De nombreux défis pour le monde des sciences

Etienne Plamondon Emond Collaboration spéciale
La conseillère scientifique en chef du Canada, Mona Nemer, estime qu’il y a «encore énormément de chemin à faire» pour encourager les femmes à étudier dans le domaine des sciences.
Photo: Ivy Sinkunas La conseillère scientifique en chef du Canada, Mona Nemer, estime qu’il y a «encore énormément de chemin à faire» pour encourager les femmes à étudier dans le domaine des sciences.

Ce texte fait partie du cahier spécial Congrès de l'ACFAS

Mona Nemer n’a pas chômé depuis qu’elle est devenue conseillère scientifique en chef du Canada. Et les défis s’annoncent nombreux dans les années à venir. Entrevue avec la présidente d’honneur du 87e Congrès de l’Acfas. 

Mona Nemer soulève avec satisfaction qu’on fait de plus en plus appel à son bureau pour des conseils formels et informels. Il y a moins de deux ans, elle partait de zéro. Avant que le poste de conseillère scientifique en chef du Canada lui soit attribué en septembre 2017, celui-ci n’existait plus depuis 2008, aboli par le gouvernement Harper. Elle a donc dû tout construire, comprendre la machine gouvernementale par elle-même et se faire connaître dans l’appareil fédéral. « J’ai toujours cru que le poste était très important pour le gouvernement, mais aussi pour le pays, pour la science et pour les citoyens, dit-elle. Je constate que je ne m’étais pas trompée. »

Son mandat : donner des avis au gouvernement pour l’avancement de la science au pays, mais aussi pour que ses décisions prennent en compte les analyses scientifiques et les données probantes. « Quand le ministre des Pêches et des Océans m’a demandé de faire des recommandations sur l’utilisation de la science dans la gestion de l’aquaculture, je sortais tout de même de ma zone de confort », reconnaît la biochimiste, dont les travaux ont notamment mené à de grandes percées dans le domaine des problèmes cardiaques infantiles. Mais elle a rapidement réalisé que l’approche scientifique demeurait la même pour trouver des experts, évaluer la qualité des données disponibles ou déterminer les questions à poser.

Intégrité scientifique

 

Parmi les réalisations de son bureau, il y a le dépôt, en juillet 2018, d’un modèle de politique sur l’intégrité scientifique. Cette démarche répond au musellement des scientifiquesdéraux sous le gouvernement Harper. Un sondage mené en 2017 par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada a montré que la situation n’était pas entièrement réglée depuis le changement de gouvernement. Plus de la moitié des scientifiques fédéraux se disaient toujours incapables de parler librement de leurs travaux aux médias, et 40 % signalaient qu’une ingérence politique nuisait encore à l’utilisation de données probantes dans les processus décisionnels du gouvernement. « Le modèle de politique sur l’intégrité scientifique a maintenant été adopté par tous les départements où il y a des scientifiques à l’œuvre, se réjouit-elle. C’est vraiment un développement très important pour les chercheurs, parce qu’il y a un cadre où ils savent quelles sont leurs responsabilités, ainsi que les devoirs et les responsabilités de l’employeur. » Une avancée, selon elle, tant pour les scientifiques que pour l’ensemble de la société. « Cela améliore la confiance que les citoyens vont avoir envers les données qui sont présentées et utilisées par le gouvernement pour les lois du pays. »

Science ouverte et savoirs autochtones

 

Côté transparence, elle travaille en ce moment à l’élaboration d’une feuille de route en matière de science ouverte. Le Plan S, par lequel les organismes subventionnaires européens imposent que le résultat des recherches qu’ils financent soit en libre accès à partir de 2020, force les autres pays à réagir. Est-ce que le Canada accuse un retard en la matière ? « Oui par rapport à certains pays auxquels on veut se comparer, comme ceux d’Europe, l’Angleterre, l’Allemagne ou les Pays-Bas, et non si on se compare à d’autres, indique-t-elle. Mais si on veut être parmi les leaders mondiaux de l’accessibilité de la science et de la science pour tous, je crois qu’il y a du travail etdes efforts à faire. » Elle prévient que la démarche s’échelonne sur plusieurs années, soulevant des enjeux de propriété intellectuelle, de sécurité nationale ou de choix d’une plateforme pour rendre publiques les recherches subventionnées.

Autre nouveau dossier à son ordre du jour : les recherches autochtones. Son bureau organisera notamment des discussions sur la manière dont les connaissances scientifiques et le savoir autochtone peuvent être utilisés pour orienter les politiques publiques. « Les autochtones ont été au premier rang des changements climatiques et écologiques sur leur territoire, souligne-t-elle. Alors qu’il y a quand même des données longitudinales et du savoir prédictif qui a été testé à travers les années, il importe de s’en servir au même titre que d’autres données. »

Financement de la recherche

 

Par ailleurs, Mona Nemer travaille activement au comité pour améliorer la coordination entre les différents organismes subventionnaires, toujours séparés par disciplines. « Les démarcations sont de moins en moins nettes. On a une nouvelle génération de chercheurs qui sont intéressés par des problématiques, pas par des disciplines, juge-t-elle. Donc on a un système qui répond de plus en plus difficilement à la réalité de la recherche. »

Quant aux sommes, le budget fédéral de 2018 avait annoncé un investissement sans précédent de 3,8 milliards dans le système de recherche. Mona Nemer reconnaît que celui de 2019 s’avère moins généreux. Elle se montre néanmoins satisfaite de nouvelles enveloppes, notamment pour les bourses aux étudiants, ainsi que pour des infrastructures comme l’accélérateur de particules TRIUMF, situé en Colombie-Britannique. « Ce qui importe, c’est qu’il y ait une attention soutenue et des investissements réguliers, pour qu’il n’y ait pas de grands investissements une seule fois, ce qui n’est absolument pas utile dans la recherche. »

Femmes de science

 

Avant de fuir son Liban natal dans les années 1970 en raison de la guerre, elle a milité pour que son école pour filles crée un programme de science, comme il s’en trouvait seulement dans celles réservées aux garçons. La situation au Canada en 2019 est bien différente, « mais on a encore énormément de chemin à faire », précise-t-elle. À l’heure d’une prise de conscience sur la diversité et sur la présence des femmes dans les labos, elle juge important de réfléchir à leur sous-représentation selon les domaines, comme dans les programmes de génie, d’informatique et de physique. « À l’ère où on parle de données ou d’informatique et où la plupart des métiers vont avoir besoin de connaissances dans ces domaines, il est important d’enlever toute embûche et de demander pourquoi les femmes ne vont pas dans ces domaines. » Si le nombre de diplômées dans d’autres disciplines l’inquiète moins, elle remarque qu’on est encore loin de la parité dans les postes de responsabilité, de leadership et même de professeurs dans les universités. « Si ma présence peut agir comme un catalyseur et un encouragement pour les femmes dans leur volonté de briguer des postes de responsabilité en science, j’en suis non seulement fort heureuse, mais je prends ça très au sérieux et j’apporterai ma contribution. »

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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