Ignorance et mauvaise foi peuvent faire des ravages

André Lavoie Collaboration spéciale
Une résidente de Saint-Jean marche dans les rues de la ville à la suite des inondations causées par la rivière Richelieu en mai 2011.
Photo: Ryan Remiorz La Presse canadienne Une résidente de Saint-Jean marche dans les rues de la ville à la suite des inondations causées par la rivière Richelieu en mai 2011.

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche

Tous prônent les vertus environnementales, aimant se définir comme plus verts que vert, mais savons-nous vraiment de quoi nous parlons ?

Pour François Brissette, professeur à l’École de technologie supérieure (ETS) et spécialiste en hydrologie, tout particulièrement sur les questions des bassins versants, de l’hydroélectricité et des changements climatiques, la réponse est clairement non. Tout au long de notre entretien, le ton est sans équivoque, et les réponses, claires, nettes et précises.

Avant de poser un regard quelque peu pessimiste sur ses concitoyens, et nos politiciens, en matière de connaissances scientifiques et de décisions éclairées, il n’hésite pas à pousser un soupir de soulagement devant le résultat électoral du 19 octobre 2015, précisant toutefois n’avoir aucune affection particulière pour le nouveau premier ministre, Justin Trudeau.

Voit-il tout de même en lui et en son équipe un gouvernement plus sympathique à la cause de la science ? « Je vous arrête tout de suite, lance François Brissette. On a un gouvernement qui se comporte comme il se devrait. C’est le dernier gouvernement [conservateur] qui était une anomalie. On n’a pas besoin de gens sympathiques à la science, on a besoin de gens qui croient à la science, tout simplement. »

L’expert en environnement ne se fait pas prier pour dénoncer les errances du règne de Stephen Harper. « Je ne me souviens pas d’un gouvernement qui ait fait mal à ce point à la réputation canadienne. On est passé d’un pays respecté en matière de sciences et technologies à la risée du monde développé. C’était un gouvernement idéologique qui n’avait pas besoin d’évidences, et de science, pour diriger : on sait ce qui est bon, on sait où on s’en va, et on va même chercher à éliminer toute donnée ou information qui va dans le sens contraire de là où on veut aller. »

Si un retour à la normale semble bien visible à Ottawa, qu’en est-il du côté québécois, surtout à l’heure de l’austérité ? François Brissette dresse un portrait plus nuancé de la situation provinciale, reconnaissant que le contrôle de l’information chez les scientifiques n’y a jamais atteint des niveaux aussi élevés qu’au fédéral, mais que les effets des coupes budgétaires sont bien réels. Et ils font mal : fermeture de laboratoires, fuite des cerveaux, prestige des universités québécoises écorché, etc. Par contre, tient-il à préciser, « on ne peut pas juste accuser les libéraux [de Philippe Couillard], mais tous les gouvernements qui ont été là depuis 20 ans ».

L’argent, le nerf de la guerre

Pour mener des recherches de pointe, développer des expertises et rassembler en un même lieu des scientifiques de haut niveau et provenant des quatre coins du monde, le financement est bien sûr le nerf de la guerre. « Les gens qui établissent la modélisation du climat ont grandement besoin d’argent, car leurs travaux nécessitent des ordinateurs valant 15 millions de dollars ; on ne parle pas ici de simples PC… », souligne François Brissette. Or, du même souffle, il mentionne que certaines décisions politiques basées strictement sur les données scientifiques pourraient être beaucoup moins coûteuses à l’ensemble de la société, mais qu’elles se heurtent forcément à la réalité, dont celle des élections.

À ce chapitre, le professeur de l’ETS se révèle intarissable, constatant à quel point l’ignorance scientifique peut causer des ravages, surtout si elle est combinée à la mauvaise foi des politiciens. Tout comme ceux et celles qui vivent le long de la rivière Richelieu, il se souvient encore des terribles inondations du printemps 2011, une cru exceptionnelle transformée par moment en véritable cirque médiatique.

Ce phénomène et cette région, le spécialiste en hydrologie les connaît bien, et il y voit davantage qu’une calamité inévitable et imprévisible. « Avant même de penser aux changements climatiques, on aurait pu commencer par sortir les gens qui se sont construits sur la plaine inondable ; c’est ce que l’on nomme des mesures sans regrets, efficaces à court et à long terme, de l’argent bien dépensé, changements climatiques ou pas. Or, on a permis à ces gens de se reconstruire dans cette zone. C’est une décision gouvernementale à se cogner la tête sur les murs, mais c’est d’abord et avant tout une décision politique. »

Les leçons du « flushgate »

Beaucoup d’autres sujets alimentent la colère de François Brissette à l’égard de nos lacunes scientifiques devant les enjeux environnementaux, à commencer par le fameux « flushgate » qui a tant fait jaser l’automne dernier.

Qui aurait cru que le fleuve Saint-Laurent serait au coeur de la dernière campagne électorale fédérale ? C’était au moment où la Ville de Montréal autorisait le déversement de 8 milliards de litres d’eaux usées dans le fleuve pendant sept jours consécutifs. Il n’en fallait pas plus pour tirer la sonnette d’alarme, effrayer la population… et tenter de faire des gains politiques.

« Ce dossier a dégénéré, et il s’est dit n’importe quoi, y compris par Thomas Mulcair, un ancien ministre de l’environnement bien au fait des dossiers, juste pour gagner des votes », déplore François Brissette. Il enchaîne sur des évidences : « Chaque année, il y a plusieurs “flushgate”, et personne n’en parle. Les usines de traitement des eaux retirent à peu près la moitié de la charge polluante, et faut pas croire que l’eau est bonne à boire lorsqu’elle est déversée dans le fleuve. De plus, comme notre réseau est très vieux, les eaux de pluie ne sont pas traitées, ce qui signifie que chaque averse importante représente un “flushgate”.Ces milliards de litres déversés dans le fleuve en novembre dernier, ça représentait une fraction de 1 % de la charge totale, bref, l’équivalent d’une goutte d’eau dans une piscine. » Au plus fort du débat, François Brissette a résisté à l’envie « de téléphoner aux journalistes » pour remettre les pendules à l’heure. La prochaine fois, il ne devrait pas se retenir.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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