La «punaise diabolique» aux portes du Québec

Les étudiants qui accompagnent le chercheur Jacques Brodeur ratissent un espace naturel du mont Saint-Bruno avec leurs filets dans le but de récolter des échantillons des insectes présents.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Les étudiants qui accompagnent le chercheur Jacques Brodeur ratissent un espace naturel du mont Saint-Bruno avec leurs filets dans le but de récolter des échantillons des insectes présents.

Une nouvelle espèce exotique fait craindre le pire aux agriculteurs du Québec. La punaise marbrée, aussi appelée « punaise diabolique » en raison des dommages qu’elle cause aux États-Unis, est aux portes du Québec. Une équipe de chercheurs tente de documenter le phénomène avant la grande invasion.

« D’après moi, on va en trouver cet été, affirme Jacques Brodeur, entomologiste à l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal. C’est écrit dans le ciel, toutes les conditions sont réunies pour que la punaise marbrée s’établisse au Québec. »

La punaise marbrée, originaire d’Asie, s’attaque aux pommiers, aux arbres fruitiers, mais également aux grandes cultures de soya et de maïs. « C’est un insecte ravageur très robuste et extrêmement néfaste. Aux États-Unis, c’est l’ennemi public numéro un », résume le chercheur, alors que nous roulons sur l’autoroute 20 en direction du parc du Mont-Saint-Bruno.

Photo: Matt Rourke Associated Press La punaise marbrée est aussi appelée «punaise diabolique», car elle fait craindre le pire aux agriculteurs du Québec en raison des dommages qu'elle cause aux États-Unis.

C’est en 2001, dans un champ de Pennsylvanie aux États-Unis, que la punaise marbrée a été vue pour la première fois en Amérique du Nord. Depuis, elle progresse lentement mais sûrement vers le nord. Elle a atteint l’Ontario il y a environ trois ans. Quelques spécimens ont été vus au Québec, mais ils avaient tous été ramenés par des voyageurs. L’équipe de Jacques Brodeur tente de trouver les premiers lieux d’infestation afin de limiter les dégâts.

« On assiste à un changement de mentalité, tant au MAPAQ [ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation] que chez les agriculteurs, qui sont extrêmement inquiets, se réjouit le chercheur. Avant, on attendait toujours d’être devant le fait accompli pour réagir, on était dans le curatif. Mais là, devant l’importance de la menace, ils ont décidé d’investir en recherche pour nous préparer avant l’invasion. C’est de la prévention, en quelque sorte. »

Coup de filet

 

La petite Mazda grise s’arrête au verger du Mont-Saint-Bruno. Mathilde Gaudreau et Éric Guerra-Grenier, des étudiants qui travaillent sous la supervision de Jacques Brodeur, sortent leur attirail : des filets, des fioles et des pièges à phéromone qui diffusent une odeur synthétique pour attirer les indésirables. S’il y a des punaises marbrées sur les lieux, elles seront vite repérées.

« Regardez ! » s’exclame soudainement Mathilde, toute fébrile. Aurait-on trouvé la fameuse punaise marbrée ? Mais non. Fausse alerte. Mathilde était juste trop excitée par le magnifique scarabée japonais qu’elle vient de trouver sur une feuille de pommier et qu’elle emprisonne dans une fiole. « C’est pour ma collection personnelle », précise-t-elle.

Dans les herbes hautes, non loin de là, l’étudiante passe exactement 30 coups de filet. Elle s’agenouille ensuite pour examiner son butin à pleines mains : sauterelles, larves de coccinelle, chenilles, araignées et punaises indigènes. Pas de punaise marbrée. Mais cela ne refroidit pas l’enthousiasme de Mathilde. « Regardez celui-là, il a un petit casque noir sur la tête. Et celui-là, on dirait un nez de rhinocéros ! Quand on s’intéresse à la diversité de la vie, les insectes, c’est ce qu’il y a de plus fascinant. »

Sus aux pesticides

 

L’équipe remballe le matériel. Direction Saint-Mathieu-de-Beloeil, dans un champ de soya, à quelques jets de pierre de l’autoroute 20. « Au Québec, c’est une culture en pleine expansion et payante pour les agriculteurs, car il y a très peu d’insectes nuisibles, ce qui leur permet de produire en grande quantité sans utiliser de pesticides. Cela leur procure un avantage mondial qu’ils ne veulent pas perdre », explique Jacques Brodeur.

