Le triple héritage de «Rosetta»

Pour le directeur de l’Agence spatiale européenne (ESA), Jan Wörner, la mission européenne vers la comète Chury, qui s’est achevée vendredi par l’écrasement de la sonde sur l’astre, laisse un triple héritage : scientifique, technologique et inspirant pour le public.
« Quand vous ne verrez plus ce pic sur la courbe, cela voudra dire que Rosetta se sera posée sur Chury », explique le professeur de l’Université de Berne Nicolas Thomas au public venu en nombre pour assister à l’événement. L’instant tant attendu est survenu à 13 h 20, déclenchant dans l’auditoire de l’Alma mater un tonnerre d’applaudissements. Et des sourires ainsi que des signes d’adieu chez les scientifiques.
Lancée en 2004, la sonde de l’Agence spatiale européenne venait, à environ 720 millions de kilomètres de la Terre, de s’écraser, à la vitesse du pas (3,2 km/heure), sur la comète Churyumov/Guerassimenko — Chury pour les intimes. Elle tournait autour de cette « boule de glace sale » depuis plus de deux ans, et y avait fait se poser, en novembre 2014, un petit robot-sondeur, Philae. Une première mondiale ! Tout ceci dans le but de percer les mystères de la formation du système solaire.
« Rosetta a montré les indiscutables capacités de l’Europe à explorer l’espace profond, s’est réjoui Jan Wörner, le directeur général de l’ESA, qui a répondu au Temps depuis le Congrès astronautique international qui s’achève aujourd’hui au Mexique. Cette mission laisse un fantastique héritage scientifique, technologique et a été une inspiration fabuleuse pour le grand public. C’est une très grande aventure pour l’ESA. »
Fin d’une aventure
L’impact de Rosetta a eu lieu sur une zone qui comporte des « puits », sortes de dépressions circulaires larges et profondes d’où s’échappent parfois des jets de gaz et de poussières. La fin de la mission a été annoncée officiellement par Sylvain Lodiot, responsable des opérations de vol de Rosetta au Centre européen d’opérations spatiales (ESOC) à Darmstadt, en Allemagne. La sonde aura parcouru au total 7,9 milliards de kilomètres, mais elle commençait à manquer de puissance. La comète s’éloignant dorénavant de plus en plus du Soleil, les scientifiques ont décidé de clore cette aventure scientifique hors du commun par un dernier coup d’éclat. « Tchüsss, Rosetta », a simplement conclu Nicolas Thomas.
À bord, l’instrument Rosina, un spectromètre de masse construit et géré à l’Université de Berne, « a fourni des données qui occuperont les physiciens pendant des années », explique Martin Rubin, jeune privat-docent qui prendra le relais de celle qui a été la cheville ouvrière de cette collaboration suisse, Kathry Altwegg. « On n’avait jamais suivi une comète d’aussi près et vu développer ses activités pendant aussi longtemps, tout était nouveau, abonde Willy Benz, directeur du Center for Space Habitability de l’Université de Berne. C’est fantastique. Mais on n’a fait que gratter la surface… Le gros du travail d’analyse reste à venir. »
C’est notamment grâce à cet instrument Rosina, qui a été actif jusqu’au tout dernier moment, que les chercheurs ont pu déterminer que l’eau présente sur la comète n’était pas du même type que celle que l’on trouve sur Terre, battant ainsi en brèche la théorie selon laquelle ce sont les « astres chevelus » qui auraient apporté sur la planète bleue le précieux liquide indispensable au développement de la vie telle que nous la connaissons. D’ailleurs, les scientifiques ont aussi trouvé sur Chury certains des éléments (acides aminés) nécessaires à son apparition.
Expérience et capacités
Que va-t-il rester de cette mission ? « L’espace est effectivement une question d’héritage, tant c’est un domaine particulier, confirme Willy Benz. Or savoir comment construire du “hardware spatial” est fondamental. Et Rosetta nous a permis d’acquérir ces capacités et une grande expérience au niveau de la conception d’instruments, de l’électronique de base, de multiples techniques très spéciales. »
L’Université de Berne développe actuellement des instruments d’analyse chimique cruciaux pour la mission de prospection russe Luna-Resurs, qui devrait se poser sur la Lune peu après 2020, a expliqué le Fonds national suisse dans un communiqué.
