

Depuis sa tendre enfance, Isabelle Giguère se sentait femme, dans un corps d’homme. Au terme d’un long cheminement psychologique, elle a réalisé qu’elle ne serait vraiment heureuse que si on supprimait ses organes génitaux masculins pour les remplacer par ceux d’une femme.
Nicolas Niquette, lui, a refoulé tout au fond de lui jusqu’en 2015 cet étrange malaise apparu à l’âge de 24 ans. C’est lors d’une conférence sur l’identité de genre qu’il a compris l’origine des idées suicidaires qui venaient parfois le hanter, lui qui avait pourtant tout pour filer le parfait bonheur avec sa conjointe, son fils de 22 ans et une carrière enviable.
Au Centre métropolitain de chirurgie (CMC) de Montréal, la seule clinique spécialisée en chirurgie de réassignation de sexe au Canada, près de 500 personnes ont eu recours au bistouri l’an dernier seulement, et plus de 8300 depuis la création de la clinique en 1990. Au cours des cinq dernières années, pas moins de 1888 femmes trans s’y sont présentées pour transformer leur sexe en un organe pleinement féminin, et 264 hommes trans pour obtenir un sexe masculin. Les trois chirurgiens y ont procédé autant à des mastectomies chez des adolescentes de 16 ans en transition que chez un homme de 78 ans ayant attendu le décès de sa conjointe pour vivre pleinement sa réelle identité de genre.
« L’acceptation sociale, ces dix dernières années, a fait évoluer les mentalités. Les gens en parlent, les enfants se manifestent. En facultés de médecine, on n’entendait pas parler de ça, maintenant, on doit informer [les] étudiants. Et de plus en plus de psychologues et de travailleurs sociaux s’y spécialisent », souligne le Dr Pierre Brassard, chirurgien au CMC.
J’ai vu l’effet extraordinaire qu’a eu la chirurgie sur cette personne [sa première patiente] et la souffrance qui l’assaillait jusque-là. Sa réaction m’a convaincu de continuer à faire ce genre de chirurgies. Il n’y a pas meilleur patient qu’un patient trans.
Autre effet de cette plus grande acceptation sociale, les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous au Centre d’orientation sexuelle de l’Université McGill (COSUM) sont passés en cinq ans de 6 à 8 semaines, jusqu’à 6 à 8 mois aujourd’hui.
Mais avant d’entreprendre une transition vers l’autre sexe, chacune de ces personnes doit se voir diagnostiquer une dysphorie de genre, une pathologie médicale reconnue par le DSM-5, la dernière version du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. La dysphorie de genre est la souffrance ressentie par les personnes dont le sexe biologique ne correspond pas au genre auquel elles s’identifient. Ces personnes éprouvent un malaise, plus ou moins grave, ainsi qu’un fort désir d’être traitées comme l’autre genre, voire d’être de l’autre sexe, au point de vouloir changer leur corps médicalement et chirurgicalement pour qu’il corresponde plus fidèlement à leur identité de genre.
À ce jour, « aucune cause psychosociale n’a été trouvée. Par contre, quelques études semblent démontrer que le cerveau des personnes trans ressemble plus à celui du sexe ressenti qu’à celui du sexe biologique à la naissance », relate le Dr Richard Montoro, professeur de psychiatrie à l’Université McGill. « Ce sont des recherches naissantes, mais elles semblent indiquer que le cerveau des personnes trans est différent de celui des personnes cisgenres [dont le genre ressenti correspond au sexe biologique à la naissance]. Il est très possible que des facteurs environnementaux, biologiques et génétiques influent pendant la grossesse. Mais on en sait peu encore. »
Une fois décelée, cette condition peut être traitée par une transition vers le genre ressenti. Un traitement qui débute toujours par une hormonothérapie. Dans certains cas, cela peut suffire à apaiser la dysphorie. Si l’inconfort associé à l’incongruence entre le genre ressenti et le sexe biologique de la personne persiste, celle-ci peut envisager des chirurgies : une mastectomie, une vaginoplastie ou une phalloplastie, selon le cas. Il y a toutefois des préalables avant de pouvoir subir de telles interventions, déterminés par l’Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres (WPATH).
Pour les chirurgies irréversibles comme les vaginoplasties et phalloplasties, le patient ou la patiente doit fournir deux lettres de professionnels de la santé attestant la dysphorie de genre, avoir suivi une hormonothérapie pendant au moins un an et avoir vécu dans le genre désiré au moins 12 mois.
Lors de sa transition, Isabelle Giguère a commencé par prendre des bloqueurs de testostérone et apposer des timbres d’oestrogènes sur sa peau. Ces hormones ont induit des changements corporels, dont la poussée des seins. Elle a toutefois réalisé que sa dysphorie persistait et ne disparaîtrait que quand ses organes génitaux masculins seraient retirés pour faire place à des organes féminins, grâce à une vaginoplastie. « La plupart des transfemmes finissent par subir une vaginoplastie, car leur dysphorie découle plus de leurs organes génitaux externes que de leurs traits plus masculins », souligne le Dr Pierre Brassard, chirurgien au Centre métropolitain de chirurgie (CMC).
