Baby-boom: le mythe brisé de la femme féconde

On a souvent attribué le baby-boom à l’extraordinaire fécondité des femmes de l’époque. Une étude menée par des chercheurs de l’Université Concordia et l’INRS démontre que c’est tout le contraire, car la fécondité diminue au cours du baby-boom. Mais comme la mortalité infantile et juvénile décroît, davantage de femmes atteignent la maturité sexuelle et enfantent. De plus, grâce à un meilleur contexte économique, elles sont plus nombreuses à se marier et elles convolent plus jeunes.
Ce sont ces facteurs jusque-là méconnus qui ont grandement contribué à l’explosion démographique qu’a connue non seulement le Québec, mais la plupart des pays développés, entre la fin des années 1930 et le début des années 1970.
Un véritable paradoxe caractérise le baby-boom, font remarquer les chercheurs d’entrée de jeu. Durant le baby-boom, le nombre de naissances augmente, mais la fécondité des mariages, c’est-à-dire le nombre d’enfants par femme mariée, continue de diminuer.
« La fécondité des femmes au Québec avait déjà commencé à diminuer. Elle était passée de 7 enfants par femmeà la fin du XIXe siècle à 3,5 enfants lorsque le baby-boom s’amorce », précise la chercheuse de l’Université Concordia Danielle Gauvreau, première auteure de l’étude publiée dans la revue Population Studies.
« Mais pour qu’il y ait un baby-boom dans de telles conditions, il fallait nécessairement que le nombre de femmesqui enfantent soit proportionnellement plus grand qu’auparavant », ajoute Benoît Laplante, chercheur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), qui est également auteur de l’article.
Diminution de la mortalité
« On s’est aperçu que ce qui a été vraiment déterminant [est la baisse de la mortalité des enfants et des jeunes femmes, ce qui a accru] le nombre de femmes qui survivaient jusqu’à un âge où elles pouvaient se marier et avoir des enfants », souligne M. Laplante.
Les enfants qui naissaient au début du XXe siècle avaient 70 % de chances d’atteindre l’âge de 15 ans, alors que ceux qui voyaient le jour en 1940 avaient 90 % de chances de célébrer leur 15e anniversaire, soit un âge à partir duquel on commence à penser au mariage, relate Mme Gauvreau.
La mortalité a en effet diminué dans tous les pays développés au cours des premières décennies du XXe siècle, principalement la mortalité infantile causée par les maladies infectieuses.
« Cette baisse résultait dans un premier temps d’une série de mesures d’hygiène publique qui ont été instaurées à la fin du XIXe siècle, quand on commence à comprendre qu’une partie de la mortalité est due à la propagation de maladies infectieuses, notamment par la contamination de l’eau potable. L’installation de réseaux d’égout et d’aqueduc dans les villes a ainsi contribué à réduire la mortalité », fait remarquer M. Laplante.
Également, la mise en place de mesures de santé publique, telles que la pasteurisation du lait et la vaccination dans les années 1910 et 1920, et plus tard le recours aux antibiotiques ainsi qu’aux transfusions sanguines, aura un impact important sur le baby-boom, car elles diminueront la mortalité des femmes en couches et des nouveau-nés.
Augmentation de la nuptialité
Le second facteur ayant le plus contribué à l’augmentation totale des naissances est le fait que plus de femmes se marient et qu’elles le font plus jeunes.
« De moins en moins de femmes font voeu de chasteté pour devenir religieuses et des changements de comportement font leur apparition », affirme M. Laplante.
« Dans des pays comme le Canada, la guerre a favorisé un essor économique qui a fourni les conditions propices au mariage à un jeune âge. Les jeunes ont désormais des occasions d’emploi qui leur permettent de faire vivre une famille. C’est aussi le début de l’État-providence, un certain soutien financier est accordé aux familles. Tout cela facilite et encourage le mariage. De plus, l’attrait pour les vocations religieuses s’estompe et les aspirations des jeunes changent. Les jeunes espèrent se réaliser à travers le mariage. Même les femmes éduquées aspirent à se marier et à avoir des enfants, car la compatibilité entre éducation et vie de famille s’accroît », indique Mme Gauvreau.
M. Laplante souligne le fait que « davantage de couples se forment lorsque les conditions économiques permettent de fonder une famille, de payer un loyer ou de s’acheter une maison ». « Pendant la Grande Dépression qui débute en 1929 et se poursuit jusqu’à la fin des années 1930, les gens retardaient la formation des ménages parce qu’ils n’avaient pas d’argent », rappelle-t-il.
Il ajoute qu’« à la fin de la Seconde Guerre mondiale, des mesures de politiques publiques ont été mises en place pour faciliter la réintégration des soldats à la vie civile. On leur accorde une solde et un prêt hypothécaire à un taux avantageux, ce qui leur permettait d’acheter une maison et de fonder une famille, ou encore on leur paie des études universitaires, ce qui a favorisé la formation des ménages dans des conditions économiques favorables ».
Durant le baby-boom, on se marie plus jeune parce que compte tenu « du fait que le niveau de vie augmente de façon générale, les enfants peuvent quitter la famille à un plus jeune âge, car ils ont la possibilité de trouver un emploi susceptible de leur permettre de s’établir. Les jeunes ont peut-être aussi le désir d’avoir accès à la sexualité parce que c’est interdit en dehors des liens du mariage. Le développement économique ainsi que des changements culturels et sociaux modifient les aspirations des jeunes », soutient Mme Gauvreau.
L’immigration
L’immigration a également contribué, bien que de façon plus modeste, à l’important baby-boom survenu au Canada. « Cela concorde avec le fait que des pays comme les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui sont les pays, avec le Canada, qui ont connu les plus gros baby-booms, ont accueilli davantage d’immigrants dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale », fait remarquer Mme Gauvreau.
La baisse de la fécondité qui a été observée au Québec, comme dans tous les pays développés, serait, selon M. Laplante, « liée, à partir de la fin du XIXe siècle, à l’industrialisation, qui entraîne un changement profond de la structure de l’économie du pays.
Précédemment, jusqu’à 90 % de la population vivait de l’agriculture, les gens étaient propriétaires de leur petite exploitation.
Ce contexte ne nuisait aucunement aux familles nombreuses, car les exploitations agricoles permettaient de se nourrir et les enfants participaient à l’exploitation.
Ce modèle disparaît toutefois avec l’industrialisation, qui implique la vie en ville, où la famille n’est plus propriétaire, mais locataire, et doit acheter sa nourriture. Les couples veulent donc moins d’enfants parce qu’ils ne peuvent pas les nourrir », avance-t-il.
Microsimulation démographique
Les chercheurs ont découvert l’importance de facteurs tels que la baisse de la mortalité, l’augmentation de la nuptialité et celle de l’immigration dansl’explosion démographique du baby-boom grâce à la microsimulation démographique, qui est une technique permettant de faire des projections démographiques.
« On s’est placés au tournant du XXe siècle, en 1896, et on s’est demandé ce qui serait arrivé si la mortalité avait évolué différemment. On a ainsi fait des projections, sauf qu’on connaissait le résultat ! On a comparé les résultats hypothétiques obtenus lors de projections démographiques générées par nos modèles statistiques à ceux qu’on a observés dans l’histoire », explique Mme Gauvreau.