Elle travaille aussi pour la sonde orbitale BepiColombo de l’ESA, qui explorera Mercure en 2024 après un voyage de six ans. L’alma mater bernoise est de plus l’un des investigateurs principaux de la mission Juice qui voyagera pendant huit ans à destination de Jupiter afin d’en étudier les trois plus grandes lunes, Ganymède, Callisto et Europe, qu’elle devrait atteindre en 2030. Enfin, et surtout, elle coordonne la construction du premier satellite entièrement suisse pour une mission de l’ESA : Cheops, qui sera lancé vers la mi-2018 afin d’étudier des exoplanètes.
Une grande valeur
Jan Wörner, lui, se félicite de ce succès pour le futur des activités spatiales européennes, qui seront discutées notamment à Lucerne les 1er et 2 décembre prochains, lors de la Conférence des ministres européens de l’Espace : « On peut construire sur ce succès car on sait que ce type d’exploration a une grande valeur. Pas seulement du point de vue technologique (voler dans l’environnement très difficile du cosmos pendant 10 ans est très difficile), mais aussi entre autres pour ses applications directes : des caméras de détection d’incendies de forêt ont par exemple été développées à partir de celle, très précise, de la sonde spatiale. »
«Adieu, chers amis» : la fin d’un beau conte de fées spatial

Dans la vie réelle, la sonde Rosetta avait été programmée pour entrer en collision avec la comète Chury vendredi. Ce qu’elle a fait à la mi-journée comme prévu. Et elle a été aussitôt éteinte.
Mais le dessin animé, visible sur Internet, a choisi de montrer une sonde au visage souriant, contente de retrouver enfin le petit robot Philae, déjà endormi sur la comète.
La sonde envoie un message texte : « Mission accomplie ». Et elle agite le bras. La Terre lui répond « Au revoir ».
On la revoit un peu plus tard, endormie sur la comète, non loin de Philae, enveloppée dans des couvertures. « Ainsi se termine l’aventure incroyable de nos deux explorateurs extraordinaires Rosetta et Philae », conte le narrateur. « Adieu, chers amis », leur lance-t-il.
L’orbiteur, lancé en 2004, et son robot laboratoire ne sont pourtant que des cubes métalliques bourrés d’électronique, de logiciels et d’instruments scientifiques.
Mais le procédé d’anthropomorphisme, amorcé par l’ESA, a formidablement fonctionné, créant un phénomène d’attachement chez certains Terriens, notamment les plus jeunes.
Ce qui a obligé les communicants de l’Agence spatiale européenne à présenter avec tact la fin de Philae puis de Rosetta, en utilisant des mots choisis.
La fin retenue est « très douce », déclare à l’AFP Mark McCaughrean, conseiller scientifique à l’ESA, qui a beaucoup travaillé sur la communication autour de la mission.
Un second petit dessin animé, intitulé À suivre ?, a été mis en ligne vendredi par l’ESA. Il imagine que les hommes du futur reviendront peut-être un jour sur la comète et qu’ils retrouveront Rosetta sous des couches de poussière.
À l’occasion du réveil de la sonde en janvier 2014 après deux ans et demi d’hibernation, l’ESA avait fait réaliser des petits dessins animés autour de cet épisode et les avait diffusés sur son site Internet.
L’ESA avait « eu l’idée d’un conte de fées avec la princesse qui se réveille », se souvient M. McCaughrean.
Le conte de Rosetta, l’aventurière aux grands panneaux solaires, et du petit Philae, perché sur elle et impatient d’arriver, était lancé. Il a été suivi de plusieurs épisodes pleins de suspense.
« Les dessins animés ont constitué un engagement de long terme sur la mission Rosetta, estime M. McCaughrean. Ils ont permis d’expliquer aux enfants et aux adultes ce qui se passait, ce qui avait été découvert, quels étaient les défis. »
Les réseaux sociaux et particulièrement Twitter ont joué un rôle très important dans la narration de l’épopée. Dès octobre 2010, Philae postait son premier tweet en lançant « Bonjour le monde ».
Alors qu’il est totalement muet depuis plus d’un an et que Rosetta a renoncé depuis début septembre à tendre l’oreille pour tenter de capter un signal de lui, il compte encore 448 000 abonnés (@Philae2014).