Une recherche appliquée qui produit des résultats tangibles

Réginald Harvey Collaboration spéciale
Au Québec, le financement de la Chaire de recherche du Canada en protection des sources d’eau potable n’a rien à voir avec les municipalités, mais il n’en demeure pas moins qu’elle s’est retrouvée au cœur du débat dans ce qu’il est convenu d’appeler le « flushgate ».
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Au Québec, le financement de la Chaire de recherche du Canada en protection des sources d’eau potable n’a rien à voir avec les municipalités, mais il n’en demeure pas moins qu’elle s’est retrouvée au cœur du débat dans ce qu’il est convenu d’appeler le « flushgate ».

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche

Il se trouve à Polytechnique Montréal des professeurs dont les travaux de recherche portent sur la délicate problématique du traitement des eaux. Ils réalisent cette recherche appliquée en amont des laboratoires, là où prennent place les problèmes, sur le terrain, notamment dans les usines et les diverses installations de traitement des eaux.

Michèle Prévost, professeure agrégée au département des génies civil, géologique et des mines de Polytechnique Montréal, est titulaire de la Chaire industrielle CRSNG (Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada) en traitement des eaux potables depuis 1992. Elle explique pour quelle raison ce modèle de recherche appliquée a vu le jour : « Il a été créé par cet organisme subventionnaire avec un objectif vraiment clair d’établir des liens durables et productifs entre des équipes de chercheurs universitaires canadiennes et des industriels. »

À ce chapitre, les municipalités sont considérées comme des industries et comme parties prenantes des travaux conduits par les scientifiques : « Par exemple, elles sont responsables à 99,9 % des services de l’eau au Canada et sont considérées de ce fait comme des industrielles. » D’où le malaise qui s’est installé récemment à l’égard de l’objectivité des chercheurs quand ils ont été appelés à prendre position sur les effets du déversement d’eaux usées dans le Saint-Laurent.

Mme Prévost apporte cet éclairage sur la recherche appliquée co-subventionnée afin de remettre les pendules à l’heure : « D’abord, lorsque la recherche est cofinancée, l’organisme subventionnaire détermine les bornes de la collaboration industrielle. Par exemple, le CRSNG a fixé des exigences très précises quant à la formation des étudiants, aux types de dépenses admissibles, aux bilans de la progression et des coûts des travaux de recherche et de leur diffusion, et aux productions scientifiques révisées par des pairs. »

Il revient aux deux parties, chaire et industrie, d’élaborer un programme de recherche qui servira à répondre à l’innovation technologique des uns et aux besoins des autres. Pour autant, le professeur conserve sa pleine autonomie : « Ils demeurent des professeurs payés par l’université. Quant aux coûts directs de la recherche, dans mon cas, pour chaque dollar qu’une municipalité met sur la table, il y a un autre dollar qui vient d’un organisme subventionnaire très rigoureux comme le CRSNG. »

Mme Prévost spécifie que « dès qu’un organisme subventionnaire est impliqué, le professeur ne peut pas recevoir d’honoraires ou de salaire à partir de la recherche ». Autrement dit, les professeurs sont payés par les institutions auxquelles ils sont rattachés et doivent remplir les obligations académiques inhérentes à leurs fonctions.

Le meilleur des mondes

 

Michèle Prévost, dont les travaux s’échelonnent sur un échéancier de cinq ans, considère qu’elle dispose d’un modèle de recherche idéal, puisqu’elle peut réaliser « des travaux qui vont servir à quelque chose rapidement, car le temps de retour sur nos interventions est court et, souvent après un an ou deux, nos solutions sont intégrées dans les travaux des municipalités et de nos autres partenaires industriels ; on voit les résultats de ce qu’on fait ».

En contrepartie, les chercheurs poussent plus loin leurs observations : « À l’inverse, les publications qui renferment les détails et la profondeur scientifique requis (parce qu’on doit à l’intérieur de celles-ci aller beaucoup plus loin qu’avec le milieu industriel) nous servent à nous positionner comme chercheurs à travers le monde, ce qui nous ouvre les portes de l’excellence à l’international. »

Retour du balancier et reconnaissance professionnelle

 

La chercheuse est bien consciente que, sous le précédent gouvernement conservateur, la recherche appliquée à caractère industrielle a joui des faveurs des dirigeants et des organismes subventionnaires, au détriment de celle de nature fondamentale. Elle considère que l’équilibre entre les deux est nécessaire et salue les orientations qui suivent actuellement cette tendance : « Comme titulaire de chaire, je m’adonne à de la recherche appliquée originale, mais en même temps j’intègre aussi beaucoup les découvertes des recherches plus fondamentales dans bien des domaines pour les traduire en solutions technologiques. »

C’est tout de même à titre de spécialiste de la recherche appliquée que l’American Water Works Association (AWWA) rendra hommage à Michèle Prévost en juin prochain en lui décernant son Black Award. Elle n’en est pas peu fière, tant pour son équipe que pour elle-même : « Un membre de l’AWWA me faisait savoir qu’il s’agit là d’une reconnaissance pour une recherche exceptionnellement utile pour les municipalités. C’est ça la recherche appliquée, c’est de la recherche qui sert. »

Une transparence à toute épreuve

Sarah Dorner est elle aussi professeure agrégée au Département des génies civil, géologique et des mines de Polytechnique Montréal . Elle est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada en protection des sources d’eau potable et, à ce titre, reçoit principalement son financement du gouvernement fédéral.

Elle a participé à la réalisation du document technique Position d’experts de Polytechnique Montréal sur les déversements planifiés d’eaux usées de l’intercepteur sud-est à la Ville de Montréal. Au Québec, le financement de sa chaire n’a rien à voir avec les municipalités, mais il n’en demeure pas moins qu’elle s’est retrouvée au coeur du débat dans ce qu’il est convenu d’appeler le « flushgate ». « Les médias me posaient souvent la question suivante :Est-ce que vous êtes la porte-parole de la Ville de Montréal ?”La réponse m’amène à dire que comme chercheurs il nous appartient d’être transparents et de voir quelles sont les perspectives en cause. »

Elle s’explique : « Étant donné que je travaille en protection des sources d’eau, je suis influencée dans mes perspectives par le fait que je comprends les problématiques des municipalités ; je n’ai pas les mains liées à celles-ci financièrement, mais je suis consciente que, lorsque je prends part à une discussion d’ordre public, ma prise de position doit tenir compte de ma compréhension des enjeux municipaux. »

Mais avant tout, peu importe l’objet de la recherche, la plus grande transparence s’impose pour éviter le cynisme de la population envers les chercheurs : « Il est vraiment important de poser ces questions sur les sources de financement, car c’est la transparence qui est primordiale quand on parle d’un point de vue scientifique. »

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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