L’intelligence artificielle à la rescousse du système de santé

Les algorithmes peuvent dépister sur les photographies du fond d’œil d’un patient les signes d’une rétinopathie diabétique, qui nécessiteront une consultation chez l’ophtalmologue.
Photo: Philippe Huguen Agence France-Presse Les algorithmes peuvent dépister sur les photographies du fond d’œil d’un patient les signes d’une rétinopathie diabétique, qui nécessiteront une consultation chez l’ophtalmologue.

À l’heure où notre système de santé atteint ses limites, l’intelligence artificielle apparaît de plus en plus comme un outil pouvant aider à le rendre plus efficace en transformant la façon de prodiguer les soins. Au CHUM, elle a déjà investi de nombreuses spécialités, mais elle demeure simplement une aide à la prise de décision par le médecin, qui restera encore longtemps le principal responsable des soins.

Actuellement, l’intelligence artificielle (IA) permet d’analyser une photo d’un grain de beauté sur la peau prise avec un téléphone intelligent, par exemple. Grâce à un algorithme de reconnaissance d’images, elle indiquera si cette lésion présente des caractéristiques de malignité ou pas. Le résultat obtenu par la machine aidera le médecin, l’omnipraticien ou le dermatologue à décider s’il faut accélérer la prise en charge par un chirurgien, dans le cas où la lésion est cancéreuse, ou au contraire, attendre et revoir le patient quelques mois plus tard si ce n’est pas cancéreux.

Les algorithmes de reconnaissance d’images peuvent aussi dépister sur les photographies du fond d’oeil d’un patient les signes d’une rétinopathie diabétique, qui nécessiteront une consultation chez l’ophtalmologue. La comparaison de plusieurs images prises à différents moments dans le temps permet également de voir si les lésions ont évolué et donc si la maladie s’est aggravée, soulignant par conséquent l’urgence de consulter un ophtalmologue au plus tôt. Par contre, si les images de fond d’oeil ne révèlent rien d’anormal, dans ce cas, le patient est rassuré, et on procédera à un suivi en refaisant une photo quelques mois plus tard.

« L’IA permet ainsi de diminuer le nombre de consultations chez le spécialiste en dépistant les cas les plus pertinents. Elle diminue l’inquiétude des patients, ou au contraire leur garantit d’être pris en charge rapidement puisqu’on libère les spécialistes de la nécessité de voir tous les patients afin qu’ils se concentrent uniquement sur les cas suspects », a expliqué au Devoir le Dr Fabrice Brunet, président-directeur général du CHUM, en marge de la Journée d’échanges entre Lyon et Montréal sur L’avenir des systèmes de santé, qui avait lieu le 5 juin dernier au Centre de recherche du CHUM.

« Par exemple, si vous êtes inquiet pour un grain de beauté, vous prendrez rendez-vous chez votre dermatologue, mais vous ne pourrez le voir que tardivement en raison de la très longue liste d’attente. L’avantage de l’IA est qu’elle permet de diriger le patient à la bonne ressource en fonction de la gravité de son problème, ce qui permet de diminuer les listes d’attente et d’optimiser les ressources existantes, autant d’éléments qui amélioreront le système de santé. »

Accélérer le diagnostic

 

De façon générale, les tissus qui sont prélevés sur un patient dans le but d’être analysés pour savoir s’ils sont anormaux, voire cancéreux, sont fixés sur une lame de verre. Le pathologiste les examine ensuite attentivement, comptant les cellules et identifiant celles qui diffèrent des autres. « L’IA peut maintenant effectuer une analyse beaucoup plus rapide et de qualité de ces lames, et ainsi faire gagner du temps en matière de diagnostic. Elle permet d’utiliser plus efficacement nos pathologistes, qui peuvent se concentrer sur des problèmes plus précis nécessitant leur expertise », souligne le Dr Brunet.

« L’IA augmente notre capacité d’analyse et de prise de décision, elle améliore notre façon de diagnostiquer, de détecter, de traiter, de pronostiquer une maladie et d’accompagner un patient », fait-il remarquer tout en donnant l’exemple de l’image radiologique d’un organe qui ne présente pas de caractéristiques connues témoignant de la présence d’un cancer.

