À quelques mois du lancement de «Falcon Heavy», Elon Musk modère (à nouveau) les attentes

Le fondateur de SpaceX, Elon Musk, espère lancer une nouvelle fusée, la Falcon Heavy, au mois de novembre prochain. Mais, prévient-il, « beaucoup de choses peuvent mal tourner » lors de ce lancement.
Celui qui a aussi fondé Tesla a publié vendredi dernier une animation sur son compte Instagram, montrant à nouveau ce dont serait capable cette fusée, à savoir propulser en orbite terrestre basse une charge utile de 54 tonnes, soit « l’équivalent d’un Boeing 737 avec passagers, équipage, bagages et carburant ». Tout ça pour ensuite revenir sur Terre (tout comme les deux propulseurs d’appoint), contrairement aux fusées actuelles, qui vont gonfler les rangs des ordures spatiales ou finir brûlées dans l’atmosphère, en plus de faire grimper les coûts des missions. Véritable casse-tête d’ingénierie, Falcon Heavy fait figure de version améliorée et plus puissante du lanceur Falcon 9, déjà en service.
« C’est un gros défi », résume David Saussié, professeur adjoint au Département de génie électrique à Polytechnique en entrevue téléphonique avec Le Devoir.
Le lancement de fusée est un art désormais bien maîtrisé. C’est l’opération inverse, c’est-à-dire un atterrissage en position verticale, qui est « beaucoup plus compliqué d’un point de vue du contrôle », explique M. Saussié. Et si SpaceX a réussi à le faire avec un lanceur Falcon 9 récemment, il s’agit ici d’en rapatrier trois… en même temps. « L’idée est bonne, ça, c’est sûr, mais d’arriver à faire atterrir les trois propulseurs lors de leur premier essai, là je suis un peu sceptique », tempère M. Saussié.
Musk prudent
Le mois dernier, lors de la conférence International Space Station Research and Development tenue à Washington, Elon Musk expliquait que l’ajout de propulseurs d’appoint de chaque côté de Falcon Heavy génère de nouvelles tensions en plus d’accroître les vibrations, rendant difficile les tests sur l’engin sans un lancement.
Par la même occasion, il tentait de contenir les attentes du public (et des investisseurs) : « Il est très probable que le véhicule n’arrive même pas en orbite. Je tiens juste à ce que [les attentes du public] prennent [cet élément] en compte. J’espère qu’il s’éloignera assez de la rampe de lancement pour ne pas l’abîmer. Honnêtement, ce serait déjà une réussite. »
Il semble donc qu’il faille s’attendre à ce que la Falcon Heavy subisse le même sort que son prédécesseur, le Falcon 9, dont plusieurs essais malheureux ont abouti, suivant la formule humoristique de Musk, à un « désassemblage rapide non programmé » (lire : ils ont explosé) avant qu’il n’arrive en orbite.
Un passage peut-être obligé, si l’on se fie à l’analyse de David Saussié. Selon lui, c’est au bout de « plusieurs essais » que les ingénieurs de SpaceX pourront bien cerner « tous les phénomènes qui peuvent intervenir » lors d’une telle opération.
Les propulseurs sont équipés de capteurs qui fourniront « tout un ensemble de données permettant d’améliorer les chances du prochain lancement », explique M. Saussié. « Si c’est un succès, tant mieux. Si c’est un échec, les informations récoltées ne sont pas perdues. »
À terme, le lancement d’un tel engin est « faisable », estime l’expert.
Vers la Lune, puis Mars ?
SpaceX place beaucoup d’espoir dans Falcon Heavy, qui, selon l’entreprise, doit « rétablir la possibilité de faire voler des missions pilotées vers la Lune ou Mars ». Le lancement de novembre, prévu au Kennedy Space Center en Floride, est important pour SpaceX puisque l’entreprise espère pouvoir utiliser ce lanceur dès 2018 pour envoyer des touristes astronautes autour de la Lune.
Si les premiers tests de lancement réussissent, l’enthousiasme pour les missions pilotées avec ce lanceur lourd devrait aller croissant. Un échec, ou pire, une explosion qui endommagerait la rampe de lancement, pourrait compromettre le calendrier de lancements voire tout le programme spatial de SpaceX.
Avec ses trois fusées dotées de 27 moteurs au total, l’engin spatial génère une poussée de plus de 22 millions de newtons (cinq millions de livres-force) au décollage, soit le double de celle de la deuxième fusée en taille active aujourd’hui, écrit Elon Musk sur Instagram, en référence à la fusée américaine Delta IV Heavy. Elle équivaut aussi aux deux tiers de la poussée de Saturn V, la fusée qui nous a permis d’aller sur la Lune lors du programme Apollo et dont la dernière utilisation remonte à 1973.
SpaceX a bénéficié du récent tournant du programme spatial américain vers une plus grande privatisation en devenant la première entreprise privée à se voir confier des missions dites de routine — comme le transport de provisions et à terme de personnes vers et à partir de la Station spatiale internationale. Avec Falcon Heavy, SpaceX pourrait devenir la première entreprise privée à s’élancer au-delà de notre orbite.