Une convergence de technologies matures

Hélène Roulot-Ganzmann Collaboration spéciale
L’industrie 4.0, c’est plus que l’intelligence artificielle, mais sans elle, rien n’est possible.
Photo: iStock L’industrie 4.0, c’est plus que l’intelligence artificielle, mais sans elle, rien n’est possible.

Ce texte fait partie du cahier spécial Intelligence artificielle

Les usines sont entrées dans la quatrième révolution industrielle, celle de la virtualisation de toute la chaîne d’approvisionnement. Une révolution rendue possible parce que de nombreuses technologies numériques sont aujourd’hui matures et que l’intelligence artificielle permet d’analyser les données de manière fiable et rapide. Gilles Savard est professeur au Département de mathématiques et de génie industriel à Polytechnique et directeur général de l’Institut de valorisation des données (IVADO). Selon lui, la transition est bien avancée à l’échelle mondiale, et les entreprises québécoises auraient intérêt à enclencher la vitesse supérieure. Entrevue.

On parle de plus en plus d’industrie 4.0, mais qu’entend-on exactement par là ?

On vit actuellement une transformation numérique de notre société. C’est la quatrième révolution. L’industrie 4.0, c’est l’incarnation de cette transformation dans le domaine manufacturier, l’intégration numérique d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur, de tous les actifs d’une entreprise. Un actif, c’est un processus, un produit, une machine, un service, un robot. L’industrie 4.0, c’est donc la virtualisation de tout ce que peut être une usine, en incluant toutes ses divisions, ses localisations partout dans le monde, la chaîne d’approvisionnement, la livraison, etc.

Cela signifie que tout se fait automatiquement, sans l’intervention de l’homme…

Ça veut dire que l’usine communique avec ses partenaires pour la commande d’un produit ou la fabrication d’une pièce, de manière complètement virtuelle, sans qu’il y ait contact humain entre les deux parties. L’objectif, c’est de créer de la valeur.

En augmentant la productivité ?

Il y a trois leviers de valeur possible. D’une part, effectivement, les gains de productivité. On diminue les coûts et on améliore les processus et l’information tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Ensuite, il y a le développement de nouveaux produits numériques. Dans l’industrie aéronautique, par exemple, on peut imaginer que les avions, qui survolent l’ensemble de la planète ou presque, soient équipés d’antennes 5G et deviennent des relais. Aujourd’hui, on a inventé plein de nouveaux produits numériques pour équiper les automobiles, par exemple. Le troisième levier consiste à inventer un nouveau modèle d’affaires. On peut imaginer, par exemple, que dans le futur nous ne soyons plus propriétaires de nos voitures, que celles-ci appartiennent à Volkswagen ou GM et que n’importe qui puisse en prendre une au coin de la rue.

En quoi l’intelligence artificielle s’insère-t-elle dans cette transition numérique ?

L’industrie 4.0, c’est plus que l’intelligence artificielle, mais sans elle, rien n’est possible. Il y a aujourd’hui un ensemble de technologies numériques qui ont atteint un niveau de maturité assez élevé. Je pense à l’infonuagique, à l’Internet des objets, au téléphone intelligent, à la réalité augmentée, aux détecteurs intelligents, à l’impression 3D, etc. La convergence de ces maturités fait en sorte que nous sommes à un point critique. Ce qui relie ces technologies à la création de valeur, c’est l’analytique des données, ces algorithmes qui font en sorte que des machines sont capables d’analyser toutes les informations en provenance de ces technologies, de les digérer et de prendre des décisions en fonction d’une situation donnée. Ça, c’est l’intelligence artificielle qui le fait.

Les entreprises québécoises sont-elles, elles aussi, en pleine transition ?

Nous ne sommes pas très avancés. Une des raisons est à chercher dans le contexte économique. La faiblesse du dollar canadien fait en sorte qu’il est assez facile d’exporter. Nous avons une prime de l’ordre de 25 % à l’inefficacité, ce qui ne nous pousse pas à innover pour gagner en productivité. Alors, certes, chaque entreprise doit trouver son équilibre entre ses investissements et son retour sur investissement. Mais le problème, c’est que nous faisons aujourd’hui partie d’un écosystème mondialisé. Si nous prenons trop de retard, nous allons tout simplement sortir de la chaîne d’approvisionnement. Les entreprises doivent être connectables à leur donneur d’ordres.

Ça doit être plus difficile pour les PME de s’adapter…

C’est certain que les petites et moyennes entreprises ont plus de difficultés à sauter le pas. Mais elles n’ont pas le choix. Elles auront inévitablement à s’adapter. Ne pas le faire, ce serait la mort certaine. Un peu comme si une entreprise était restée à la machine à écrire ou au fax. Les grandes entreprises vont plus vite même si elles ne sont pas très avancées comparativement à celles d’autres pays, comme l’Allemagne ou la Corée du Sud. Mais le tissu économique québécois est surtout composé de PME.

Par quoi doivent-elles commencer ?

Par définir leur stratégie, en choisissant bien les technologies, les outils dont elles ont besoin. Au-delà du buzz, quels bénéfices peuvent-elles en tirer ? Et c’est là qu’IVADO entre en jeu. Notre institut est une sorte de mobilisateur de connaissances exportables dans les entreprises. Nous avons un rôle d’entremetteur, en somme.

Comment exportez-vous ces connaissances ?

Les universitaires sont toujours en avance sur le marché. Nous transmettons leurs connaissances dans des conférences, des ateliers, par de la sensibilisation, des projets de recherche également, menés en collaboration avec les entreprises et pris en charge financièrement par l’institut. C’est important, car les PME n’en auraient pas les moyens. Enfin, et c’est primordial, nous avons des étudiants en formation qui, à la fin de leurs études, peuvent intégrer une de nos entreprises partenaires. Ça permet ce transfert de connaissances.

On comprend que les technologies sont matures, mais elles sont aussi en constante évolution. Les entreprises n’ont-elles pas un peu raison d’attendre encore de voir vers quoi on s’enligne ?

Elles prendraient trop de retard. Regardez du côté du commerce de détail. Les entreprises qui ne sont pas intégrées aux plateformes mondialisées et qui n’ont pas intégré leur réseau de distribution ne peuvent pas suivre. Ça va être pareil dans tous les domaines. Mais cela ne signifie pas qu’elles doivent foncer les yeux fermés. Il y a aujourd’hui beaucoup d’acteurs et tous ne sont pas fiables. Il faut donc rester très prudent tout en allant de l’avant. Parce que c’est maintenant que ça se passe.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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