Par contre, « en corrélant différentes sources d’information sur le patient, comme par exemple ses données génétiques, ses habitudes de vie, son environnement, ainsi que des informations ayant été collectées à son sujet par les professionnels de la santé, les réseaux de neurones [soit l’IA] pourront rendre suspecte cette image qui, jusque-là, semblait normale, et attirer l’attention du radiologue, qui prendra alors la décision de revoir le patient », ajoute le Dr Brunet.

L’IA permet de diminuer le nombre de consultations chez le spécialiste en dépistant les cas les plus pertinents

Seule l’IA, qui analyse en continu les signes vitaux (tension artérielle, rythme cardiaque, taux d’oxygène dans le sang, etc.) de patients sous surveillance à l’unité de soins intensifs, peut détecter une modification du tracé susceptible d’être liée à un épisode infectieux qui autrement n’aurait pu être décelée humainement, donne aussi en exemple le p.d.-g. du CHUM.

Quand on fait remarquer au Dr Brunet que l’IA n’est pas infaillible, il répond : « L’intelligence humaine non plus ! Le fait qu’elle ne soit pas infaillible n’est pas un problème, le fait de ne pas savoir qu’elle n’est pas infaillible serait dangereux. C’est la confrontation permanente des résultats de ces deux intelligences qui va aboutir à une amélioration continue de nos façons de détecter, de diagnostiquer, de traiter, d’accompagner les patients. »

Mieux trier à l’urgence

Par exemple, le CHUM expérimente actuellement le recours à l’IA pour le triage à l’urgence. Les patients qui y arrivent entrent leurs informations dans une machine qui les trie en indiquant le degré d’urgence de chaque cas et détermine si le problème est d’ordre respiratoire, pulmonaire, cardiaque ou autre. « On compare actuellement ce triage effectué par la machine avec le triage humain. La machine fait gagner du temps, mais on veut s’assurer que ce triage est fait à bon escient et qu’il est de qualité, car il se peut que ça marche bien pour tel type de patient, mais pas pour tel autre », précise le Dr Brunet.

« On ne tient jamais pour acquis que, parce que quelque chose est nouveau et innovant, ce sera bénéfique. Il faut demeurer critique. L’IA, comme toute innovation, doit être évaluée et mesurée pour qu’on puisse s’assurer des bénéfices », prévient-il.

Une intelligence augmentée

 

« Ici, au CHUM, nous parlons d’une intelligence humaine augmentée et non pas d’une intelligence humaine remplacée. L’intelligence humaine sera toujours centrale dans de nombreux aspects, ne serait-ce que dans la relation humaine avec le patient qui est beaucoup plus complexe que simplement une analyse de données, affirme le Dr Brunet.

« Je pense qu’aujourd’hui, et pour de nombreuses années encore, l’intelligence humaine ne sera pas remplacée par l’IA, elle pourra être augmentée, amplifiée dans certains domaines, et elle devra évoluer dans d’autres de ses composantes, comme l’empathie, les qualités humaines et l’intuition notamment, car la machine ne donne que des probabilités qui ne sont pas obligatoirement adaptées à tout le monde. Ces probabilités doivent être mesurées en fonction de l’être humain dans sa globalité. Pour adapter les résultats de l’IA à l’être humain, il faut absolument qu’il y ait un être humain entre la machine et le patient. »

Et si l’algorithme se trompe dans l’analyse de la photo d’un grain de beauté, par exemple, et que cette erreur fait en sorte qu’on n’a pas envoyé le patient au bon endroit, soit chez le chirurgien ou le dermatologue parce que c’est un cancer, ce sera le médecin qui sera tenu responsable, et non pas la machine, affirme le dirigeant du CHUM. « Tant que la prise de décision restera humaine, qu’elle soit ou non augmentée et facilitée par de l’IA, la responsabilité restera toujours humaine. »

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