Entre gestion de l’urgence et planification des risques

Hélène Roulot-Ganzmann Collaboration spéciale
Des personnes nettoient la rue dans le village de Biot, dans le sud-est de la France, où de violentes inondations ont eu lieu au début du mois d’octobre 2015.
Photo: Jean-Christophe Magnenet Agence France-Presse Des personnes nettoient la rue dans le village de Biot, dans le sud-est de la France, où de violentes inondations ont eu lieu au début du mois d’octobre 2015.

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche

Ces dernières années, les événements climatiques extrêmes se sont multipliés d’un bout à l’autre de la planète. Il n’y a qu’à repenser à l’ouragan Katrina qui emporta la digue protégeant un quartier populaire de La Nouvelle-Orléans il y a dix ans de ça. Ou encore, plus récemment, aux inondations meurtrières dans le sud de la France, il y a tout juste quelques semaines. Plus près de nous, ce sont les rives du fleuve Saint-Laurent qui s’érodent un peu plus chaque année. Des phénomènes qui poussent inévitablement les acteurs du développement urbain à repenser la ville. Le Devoir s’est entretenu avec Isabelle Thomas, professeure à la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal et spécialiste des questions de développement durable.

Les Montréalais et les banlieusards se sont réveillés lundi avec une nouvelle menace faite à leur portefeuille, celle de devoir débourser quelques dollars à chaque fois qu’ils emprunteraient un des ponts menant à la métropole. Une façon, selon la Commission de l’écofiscalité du Canada, un groupe de recherche indépendant formé d’économistes de toutes les régions du Canada, de réduire la congestion, donc la pollution, donc les gaz à effet de serre, donc le réchauffement climatique, donc les événements extrêmes qui lui sont liés.

Cette analyse, aussi rapide soit-elle, prouve à quel point tous ceux qui ont à se pencher sur le développement urbain doivent aujourd’hui se préoccuper de l’impact du réchauffement climatique.

« Si de nombreuses voix s’élèvent depuis plusieurs décennies pour avertir des dangers inhérents à notre développement économique et notre urbanisation, les dernières années montrent une convergence des analyses et des préoccupations à l’égard des risques et des changements climatiques », peut-on lire dans le plan du cours donné par Isabelle Thomas, intitulé « Aménagement, risques et enjeux urbains ». « Les modes d’urbanisation, les changements d’occupation des sols et le développement socio-économique ont accru le potentiel des dommages dus aux risques dans de nombreuses régions urbaines et posent la question des modalités nécessaires à un aménagement urbain viable. Ainsi, la croissance des événements extrêmes dus aux changements climatiques, l’accroissement progressif des enjeux dus aux territoires urbains densément peuplés conduisent à l’accentuation de la vulnérabilité des populations face aux risques. »

Réponse globale

 

Ainsi, pour faire face à la menace, la réponse doit être globale, assure l’universitaire.

« Il faut réaliser des diagnostics des grands enjeux sur l’ensemble du territoire, explique-t-elle. Comprendre où se situe sa vulnérabilité, où sont les entreprises polluantes par exemple, développer des outils pour y faire face. Si je reviens à la recommandation de mettre des péages sur tous les ponts… oui, la mobilité fait partie des grands enjeux. Mais est-ce suffisant ? Je ne crois pas. C’est peut-être une partie de la solution, mais il faut également d’autres initiatives en matière de mobilité active, de transport en commun, et bien d’autres choses encore. »

Gérer la circulation de la manière la plus fluide possible, mais aussi travailler sur le territoire. Donner plus d’opportunités aux familles de vivre en ville, sur le plan financier avec des logements abordables, sur le plan également de la qualité de vie et des services.

« Il y aurait alors moins de congestion, car moins le besoin d’aller grignoter des territoires à l’extérieur de la ville, poursuit-elle. Moins d’étalement urbain. Quand on parle de développement urbain durable, c’est très complexe. C’est très politique aussi. C’est toute la question des services. Si on offre des services de qualité à la population, que ce soit au quotidien ou lorsque survient une catastrophe, ça l’amène à être plus résiliente. »

Car s’il y a d’un côté l’aménagement urbain et les nouvelles réglementations qui font aujourd’hui en sorte de lutter contre la pollution, les îlots de chaleur, les inondations, d’économiser l’énergie et les ressources naturelles, de gérer les déchets, etc., il y a de l’autre tout un volet résilience et éducation de la population.

« La population doit avoir conscience des risques et donc de sa vulnérabilité, explique Mme Thomas. Prenons l’exemple des inondations dans le sud de la France début octobre. Les gens sont morts parce qu’ils sont descendus dans leurs sous-sols pour prendre leur voiture… Si on les avait le moindrement préparés à ce type de risques, nombre d’entre eux n’auraient pas posé ce geste. Or, les chercheurs ont aujourd’hui mené de nombreuses études et on connaît bien ce que nous appelons les “aléas”, à savoir quel type d’événement extrême peut survenir à tel endroit. Mais il faut vraiment travailler sur la vulnérabilité des populations. On ne va pas les déplacer. Elles sont bien établies. Il faut donc qu’elles sachent quoi faire lorsque ça arrive. »

Intégrer les citoyens dans la solution. En amont, en les convainquant du bien-fondé des gestes quotidiens — recyclage, compost, mobilité active, économies énergétiques — qu’on leur demande de poser. En aval, en les éduquant sur les attitudes à adopter en cas de catastrophe et en s’assurant qu’ils ne se sentent pas livrés à eux-mêmes. C’est comme cela que se construirait la résilience. Dans cette forme de solidarité.

« C’est un travail de longue haleine, assure la professeure. On a chacun un rôle à jouer. Si moi, citoyenne de Montréal, j’imperméabilise ma parcelle parce que je détruis la végétation, par exemple, j’amplifie le ruissellement et l’érosion, je ne lutte pas contre le réchauffement climatique, ni contre les îlots de chaleur. Ainsi, le travail se fait du citoyen à l’élu local et au gouvernement provincial, ici au Québec. Mais également dans l’autre sens, dans une sorte de va-et-vient permanent entre la gestion de l’urgence et la planification des risques. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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