Santé Canada pourrait bannir un néonic

L’imidaclopride, un insecticide de la famille des néonics, peut être néfaste pour les insectes bénéfiques, comme les abeilles.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir L’imidaclopride, un insecticide de la famille des néonics, peut être néfaste pour les insectes bénéfiques, comme les abeilles.

Santé Canada projette d’interdire l’utilisation de l’imidaclopride, un insecticide de la classe des néonicotinoïdes, pour toutes les cultures agricoles et les autres usages extérieurs en raison de son effet nocif sur les insectes bénéfiques, dont les abeilles. Cette réglementation, si elle est adoptée en décembre 2018, serait mise en application de façon graduelle jusqu’à une interdiction totale cinq ans plus tard. L’Union européenne bannira quant à elle l’imidaclopride ainsi que deux autres néonicotinoïdes d’ici la fin de 2018.

Dans une lettre ouverte publiée hier dans la revue Science, 232 scientifiques des quatre coins du monde réclament la mise en place « immédiate de mesures nationales et internationales visant à restreindre considérablement l’utilisation des néonicotinoïdes et d’empêcher l’homologation d’autres produits agrochimiques nocifs semblables ». Faute de telles mesures, le déclin des insectes bénéfiques, voire d’une fraction substantielle de la biodiversité se poursuivra, font-ils valoir.

Faisant écho à cette publication, divers groupes de la société civile canadienne militant pour un environnement durable, dont Équiterre et la Fondation David Suzuki, ont écrit au premier ministre Justin Trudeau afin qu’il remédie « au laxisme réglementaire dont le Canada a fait preuve jusqu’à maintenant relativement aux néonicotinoïdes ». Ils pressent le gouvernement d’adopter le même échéancier que l’Union européenne.

L’imidaclopride est un pesticide de la classe des néonicotinoïdes, qui sont employés abondamment en agriculture ainsi que pour éliminer des insectes nuisibles présents à l’intérieur des maisons. Les néonics, comme on les surnomme, sont des insecticides systémiques, c’est-à-dire qu’ils se répandent dans l’ensemble des tissus de la plante, même s’ils sont appliqués sur une seule de ses parties, comme la graine ou les feuilles. Ils tuent les insectes en s’attaquant à leur système nerveux central.

Des centaines d’études scientifiques ont souligné leur effet dévastateur sur des insectes bénéfiques, tels que les pollinisateurs et les prédateurs. De plus, les néonics persistent longtemps dans l’environnement, ce qui fait qu’on en retrouve couramment des résidus dans les sols, les cours d’eau et les lacs, affectant la faune qui y vit. Une étude récente a révélé la présence de ces insecticides dans 75 % des échantillons de miel collectés dans le monde.

Hier, Santé Canada faisait part des conclusions de sa nouvelle évaluation scientifique des effets de l’imidaclopride sur les insectes pollinisateurs, tels que les abeilles mellifères, les bourdons et les abeilles solitaires. « Comme l’imidaclopride se retrouve dans le nectar et le pollen des plantes, les abeilles qui butinent sur les fleurs de ces plantes sont exposées à des concentrations toxiques de ces insecticides. Les abeilles peuvent aussi être accidentellement exposées pendant la pulvérisation des cultures ou lorsqu’elles s’abreuvent dans des plans d’eau contaminés. Compte tenu de ces risques pour les pollinisateurs ainsi que des risques pour la santé et l’environnement qui ont été publiés en novembre 2016, Santé Canada propose l’abandon graduel de l’imidaclopride pour toutes les cultures extérieures, qu’elles soient agricoles ou ornementales, voire commencées en serre puis transplantées à l’extérieur », a déclaré Scott Kirby, directeur général de l’évaluation environnementale de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA). L’utilisation de cet insecticide demeurera toutefois permise à l’intérieur des maisons et des édifices pour éliminer les insectes nuisibles, comme les punaises de lit, les coquerelles et les termites.

« L’abandon de l’imidaclopride se fera sur une période de trois à cinq ans afin de laisser le temps aux agriculteurs de trouver d’autres solutions », précise M. Kirby avant d’ajouter que Santé Canada a aussi entrepris une réévaluation des risques de deux autres néonics, soit le thiaméthoxane et la clothianidine, dont les conclusions devraient être publiées en 2019-2010.

L’ARLA invite maintenant la population canadienne à exprimer ses commentaires sur le projet de réglementation concernant l’imidaclopride. Et une décision définitive qui tiendra compte de ces commentaires sera prise en décembre 2018.

Pour leur part, les pays membres de l’Union européenne ont voté le 28 avril 2018 en faveur de l’interdiction — d’ici la fin de cette année — de l’utilisation de trois néonicotinoïdes (l’imidaclopride, le thiaméthoxane et la clothianidine) pour « toutes cultures en plein champ, avec pour seule exception les usages en serre, et ce, à condition que graines et plantes ne quittent pas leur abri fermé ».

Éric Lucas, du Département des sciences biologiques de l’UQAM, croit que « c’est la méthode qui doit être remise en question, car interdire un insecticide pour qu’un autre prenne sa place tout simplement parce qu’il n’a pas encore commencé à causer des dégâts, ça ne réglera pas le problème. On devrait n’autoriser les traitements [insecticides] de semences que dans des cas très particuliers où on sait que les plantes seront attaquées par des insectes, et non pas de façon systématique à titre préventif. Notre société doit financer davantage la recherche de méthodes alternatives aux pesticides chimiques lourds ».

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