Pierre Demers, vétéran de la bombe A malgré lui

Le physicien Pierre Demers travaillait dans un laboratoire secret de l’Université de Montréal lors de la Seconde Guerre mondiale.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Le physicien Pierre Demers travaillait dans un laboratoire secret de l’Université de Montréal lors de la Seconde Guerre mondiale.

À quelques mois de la sortie du film sur sa vie, Artiste des sciences, Le Devoir a rencontré le physicien québécois Pierre Demers. Nouvellement centenaire, ce grand témoin du siècle dernier a, bien malgré lui, contribué à l’invention de la bombe atomique.

Il a étudié la botanique avec le frère Marie-Victorin, il a été l’élève du Prix Nobel de chimie Frédéric Joliot-Curie, il a lui-même été le professeur de l’astrophysicien Hubert Reeves en plus d’avoir été un grand militant pour l’indépendance du Québec et la langue française aux côtés de ses amis Paul Gérin-Lajoie, Jacques-Yvan Morin, et Camille Laurin. Spécialiste de l’ionographie, il a même été interviewé sur ses recherches par René Lévesque, dans le cadre de son émission Point de mire.

Au lendemain de son 100e anniversaire, Pierre Demers racontait, dimanche, ses nombreuses réalisations dont la plus célèbre aura été d’avoir contribué à la fabrication de la première bombe nucléaire.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement canadien lui avait, en fait, demandé de concevoir une pile d’énergie atomique. Dans un laboratoire secret de l’Université de Montréal, Pierre Demers et son équipe ont alors mené des recherches pour enrichir l’uranium à l’aide d’une nouvelle méthode appelée « de précipitation ». À leur insu, les Américains se serviront finalement de cet uranium pour fabriquer les tristement célèbres bombes nucléaires larguées sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945.

« Je ne savais nullement que les travaux que je faisais pouvaient servir à réaliser une bombe, il n’en était absolument pas question dans le projet canadien », lance M. Demers. Dans son salon rempli de livres jaunis et de pièces d’antiquités, le physicien centenaire en profite pour ressortir des documents classés top secret de l’époque. Jamais il n’aurait pu s’imaginer que ses travaux pourraient mener à un tel désastre pour l’humanité.

« Ç’a été un grand malheur que les États-Unis aient gardé pour eux le secret de cette bombe. S’ils l’avaient partagé avec le monde entier, personne n’aurait jamais osé l’utiliser. Il n’y aurait plus le danger perpétuel que les puissances utilisent une telle arme », souligne M. Demers avec un pincement au coeur. « À mon sens, c’est vraiment une erreur stupide des Américains qui croyaient qu’avec la force, qu’il y avait moyen d’établir la paix, en sacrifiant quelques centaines de milliers d’humains. »

Bombe constitutionnelle

Malgré les années, M. Demers en veut toujours et surtout au gouvernement de Mackenzie King qui était au pouvoir à l’époque. « Le gouvernement canadien s’est comporté de façon déplorable vis-à-vis du Québec dans cette affaire. Le Québec a été tenu dans l’ignorance complète sur ce qui se faisait sur son propre territoire », s’emporte-t-il en faisant instantanément ressortir sa flamme souverainiste.

Pierre Demers ne s’en est jamais caché. Il croit en un Québec indépendant, il soutient qu’il aurait dû l’être depuis longtemps. « Le Québec est occupé par un gouvernement qui n’est pas le sien depuis la “nuit des longs couteaux”. Nous sommes obligés de payer des impôts à Ottawa, même si nous n’avons jamais signé la Constitution », s’insurge-t-il. « En plus, le Québec a été berné dans les deux référendums. L’intervention d’Ottawa a été fort efficace, mais elle a été, en mon sens, contraire à la législation. »

S’il le pouvait encore, M. Demers n’hésiterait pas à descendre dans la rue pour défendre les intérêts du Québec comme il l’a si souvent fait. À 100 ans, son dos le fait maintenant trop souffrir et son pas chancelant l’empêche de marcher des kilomètres ; mais il est loin d’avoir abandonné le combat.

Cet expert de la physique a appris à manier Internet. Chaque jour, il passe plusieurs heures à lire l’actualité et à suivre les débats sur l’avenir du Québec.

Même s’il refuse de se prononcer sur la course à la direction du Parti québécois, il affirme que le discours du chef du Bloc québécois, Mario Beaulieu, l’a récemment interpellé. « Il a affirmé une chose très importante, il faut cesser d’avoir peur. Il faut se rendre compte qu’on est aussi bien capables de nous diriger sans l’intervention d’Ottawa. »

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