Au-delà de la technique, la transformation sociale

Ce texte fait partie du cahier spécial ACFAS 2016
Aujourd’hui, pratiquement n’importe qui peut aller sur le site d’un grand détaillant d’articles de bureau et commander une imprimante 3D pour moins de 2000 $. Différentes entreprises se sont aussi approprié cette technologie en utilisant des modèles industriels. La technologie est bien développée depuis plusieurs années maintenant, mais comment influence-t-elle les dynamiques sociales et les pratiques professionnelles ? C’est ce sur quoi se pencheront cette année les chercheurs et industriels présents lors du colloque 642 de l’Acfas sur l’impression 3D.
Si on dit impression 3D, vous pensez gadgets ? Savez-vous que lorsque vous prenez l’avion, il est possible que dans le moteur, on retrouve des pièces imprimées en 3D ? C’est pourtant une réalité. De grands fabricants, comme Pratt Whitney par exemple, ont commencé à utiliser des pièces imprimées. On parle bien sûr d’une imprimante hautement sophistiquée pour la production de pièces en métal de très grande qualité. « Dans l’industrie manufacturière, on a commencé à utiliser l’impression 3D pour produire des pièces impossibles à fabriquer autrement, comme des pièces creuses », indique Michel de Blois, professeur à l’École de design de l’Université Laval.
Des progrès peuvent aussi être faits pour réduire le poids de certaines composantes des avions. « Dans les salles de bain par exemple, certaines pièces de plastique peuvent être vides et renforcées seulement à certains endroits stratégiques », ajoute son collègue Guillaume Blum, également de l’École de design de l’Université Laval.
La technologie est même utilisée à la Station spatiale internationale. « Plutôt que de transporter des pièces à changer, on a l’imprimante et on fabrique les pièces sur place, selon les besoins », indique Guillaume Blum.
En plus de l’aérospatiale, l’impression 3D est utilisée dans l’industrie biomédicale et automobile, l’une des premières à avoir ouvert la porte à l’impression 3D dès les années 1980 pour produire ses maquettes. La technologie a évidemment beaucoup évolué depuis et s’est grandement démocratisée. « En Chine, on fabrique même de vraies maisons avec l’impression 3D », affirme Guillaume Blum.
Prototypes
Par contre, imprimer en 3D prend du temps. C’est une impression additive : la tête projette son matériau, que ce soit du plastique, du métal, ou du béton par exemple, couche par couche. Plus ça va, plus la pièce prend de l’épaisseur. Dans un contexte de production industrielle, cette technologie n’est pas toujours appropriée. « Si ça prend quelques heures pour imprimer en 3D une petite pièce, c’est encore trop long pour une entreprise manufacturière qui produit de gros volumes, explique Guillaume Blum. Par contre, déjà plusieurs entreprises impriment en 3D des prototypes pour montrer au client. C’est beaucoup plus simple que de le faire fabriquer à la main et beaucoup mieux qu’un plan compliqué à réaliser puisqu’il faut estimer les volumes. L’impression 3D est très pratique pour l’idéation. »
Les deux professeurs organisent ce colloque après avoir été invités l’automne dernier à participer à une conférence sur le thème de l’impression 3D et de ses impacts sur la chaîne de valeur dans l’industrie manufacturière. L’industrie se pose des questions par rapport à l’impression 3D. « En fait, ce qu’on réalise, c’est que plusieurs études ont été effectuées sur les technologies, mais très peu sur leurs impacts sur l’industrie manufacturière et les pratiques professionnelles », soulève Michel de Blois.
Les deux collègues ont d’ailleurs décidé de remédier à la situation en lançant un projet de recherche sur la question. « Par exemple, est-ce qu’on réduira les coûts de transport ? Est-ce que l’impact environnemental sera réduit ou pire, étant donné que l’impression 3D utilise beaucoup de plastique notamment ? C’est le genre de questions qui nous intéressent », affirme Guillaume Blum.
Les deux chercheurs sont toutefois certains d’une chose : l’impression 3D est là pour rester. « C’est une technologie qui a sa place, qui s’intègre dans le mouvement mondial qui tente de ramener la fabrication à l’intérieur des pays, affirme Guillaume Blum. Faire produire un moule par un Chinois payé à un faible salaire revient pratiquement au même coût que de produire ce moule sur place à partir d’une imprimante 3D dans des endroits comme le Québec et les États-Unis. Et c’est beaucoup plus rapide. »
Économie collaborative
Si Michel de Blois et Guillaume Blum sont convaincus que l’impression 3D n’est pas une mode passagère, c’est parce que cette technologie s’appuie sur plusieurs autres pour engendrer des changements sociaux.
Par exemple, en ce moment, tout un mouvement se déploie pour lutter contre l’obsolescence programmée : ces objets conçus pour cesser de fonctionner après un certain temps. « Si une pièce d’imprimante traditionnelle a été conçue pour cesser de fonctionner après 4000 copies, des gens se regroupent en communauté web, dessinent cette pièce et rendent le fichier disponible pour impression, explique Michel de Blois. Des gens rendent aussi disponible leur imprimante 3D pour ceux qui n’en ont pas et envoient les pièces imprimées par la poste. »
C’est possible parce que les gens sont hyper connectés, que les ordinateurs sont performants, qu’il y a les wikis et les réseaux sociaux. « L’impression 3D toute seule serait un flop, affirme M. Blum. Si elle fonctionne, c’est parce que toutes ces technologies se soutiennent l’une et l’autre. »
On voit aussi naître des Fab Lab, à Montréal et à Québec notamment, où on retrouve des imprimantes 3D. La collectivité peut apprendre à s’en servir, les gens s’y retrouvent, s’entraident. « C’est vraiment une forme d’économie collaborative, mais pas hyper capitaliste comme celle à la Uber, plutôt une économie collaborative postcapitaliste, indique M. Blum. Ainsi, des technologies comme l’impression 3D, soutenues par d’autres avancées technologiques, permettent de voir de réels changements se produire dans la société. »
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