C’est pourquoi plusieurs agriculteurs permettent aux chercheurs de travailler sur leurs terres, dans l’espoir de ralentir la progression de la punaise marbrée et de trouver une solution durable qui leur permettra d’éviter l’épandage de pesticides.

Au-delà de la détection, il faut trouver des solutions. « C’est la force de notre laboratoire », explique fièrement le chercheur.

Jacques Brodeur est une sommité en matière de lutte biologique, une approche qui consiste à trouver des solutions de remplacement naturelles aux pesticides. Le chercheur balaie du regard le champ qui s’étend à perte de vue avant de lever les yeux au ciel. « Imaginez ça, les avions qui survolent le champ pour l’arroser de pesticides. Il y a 348 000 hectares de soya au Québec. Ce serait épouvantable, tout cet épandage, pour la qualité de l’air, de l’eau et la santé humaine, d’autant plus que les terres agricoles sont situées en zones urbaines. Il faut se prémunir contre cela. »

Importer des parasites

 

Le problème avec la punaise marbrée — comme pour la majorité des espèces nuisibles —, c’est qu’elle a été importée d’Asie sans ses prédateurs naturels. C’est ce qui lui permet de proliférer à une vitesse si rapide et de déloger les espèces indigènes. Pour contrôler les populations, il faut donc importer des prédateurs du pays d’origine, explique l’entomologiste. « On les importe, on les met en quarantaine, on les relâche dans l’environnement et on espère qu’ils vont se reproduire et s’établir au Québec. »

Dans le cas de la punaise marbrée, des équipes américaines sont déjà sur le terrain en Asie pour tenter de trouver le meilleur prédateur. Dans son laboratoire au Jardin botanique, Jacques Brodeur importe des boîtes de parasites sur lesquels il fait également des tests avec son équipe.

Mais ne risque-t-on pas de créer un nouveau problème en important de nouvelles espèces de parasites exotiques ? La question s’impose. « Les gens sont très sceptiques, ils sont méfiants. C’est normal, parce que des erreurs ont été commises dans le passé », concède le chercheur.

Il donne l’exemple de la coccinelle asiatique, importée il y a 40 ans pour lutter contre le puceron du blé. C’est elle qui, depuis, envahit les foyers québécois. « C’était un bon prédateur pour le puceron du blé, mais il n’était pas assez spécifique. Il s’est attaqué à tous les pucerons dans les milieux naturels et a délogé les espèces indigènes. »

Aujourd’hui, les processus d’importation sont beaucoup plus rigoureux, précise-t-il. « La science a évolué, on ne répétera plus les erreurs du passé. Aujourd’hui, la première qualité d’un parasite en lutte biologique, c’est de s’attaquer uniquement à l’espèce que l’on espère contrôler. »

Utopie sans pesticides

 

Jacques Brodeur a un rêve fou, celui d’éliminer les pesticides de la surface de la Terre. « Je sais que c’est utopique, il y a des problèmes qu’on ne peut pas éliminer sans pesticides et il faut nourrir tous ces gens sur la planète, mais on peut à tout le moins tenter de diminuer leur utilisation et y avoir recours de façon plus intelligente en trouvant, notamment, des solutions de remplacement naturelles. C’est ce que j’essaie de faire. »

Photo: Matt Rourke Associated Press La punaise marbrée est aussi appelée «punaise diabolique», car elle fait craindre le pire aux agriculteurs du Québec en raison des dommages qu'elle cause aux États-Unis.

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