Pas si bête le Néandertal

Une nouvelle découverte archéologique réalisée en France par une équipe franco-québécoise suggère que l’homme de Néandertal possédait des compétences techniques comparables à l’Homo sapiens. Une nouvelle fois encore, l’homme de Néandertal prend du galon et rivalise avec notre espèce dotée prétendument d’une intelligence supérieure.
La trouvaille est un outil en os de renne ayant servi à des tâches aussi diverses que le raclage des carcasses et le réaffûtage du fil des outils de pierre. On estime qu’il date d’environ 55 000 ans, une époque où Homo sapiens n’était pas encore présent en Europe — bien qu’il existait déjà en Afrique, au Levant (Israël, Liban, et une partie du Caucase) et en Asie —, puisqu’il y fait son apparition il y a environ 40 000 ans.
Cet outil aurait donc été façonné par un homme de Néandertal, comme le confirment les quelque vingt fragments de restes humains, dont des dents et une mandibule, appartenant à cette espèce qui ont été exhumés dans la même couche stratigraphique que l’outil en question, sur le site de la grotte du Bison à Arcy-sur-Cure, en Bourgogne.
La découverte est loin d’être banale, car « jusqu’au début des années 2000, les préhistoriens interprétaient l’utilisation du matériau osseux pour la fabrication d’outils comme une modernité comportementale spécifique à Homo sapiens », rappelle Luc Doyon, doctorant au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal qui a participé aux fouilles archéologiques ayant conduit à cette découverte. Mais depuis le tournant du siècle, les archéologues ont accumulé les indices attestant que les Néandertaliens créaient des outils avec les os des animaux qu’ils chassaient. À titre d’exemple, la professeure Ariane Burke de l’Université de Montréal publiait en 2006 un article scientifique dans lequel elle décrivait comment le morceau d’os qu’elle avait trouvé sur un site néandertalien en Crimée avait été travaillé pour servir de ciseau, c’est-à-dire de coin à fendre.
La découverte réalisée en juin 2014 par l’équipe de Maurice Hardy de l’Université Paris X-Nanterre, et dont faisait partie Luc Doyon, est une première car il s’agit d’un « outil à usages multiples ». D’une part, l’os, en l’occurrence un fémur gauche de renne, présente « les stigmates d’arrachement qui sont caractéristiques d’une utilisation de l’outil pour réaffûter le tranchant d’outils en pierre taillée ». Ces stigmates donnent l’impression que l’os a été poinçonné, mais comme « ils sont désordonnés, on comprend qu’ils n’étaient pas intentionnels et qu’ils sont une conséquence de l’affûtage d’un outil de pierre », explique M. Doyon.
D’autre part, l’outil possède « un poli important et des négatifs d’enlèvement sur son tranchant qui suggèrent qu’il a dû être utilisé pour lisser des peaux et pour racler des matières graisseuses sur la peau », souligne l’archéologue avant d’expliquer que le Néandertalien façonnait le tranchant de son racloir en os par percussion, laquelle enlevait des éclats ayant des formes spécifiques, dont on peut voir le négatif sur l’arête tranchante de l’outil. Le poli quant à lui est apparu lors de l’utilisation de l’outil.
« Actuellement, la fonction de racloir que nous attribuons également à l’outil est hypothétique et devra être confirmée ou infirmée par des études expérimentales », affirme Luc Doyon. L’archéologie expérimentale consiste dans un premier temps à reproduire les gestes que l’homme préhistorique a dû faire pour fabriquer un outil à partir d’un os d’animal, par exemple. Dans un second temps, on analyse les traces qui ont été produites sur l’outil par ces gestes. « Si on trouve une concordance entre les traces produites expérimentalement et celles qu’on observe sur les spécimens archéologiques, on peut proposer avec beaucoup plus d’assurance la fonction de l’outil », souligne-t-il.
Évolution
Chose certaine, la découverte de cet outil façonné dans un matériau autre que la pierre montre que l’homme de Néandertal était capable lui aussi d’innovation technique. « La supposée supériorité technique d’Homo sapiens sur Néandertal qu’on a longtemps prétendue ne tient plus », déclare Luc Doyon avant de souligner que le Néandertal possédait aussi des rituels funéraires et une certaine culture symbolique, comme en témoigne leur utilisation de plumes d’oiseau, de dents d’animaux et de coquillage comme parures.
Cette découverte bat une fois de plus en brèche l’hypothèse d’une évolution linéaire du comportement humain caractérisée par une complexité toujours croissante entre les grands singes et Homo sapiens. « On sait maintenant que l’évolution du comportement s’est effectuée de façon plutôt buissonnante en fonction des contextes historiques et environnementaux spécifiques », précise le chercheur. En d’autres termes, il y aurait eu le développement des mêmes innovations en parallèle chez différentes espèces qui ont coexisté, comme notamment l’homme de Néandertal et Homo sapiens.