La méditation pleine conscience

Suzanne Paquet, psychiatre à l’hôpital Pierre-Le Gardeur, dans la région de Lanaudière
Photo: Michaël Monnier Le Devoir Suzanne Paquet, psychiatre à l’hôpital Pierre-Le Gardeur, dans la région de Lanaudière

Joseph Flanders dirige la clinique MindSpace, à Montréal, et offre des sessions de réduction du stress basée sur la pleine conscience — une thérapie mise au point par Jon Kabat-Zinn — aux médecins, aux infirmières, aux gestionnaires, aux chercheurs et aux secrétaires du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

« Les infirmières vivent des situations très stressantes. Qui plus est, elles ont une grande sensibilité pour la souffrance de l’autre. Or, si le corps est toujours ouvert à la souffrance des autres, on devient à risque de faire un burn-out », souligne Joe Flanders, qui amène les infirmières à développer « l’équanimité » à l’aide de la pleine conscience.

« Cette qualité leur donne la capacité de bien comprendre la situation et les limites de ce qu’elles peuvent faire, car il y a des choses hors de leur contrôle, comme la trajectoire d’une maladie et l’évolution d’un patient. Elles doivent donc avoir un détachement — pas une indifférence —, un détachement intelligent afin de développer une compassion durable. »

Les conditions de travail des médecins sont aussi très éprouvantes, car ils travaillent de longues heures et sous pression. « Même s’il est fatigué à la fin de sa journée et qu’il fait face à un cas complexe avec une personnalité difficile, le médecin doit demeurer présent à ce qui se passe pour bien recevoir les informations que lui transmet le patient, afin de faire le bon diagnostic et de trouver les outils adéquats pour régler le problème. Il ne doit pas se perdre dans ses émotions et son anxiété, mais plutôt rester calme.

« « De même, lorsque survient une complication, le chirurgien ne doit pas se laisser envahir par le stress et l’anxiété qui risquent de diminuer sa performance », explique Joe Flanders, avant d’ajouter que « la pleine conscience apporte le calme, une stabilité émotive, et permet de garder une distance par rapport à ce qui se passe dans son corps et son esprit ».

L’épuisement professionnel des médecins

Les symptômes d’épuisement professionnel guettent près de la moitié des médecins aux États-Unis, et le tableau est probablement très semblable au Québec.

« Or des médecins en burn-out ne sont pas simplement épuisés, ils traitent leurs patients comme des objets, ils ont moins d’empathie pour eux et ressentent peu la satisfaction du devoir accompli. Il s’ensuit qu’ils sont de plus en plus nombreux à souffrir de dépression, à consommer de l’alcool, des opioïdes et des stimulants. Leurs patients, au bout du compte, reçoivent des soins de santé de moins bonne qualité », souligne-t-on dans le magazine Mindfulness.

Un programme obligatoire

 

Conscient de ce danger qui guette les futurs médecins, la Faculté de médecine de l’Université McGill inclura à partir de janvier prochain dans son cursus médical prédoctoral un programme obligatoire sur la pratique de la pleine conscience, pour aider les médecins à relever les défis propres à leur profession. « La pleine conscience peut les aider à se concentrer et à être davantage conscients de la situation, ce qui est essentiel pour prévenir les erreurs médicales et apprendre à demeurer à l’écoute de leurs patients même lorsque les conversations sont difficiles sur le plan émotionnel », précise le Dr Stephen Liben, futur directeur de ce programme, dans une entrevue accordée à Mindfulness.

Louis-Philippe Thibault, externe au doctorat en médecine (MD) à l'Université de Montréal, souligne qu'à son université, «le Mindfulness est une formation obligatoire, un cours siglé et crédité inscrit au cursus du doctorat en médecine, et ce, depuis déjà deux ans».

Des études scientifiques ont en effet montré que la pratique de la pleine conscience accroît la vitesse de mobilisation, de focalisation et de redirection de l’attention. Par exemple, une étude réalisée au Center for Investigating Healthy Minds de l’Université du Wisconsin-Madison a permis de mettre en évidence l’influence de la pratique de la méditation pleine conscience sur la finesse de la perception visuelle.

Les chercheurs ont observé qu’après une retraite intensive de trois mois, les méditants arrivaient à détecter sur un écran deux stimuli visuels qui leur étaient présentés à 300 millisecondes d’intervalle, alors que les personnes sans entraînement en méditation ne voyaient pas le second stimulus parce que la résolution temporelle de leur attention était moins bonne.

Tous les médecins interrogés par Le Devoir ont déclaré que la pleine conscience les aidait grandement dans leur travail. « Cette espèce de distanciation qu’elle nous procure m’aide à garder à sa juste place la compassion que j’éprouve pour mes patients. Elle préserve ma curiosité de la rencontre avec l’autre », confie la psychiatre Andréanne Élie, tout en rappelant combien il est difficile d’être constamment en contact avec la souffrance.