La vaginoplastie consiste à utiliser les organes génitaux masculins pour construire une vulve comprenant une cavité vaginale. Pour ce faire, on utilise la peau du pénis qu’on inverse comme un gant retourné à l’envers, ainsi que la muqueuse de l’urètre (conduit reliant la vessie à l’extérieur) et la peau du gland. « Sur la vulve, on fait des détails, comme des petites lèvres, un clitoris et un capuchon sur le clitoris, qui est l’équivalent du prépuce chez l’homme. Il est rare qu’on manque de tissu, mais si c’est le cas, on prend de la peau sur la cuisse. Pour fabriquer un clitoris, on récupère une partie du gland du pénis qui est normalement attaché à des vaisseaux sanguins et à des nerfs qui courent sur le dos du pénis, et on dépose cette bandelette neurovasculaire sur la vulve », explique le Dr Brassard.
Les femmes trans peuvent ensuite recourir à d’autres chirurgies esthétiques féminisantes, notamment pour adoucir la bosse frontale, relever les sourcils, avancer la ligne des cheveux, modifier le nez pour le rendre plus fin, ajouter des pommettes, réduire l’angle de la mâchoire si la mandibule est trop forte, raser la pomme d’Adam et faire une addition mammaire.
Chaque semaine de leur vie, à la suite d’une vaginoplastie avec cavité vaginale, les femmes trans devront procéder à des dilatations de cette cavité afin d’éviter qu’elle ne se referme.
Pour devenir un homme, Nicolas Niquette a d’abord été traité avec de la testostérone pour modifier sa voix, induire l’apparition d’une barbe et changer la morphologie de son corps en raison d’une nouvelle répartition des graisses. Il a ensuite subi une ablation des seins, de l’utérus et des ovaires, ce qui « a accéléré la transition et a été libérateur », dit-il, avant d’ajouter qu’il voulait néanmoins « être un homme complet ».
Pour y arriver, M. Niquette a subi les deux premières étapes d’une phalloplastie. Dans un premier temps, on a fermé la cavité vaginale et fabriqué un scrotum (l’enveloppe cutanée des testicules) avec la vulve, et un pénis avec la peau de l’avant-bras. Le clitoris a été conservé et caché sous la peau. Par des techniques de microchirurgie, on a procédé à des connexions nerveuses. « La sensibilité revient tranquillement dans le phallus au fil des mois grâce à une croissance progressive des axones jusqu’aux organes sensoriels de la peau », explique le Dr Brassard. Lors d’une deuxième intervention six mois plus tard, on a connecté l’urètre sortant de la vessie avec le conduit créé dans le pénis.
Nicolas Niquette subira dans quelques mois une troisième intervention pour recevoir des implants érectiles et des implants testiculaires. Pour que le pénis ait une capacité érectile, on introduit dans l’organe un petit cylindre rattaché à une petite pompe, activée par les doigts. Celle-ci permet de remplir le réservoir d’eau saline physiologique stérile pour donner au pénis un volume et une rigidité similaires à ceux obtenus lors d’une érection naturelle.
« La testostérone a un effet tellement masculinisant que les hommes trans ont rarement recours à des chirurgies masculinisantes », fait remarquer le Dr Brassard. On peut néanmoins procéder à une augmentation de la mâchoire en insérant un implant, et à une augmentation de la pomme d’Adam par des greffes de cartilage des côtes.
Les techniques se sont beaucoup raffinées depuis que le Dr Brassard a commencé à faire des vaginoplasties et des phalloplasties en 1990. Les progrès effectués ont diminué les risques de complication et ont permis d’améliorer la fonction et la sensibilité des organes reconstruits, ainsi que leur qualité esthétique.
Toutefois, comme dans toute chirurgie, les complications sont toujours possibles. Elles peuvent provoquer des saignements, des infections, une déformation ou une nécrose (le tissu ne reprend pas vie et meurt). Mais ces complications se résolvent généralement en quelques jours, voire quelques semaines. Les complications graves, comme une embolie pulmonaire, sont rarissimes.
Le Dr Brassard se souviendra toujours de sa première patiente, une femme chez qui il a réalisé une phalloplastie. « J’ai vu l’effet extraordinaire qu’a eu la chirurgie sur cette personne et la souffrance qui l’assaillait jusque-là. Sa réaction m’a convaincu de continuer à faire ce genre de chirurgies, confie-t-il. Il n’y a pas meilleur patient qu’un patient trans. Toutes les semaines, je me fais dire : vous m’avez sauvé la vie, docteur ! C’est fantastique ! Ça me redonne des forces parce que ce n’est pas toujours facile comme travail : il y a des complications, des insatisfactions, des regrets. Certains patients, bien que très rares, regrettent ou sont déçus du résultat, qui ne correspond pas exactement à ce qu’ils avaient imaginé. Ces regrets peuvent être dus à un trouble d’adaptation à leur nouveau corps. Mais, heureusement, pour la majorité, tout se passe bien. »
La chirurgie génitale peut soulager certaines personnes trans souffrant d’une dysphorie de genre.
Après avoir aimé une femme et eu deux enfants, Isabelle a fait la paix avec son corps.
Pour plusieurs personnes trans, la chirurgie n’est pas un passage obligé.