépendance très rapidement : en une à deux semaines s’ils vapotent régulièrement. On dit qu’il suffit de 100 cigarettes pour développer une dépendance, ce qui correspond à la consommation de cinq à six cartouches pour la cigarette électronique.

« Les jeunes expérimentent habituellement la cigarette électronique avec des amis, qui l’utilisent depuis plus longtemps qu’eux et qui ont développé une tolérance plus grande. Ils veulent alors faire comme eux. Dans un party, par exemple, ils se mettront au défi de consommer une cartouche complète [de liquide] ou deux. Or, aspirer la vapeur d’une cartouche en 15 minutes équivaut à absorber autant de nicotine, sinon plus, qu’en renferme un paquet de cigarettes. Cet effet d’entraînement peut mener à une intoxication à la nicotine qui se traduit par des maux de tête violents, des vomissements, des maux de ventre et des tremblements », décrit le Dr Chadi, qui dit recevoir en clinique de plus en plus de jeunes intoxiqués à la nicotine.

Les adolescents ayant développé une dépendance et qui n’ont plus accès à leur drogue éprouvent des symptômes de sevrage qu’ils ont beaucoup plus de difficulté à gérer qu’un adulte en raison de l’immaturité de leur lobe préfrontal, ce qui peut se traduire par plus d’impulsivité et d’irritabilité, voire des problèmes d’anxiété ou de dépression.

Attraction et addiction

 

La cigarette électronique a tout pour plaire aux jeunes. Elle produit un aérosol qui est agréable, doux pour la gorge par rapport à d’autres modes de consommation, comme fumer un joint ou une cigarette. Les accessoires de vapotage sont petits, beaux, faciles et plaisants à manipuler, avec un look très high-tech. Les liquides sont proposés dans différentes saveurs de fruit et de bonbon.

De plus, ils sont très peu chers comparativement aux paquets de cigarettes. « Une cartouche de nicotine est deux à quatre fois moins chère qu’un paquet de cigarettes, et ce, pour la même quantité de nicotine. Même chose pour le THC, la substance psychoactive du cannabis », affirme le Dr Chadi.

La cigarette électronique permet aussi de consommer facilement et agréablement non seulement de la nicotine, mais aussi des produits à haute concentration en cannabis, voire diverses drogues illégales, telles que la métamphétamine, la MDMA (ou ecstasy) et le LSD.

« Il y a aussi cette perception chez les jeunes et même chez plusieurs adultes que les produits de vapotage sont beaucoup moins dommageables que la cigarette. Comme ils sont offerts sous forme de petits dispositifs qui ressemblent à une clé USB, qui sont doux au toucher, et dont la saveur est celle d’un bonbon, on ne pense pas aux problèmes qu’ils pourront occasionner sur les poumons et le cerveau », fait remarquer le spécialiste.

Les auteurs de l’article insistent aussi sur le fait qu’il n’y a pas de preuves scientifiques indiquant que la cigarette électronique pourrait être un outil efficace pour cesser de fumer chez les jeunes. « Il y a certaines preuves qui commencent à s’accumuler en ce qui concerne les adultes, mais pas encore pour les jeunes. J’ai publié en août dernier une méta-analyse montrant qu’au contraire, les jeunes qui utilisent la cigarette électronique contenant de la nicotine courent un plus grand risque de fumer et de consommer du cannabis », affirme-t-il.

Dans le but de freiner la popularité du vapotage chez les jeunes, les auteurs de l’article recommandent de mieux encadrer le marketing et la vente des produits de vapotage, notamment en limitant les niveaux de nicotine et les saveurs autorisés, en exigeant que les points de vente ne soient pas situés à proximité des écoles, voire en introduisant une taxe suffisante. Ils insistent sur l’importance de mener des campagnes d’éducation visant les jeunes et les familles qui souligneront les risques liés au vapotage, et d’offrir du soutien aux jeunes qui ont développé une dépendance, tout en indiquant que les stratégies, telles que le counseling, l’approche motivationnelle, le remplacement de la nicotine par des gommes, des timbres ou des pastilles, qui sont utilisées pour la cigarette et la toxicomanie peuvent fonctionner pour le vapotage.
 

La ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, Danielle McCann, a annoncé récemment qu’elle resserrerait les règles encadrant l’accès aux produits de vapotage, notamment en limitant le taux de nicotine et la variété des saveurs qui sont actuellement autorisés. Un premier pas dans la direction recommandée.

Au Québec

La vente des produits de tabac aromatisés est interdite; par contre, celle des produits de vapotage aromatisés est autorisée.

Seuls les produits du tabac sont soumis à l’impôt sur le tabac. Les produits de vapotage ne sont assujettis qu’à la taxe de vente.

Les publicités pour les produits du tabac sont interdites dans les publications imprimées. Elles sont, par contre, permises pour les produits de vapotage.

 

Au Québec, on ne peut acheter des produits de vapotage que dans un point de vente fixe ayant une adresse avec pignon sur rue.

La vente en ligne des produits du tabac et des produits de vapotage est interdite. « Le Québec est une des seules provinces au Canada à l’interdire. Comme il est illégal pour le vendeur d’offrir ces produits aux Québécois, quand on entre sur le site d’une compagnie qui en vend, on nous demande notre code postal et, si celui-ci correspond à une adresse au Québec, nous ne pouvons voir ni commander des produits de vapotage », explique Flory Doucas, codirectrice de la Coalition québécoise sur le contrôle du tabac.

Santé Canada autorise un taux maximal de 66 mg de nicotine par millilitre de liquide pour vapotage, alors que la directive européenne limite la teneur à 20 mg/ml.



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