Les oiseaux aussi victimes des néonicotinoïdes

Les bruants à couronne blanche sont particulièrement exposés aux néonicotinoïdes durant leur migration printanière.
Photo: Margaret Eng Les bruants à couronne blanche sont particulièrement exposés aux néonicotinoïdes durant leur migration printanière.

On sait que les abeilles sont gravement affectées par les insecticides de la classe des néonicotinoïdes. Voilà maintenant qu’une étude canadienne publiée dans la revue Science confirme que les oiseaux chanteurs en sont aussi victimes. Cette étude montre que l’imidaclopride, l’un des trois néonicotinoïdes le plus couramment utilisés en agriculture, handicape sérieusement les bruants à couronne blanche dans leur migration et compromet par conséquent leur reproduction, voire menace leur survie.

Depuis 2006, des études ont fait état du déclin particulièrement abrupt des espèces d’oiseaux qui font des haltes dans des zones agricoles au cours de leur migration. En Amérique du Nord, 74 % des espèces aviaires qui sont tributaires des terres agricoles ont décliné entre 1966 et 2013.

L’équipe de Christy Morrissey, de l’Université de Saskatchewan, a étudié le comportement migratoire de petits passereaux granivores, les bruants à couronne blanche, qui vont passer l’hiver dans le sud des États-Unis et au Mexique.

À l’une de leurs haltes, dans le sud de l’Ontario, les chercheurs de Saskatoon ont capturé 33 individus, auxquels ils ont attaché un transmetteur de radio-télémétrie permettant de suivre leurs déplacements à distance. Ils ont aussi administré à deux douzaines d’entre eux une dose d’imidaclopride correspondant aux concentrations qu’un oiseau consommerait de façon réaliste s’il ingérait accidentellement dans la nature quelques graines enrobées d’imidaclopride.

Ils ont alors observé qu’une simple exposition à l’une ou l’autre des deux concentrations administrées (les deux doses correspondant respectivement à 3 % et 10 % de la dose considérée comme létale) induisait une réduction significative de la masse corporelle des oiseaux (respectivement de 3 % et 6 % selon la dose) six heures après l’administration.

Un examen par résonance magnétique des oiseaux a permis de préciser que cette perte de masse corporelle chez les oiseaux exposés à l’imidaclopride correspondait à la disparition de 9,3 % des graisses corporelles chez ceux qui avaient reçu la plus faible dose d’imidaclopride, et de 17 % chez ceux qui avaient absorbé la plus haute dose. Ce constat est particulièrement préoccupant sachant que les graisses constituent la principale réserve d’énergie pour les oiseaux migrateurs.

Anorexie

 

Selon les chercheurs, cette perte de masse corporelle et de graisses serait associée « en partie aux effets anorexiques de l’imidaclopride ». Car, rappellent-ils, les néonicotinoïdes agissent sur les récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine du système nerveux auxquels se lie également la nicotine, qui présente des propriétés anorexigènes.

En effet, les oiseaux ayant été exposés à la plus haute dose d’imidaclopride consommaient 70 % moins de nourriture durant les six heures suivant l’administration de l’insecticide que lesoiseaux servant de témoins qui n’avaient pas reçu d’imidaclopride.

Le fait que cet effet anorexigène survienne durant un stade critique de leur vie, qui est typiquement caractérisé par une hyperphagie et une accumulation rapide de graisses pour parcourir les longues distances de vol de la migration, est particulièrement problématique.

 

Les chercheurs ont aussi remarqué que l’exposition à l’imidaclopride prolongeait la durée des haltes que les oiseaux faisaient durant leur migration. Alors que les oiseaux témoins ne s’arrêtaient qu’une demi-journée, les bruants ayant absorbé la petite dose d’imidaclopride interrompaient leur voyage trois jours, et ceux ayant reçu la plus haute dose se reposaient quatre jours.

Les chercheurs supposent que les oiseaux contaminés par l’imidaclopride prolongent leurs haltes en raison de la réduction de leurs réserves d’énergie et de la suppression de leur propension à s’alimenter et à se réapprovisionner. « Il est probable que les oiseaux du groupe ayant absorbé la plus haute dose d’insecticide, et qui conséquemment ont perdu le plus de graisses, auront besoin de plus de temps pour reconstituer leurs réserves d’énergie, ce qui expliquerait que leurs haltes soient plus longues », expliquent-ils.

Par contre, les chercheurs n’ont relevé aucun effet de l’imidaclopride sur le sens de l’orientation des oiseaux vivant en liberté. « La prolongation des haltes par les oiseaux contaminés à l’imidaclopride est vraisemblablement une période de récupération qu’ils s’imposent pour regarnir leurs réserves d’énergie et pour récupérer des effets neurotoxiques de l’insecticide », affirment-ils.

Survie menacée

 

Ils font cependant remarquer que « ces haltes prolongées, alors que les oiseaux sont intoxiqués et en moins bonne condition physique, augmentent leur vulnérabilité à la prédation et au mauvais temps, ce qui au bout du compte menace leur survie ».

Qui plus est, « les oiseaux qui sont ainsi retardés dans leur migration arrivent plus tard sur le site où ils doivent reproduire, ils trouvent alors des territoires de moins bonne qualité, s’accouplent plus tardivement, donnent naissance dans de moins bonnes conditions à une progéniture moins nombreuse que les oiseaux qui sont arrivés plus tôt, réduisant ainsi la probabilité que leurs petits soient intégrés à la population ».

Les auteurs de l’étude font remarquer que les oiseaux granivores, comme les bruants à couronne blanche, sont particulièrement exposés aux néonicotinoïdes durant leur migration printanière, car celle-ci coïncide avec la période d’ensemencement pour de nombreuses plantes agricoles traitées à l’imidaclopride dans les latitudes moyennes de l’hémisphère Nord. Car, rappelons-le, les graines de semence sont habituellement enrobées d’insecticide.

L’usage répandu des néonicotinoïdes le long des routes migratoires traversant le sud du Canada et les États-Unis signifie que les oiseaux subissent des expositions répétées à leurs divers sites de repos, ce qui induit des délais successifs qui amplifient toutes ces conséquences négatives pour les populations d’oiseaux migrateurs », soulignent les chercheurs.

Malheureusement, ces oiseaux souffriront encore longtemps des effets néfastes des néonicotinoïdes, car Santé Canada décidera seulement au début de 2020 s’il adopte la proposition finale d’éliminer dans trois à cinq ans les trois principaux néonicotinoïdes, dont fait partie l’imidaclopride. Et comme le Canada, les États-Unis n’ont toujours pas interdit ces insecticides dévastateurs, contrairement à l’Europe qui les a bannis en décembre 2018.

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