L'avenir des papillons, coccinelles et libellules est menacé

Il ne fait aucun doute qu’une telle extinction aura des répercussions catastrophiques sur la plupart des écosystèmes qui peuplent notre planète.
Photo: DebraLee Wiseberg Getty Images Il ne fait aucun doute qu’une telle extinction aura des répercussions catastrophiques sur la plupart des écosystèmes qui peuplent notre planète.

Tout le monde s’émeut de l’extinction de certaines espèces de mammifères et d’oiseaux, tout en se désintéressant complètement du sort des insectes, qui représentent pourtant les deux tiers de toutes les espèces vivant sur Terre. Or, voilà qu’une nouvelle étude révèle que plus de 40 % des espèces d’insectes du monde pourraient disparaître de la surface de la planète au cours des prochaines décennies, ce qui est deux fois plus que pour les vertébrés.

Qui plus est, il ne fait aucun doute qu’une telle extinction aura des répercussions catastrophiques sur la plupart des écosystèmes qui peuplent notre planète, étant donné les rôles fondamentaux et stratégiques qu’y jouent les insectes.

En 2017, une étude ayant compilé les observations effectuées pendant 27 ans dans plusieurs aires protégées d’Allemagne rapportait un déclin de 76 % de l’abondance des insectes dans ces habitats pourtant peu perturbés par les humains.

Plus récemment, une autre étude faisait état de la disparition dans les forêts tropicales de Porto Rico de 98 % des insectes s’alimentant sur et dans le sol et de 78 % de ceux vivant dans la couronne des arbres des forêts, au cours des 36 dernières années.

On l’avait prédit, mais maintenant on voit que ça se produit plus vite et plus fort que lors des dernières extinctions de masse qui se sont échelonnées sur des centaines de milliers d’années alors que maintenant, on aura éradiqué 50 % de la diversité terrestre en moins de 200 ans

Cette dernière étude soulignait aussi le déclin concomitant des oiseaux, des grenouilles et des lézards dans ces mêmes régions en raison de la pénurie de leur source de nourriture : les insectes.

Cette fois, Francisco Sanchez-Bayo, de l’Université de Sydney, en Australie, et Kris Wyckhuys, affilié à l’Université du Queensland, en Australie, et à la China Academy of Agricultural Science de Pékin, ont compilé dans un article publié dans Biological Conservation toutes les enquêtes entomologiques effectuées à travers le monde au cours des quarante dernières années afin de dresser un portrait global du déclin de la biodiversité et de l’abondance des insectes.

À la lumière de toutes ces données, ils estiment que 41 % de toutes les espèces d’insectes sont sérieusement en déclin, que le rythme d’extinction de ces espèces est huit fois plus élevé que celui observé chez les vertébrés et que la biomasse constituée par les insectes diminue de 2,5 % annuellement.

Parmi les taxons terrestres qui sont les plus sévèrement touchés figurent les espèces de coléoptères (bousiers et tunneliers en particulier) qui ont « une fonction d’importance vitale pour la fertilité des sols », les espèces de lépidoptères (papillons diurnes et nocturnes) et les espèces d’hyménoptères (abeilles, bourdons, guêpes et fourmis).

Le déclin est encore plus dramatique parmi les taxons aquatiques, particulièrement parmi les odonates (libellules), les plécoptères (les perles), les trichoptères (les phryganes) et les éphémères.

 

Le déclin est apparu similaire dans les régions tropicales et tempérées du globe. Dans les régions tempérées, l’Amérique du Nord, où 51 % des espèces sont menacées, est plus éprouvée que l’Europe, où 44 % des espèces ont été décimées.

« Étant donné que ces déclins touchent la majorité des espèces dans tous les taxons, il est évident que nous assistons à la plus grande extinction sur Terre depuis les grandes extinctions de masse survenues à la fin du Permien [il y a 254 millions d’années] et du Crétacé [il y a 66 millions d’années] », écrivent les auteurs de l’étude.

Maxim Larrivée, chef des collections entomologiques et de la recherche à l’Insectarium de Montréal, trouve très perturbant ce qui arrive actuellement aux insectes.

« Nous sommes dans une ère où la destruction des habitats et les changements climatiques sont d’une ampleur et se produisent à une vitesse sans précédent. C’est très difficile de prédire ce qui va se passer. Mais j’ai l’impression de documenter le récit d’une mort annoncée. On l’avait prédit, mais maintenant on voit que ça se produit plus vite et plus fort que lors des dernières extinctions de masse qui se sont échelonnées sur des centaines de milliers d’années, alors que maintenant, on aura éradiqué 50 % de la diversité terrestre en moins de 200 ans », dit-il.

Les conséquences seront assurément désastreuses, croit-il, car les insectes « jouent un rôle critique à plusieurs égards dans les écosystèmes ». Ils participent « à la décomposition de la matière organique » (matière végétale, arbres et animaux morts) et « au recyclage des éléments nutritifs » qu’elle contient. Ils représentent une source de nourriture pour une multitude d’espèces terrestres et aquatiques, dites insectivores. Ils sont aussi « des prédateurs qui se nourrissent d’insectes herbivores et qui contrôlent ainsi des espèces qui pourraient devenir endémiques et s’avérer nuisibles. Ils sont en quelque sorte des agents naturels de biocontrôle ».

« Les insectes rendent aussi cet important service écosystémique qu’est la pollinisation, laquelle est essentielle à la fertilisation des plantes qui produisent des fruits, des légumes et des céréales. La pollinisation n’est pas effectuée uniquement par les abeilles, mais aussi par les diptères (mouches) et surtout les insectes nocturnes, dont des papillons, qui assurent 40 % de la pollinisation », souligne-t-il.

Espèces généralistes

 

Selon les chercheurs, tandis que d’innombrables espèces d’insectes disparaissent, quelques espèces généralistes et plus tolérantes aux polluants s’emparent des niches écologiques laissées vacantes et prennent de l’expansion.

« À court terme, les espèces généralistes ne devraient pas menacer les écosystèmes, mais à moyen terme et long terme, surtout dans un contexte de changements climatiques où les perturbations sont de plus en plus extrêmes, elles fragilisent beaucoup les écosystèmes, car elles reflètent une perte de biodiversité », avance M. Larrivée.

« Plus un système est complexe et diversifié, plus il a les moyens de résister aux perturbations que peuvent entraîner les changements climatiques, par exemple.

La biodiversité donne donc plus de résilience à un écosystème. Si 40 % des espèces d’insectes qui ont des rôles prépondérants dans les écosystèmes où on les retrouve disparaissent, on fragilise beaucoup la capacité de résilience de ces écosystèmes aux perturbations », explique-t-il.

Les auteurs de l’article attribuent le déclin de la biodiversité des espèces d’insectes terrestres et aquatiques à la destruction de leurs différents habitats en raison de l’urbanisation et de l’agriculture intensive, laquelle implique l’altération des points d’eau, l’élimination de toute végétation sauvage ainsi que l’usage récurrent de pesticides et de fertilisants synthétiques.

Ils affirment que les meilleures façons de limiter les dégâts seraient de réduire au minimum le recours aux agents chimiques, d’effectuer une rotation des cultures, de restaurer les marais et d’assainir les eaux polluées.

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