Entre deux consultations

 

Le Dr Elliot Jacobson, médecin de famille au Centre de médecine intégrative de Montréal, médite souvent entre deux consultations afin « d’être plus concentré et présent à la prochaine personne » qui entrera dans son bureau. Il médite aussi en se levant le matin, trois ou quatre fois par semaine. « La pleine conscience n’a pas tant changé mon travail que la relation que j’entretiens avec mon travail. Elle m’aide à être bien en selle et à me concentrer. Quand je médite régulièrement, je suis moins contrarié par les petits désagréments de la vie et de mon travail, comme des patients difficiles, la politique à mon lieu de travail et le trafic. […] On réalise ainsi qu’on ne doit pas s’accrocher à tout ce qui inonde nos vies et nous accable, comme le stress quotidien et les mille courriels qui arrivent sur notre ordinateur. Il devient ainsi plus facile de ne pas se sentir surchargé et de donner un sens à sa vie. »

Lorsqu’elle ne pratique pas quotidiennement la méditation pleine conscience, la Dre Thanh-Lan Ngô, chef du Programme des maladies affectives à l’hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, a l’impression de « dépenser beaucoup d’énergie à anticiper ses rencontres, à réfléchir à des solutions aux différents types de problèmes qui pourraient se présenter avec les patients et dans le reste de sa vie, à repenser à son travail et à ce qui aurait pu être fait différemment.Lorsque je pratique de façon quotidienne, je suis moins fatiguée et plus productive. À chaque rencontre, je suis totalement présente au patient devant moi plutôt que d’être en train de réfléchir, de planifier, etc., et je peux ainsi offrir une réponse plus habile à son problème », précise-t-elle.

L’attention portée sur le moment présent

Inspirée de la tradition bouddhiste, la pleine conscience est un état d’éveil où notre esprit porte délibérément son attention sur le moment présent, autant sur ce qui se passe autour de nous qu’à l’intérieur de nous, sur les plans physique, émotionnel et cognitif, mais sans porter de jugement. La méditation, quant à elle, est un outil qui permet d’entraîner notre esprit à être plus présent à ce qui se passe ici, maintenant. « La méditation pleine conscience n’en est pas une où l’on répète un mantra ou qui nous amène dans la visualisation », indique Mario Cayer, professeur à l’Université Laval. Souvent, les personnes choisissent de prêter attention à leur respiration. « Il faut alors être présent à ce flot de vie en soi, mais sans en prendre le contrôle », précise-t-il.

La consigne est donc très simple, mais « trompeusement simple », affirment les pratiquants, car notre esprit s’écarte très facilement du moment présent. « Lorsqu’on médite, on se rend compte que notre esprit ne veut jamais être dans le présent, qu’il est dans le passé ou le futur. Aussi, l’esprit n’a souvent rien de positif à nous dire. Nos pensées sont essentiellement des inquiétudes ou des reproches. On se répète : “J’aurais dû, je devrais” », raconte la présidente-directrice générale d’une industrie manufacturière de la région de Québec, Cendrine Cartegnie, qui pratique régulièrement la méditation pleine conscience.

« Notre esprit a tendance à naviguer entre nos regrets par rapport au passé et nos appréhensions par rapport à l’avenir, plutôt que d’accepter et de composer avec ce qui est là, comme le font spontanément les enfants », fait remarquer Charles Baron, professeur à l’Université Laval, où il enseigne la méditation pleine conscience à des gestionnaires.

« La clé de l’efficacité de la pleine conscience est de se rendre compte que l’esprit vagabonde, mais de l’accepter, puis de laisser passer les attentes, les intentions, les jugements, les pensées, les émotions sans les juger et de revenir se centrer sur le souffle, si c’est ce qu’on a choisi comme point d’ancrage », ajoute la Dre Suzanne Paquette, psychiatre à l’hôpital Pierre-Le Gardeur.

«Mindfulness», ou pleine conscience, ou présence attentive

« Mindfulness » est la traduction anglaise qu’on a donnée en Occident au terme sati en langue palie et qui désigne un état d’éveil où l’on est entièrement attentif à son expérience sensorielle, cognitive et émotionnelle, ainsi qu’à son environnement. Le sati est un élément essentiel de la pratique bouddhiste.

Celui qui a suggéré comme traduction française le terme « pleine conscience » est Jon Kabat-Zinn, professeur émérite de l’Université médicale du Massachusetts, qui a grandement contribué à populariser cette pratique en Occident en l’intégrant à sa thérapie de réduction du stress (Mindfulness based stress reduction, ou MBSR).

Au Québec, les gens étant souvent allergiques à tout ce qui touche la religion, beaucoup n’aimaient pas cette appellation, qui comporte « une petite connotation religieuse avec le mot “conscience”, qui fait penser à la moralité, même si la façon dont l’a popularisée Jon Kabat-Zinn était dépourvue de toute référence religieuse », souligne Joe Flanders, directeur de la clinique MindSpace et professeur assistant à l’Université McGill.

Pour éviter cette association avec la religion, Mario Cayer, professeur à l’Université Laval, a proposé l’expression « présence attentive ». Plusieurs chercheurs ont adopté cette dénomination, dont le Groupe de recherche et d’intervention sur la présence attentive (GRIPA) de l’UQAM. Mais pour Joe Flanders, cette désignation « manque un peu de profondeur car, avec le temps, la pratique de la pleine conscience amène plus de compassion, plus d’ouverture au monde, moins de réactions sur le plan émotionnel, soit une certaine sagesse, alors que la présence attentive décrit plus la pratique de la mindfulness comme un entraînement du cerveau ».


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