Des êtres vivants doués d’immortalité

Naître et grandir, jusqu’à être en capacité de se reproduire, puis vieillir et enfin mourir : ce cycle de vie est apparemment celui de tous les êtres vivants. Pourtant, certaines espèces échappent à ce processus. Grâce à diverses stratégies, elles sont capables d’éviter le vieillissement et de repousser la mort. Revue des recettes qui leur permettent de flirter avec l’éternité.
Pour éviter de mourir, une première stratégie consiste à résister à tout : c’est le cas de certaines bactéries, pratiquement « increvables ». Par exemple, Deinococcus radiodurans, surnommée « Conan la bactérie », survit à des taux de radioactivité 5000 fois plus élevés que la dose mortelle pour l’homme, mais aussi au froid et au chaud extrême, ainsi qu’à l’acide concentré ! De plus, de nombreuses bactéries sont capables, quand les conditions sont mauvaises, de rentrer dans un état dit de « cryptobiose », qui correspond à un ralentissement extrême de leur métabolisme. Il y a une dizaine d’années, des scientifiques américains ont ainsi prétendu avoir « réveillé » une bactérie emprisonnée dans un cristal de sel depuis… 250 millions d’années ! Il pourrait toutefois s’agir, plus prosaïquement, d’une bactérie contemporaine qui aurait contaminé l’échantillon.
La faculté d’autoreproduction
D’autres êtres vivants sont capables de résister au vieillissement lui-même. C’est ce que fait l’hydre, un petit animal d’eau douce d’environ 15 millimètres de long, qui appartient à l’embranchement des cnidaires, comme les méduses ou les coraux. Lorsqu’on la nourrit suffisamment, l’hydre se reproduit par bourgeonnement : elle fabrique sur son corps une nouvelle petite hydre, en tout point identique à elle-même, qui se détache de sa « mère » une fois sa croissance achevée.
Dans les années 1950, un biologiste belge, Paul Brien, a suivi une seule et même hydre au fil des générations, en la séparant à chaque fois de ses hydres filles. Résultat : au bout de quatre années, elle continuait à bourgeonner. Mieux, l’animal ne donnait aucun signe de faiblesse : ses réflexes, pour attraper sa nourriture notamment, étaient toujours aussi vifs. C’est d’ailleurs le cnidaire qui a eu raison du biologiste, puisque celui-ci a arrêté son expérience.
« L’hydre est une espèce à très faible sénescence, c’est-à-dire que son état général se détériore très peu avec le temps », confirme la biologiste Brigitte Galliot, qui étudie cette étrange petite bête dans son laboratoire de l’Université de Genève. « De plus, elle est dotée de formidables capacités de régénération. » Le cnidaire est en effet capable de faire repousser n’importe quelle partie de son corps : une de ses tentacules, son pied… ou même sa tête !
Le groupe des cnidaires abrite également une autre étrangeté : la méduse Turritospis nutricula. Quand ses conditions de vie sont mauvaises, celle-ci retourne à son stade larvaire, plus résistant. C’est le seul exemple connu d’un animal capable de rajeunir après avoir atteint sa maturité sexuelle. Cependant, même si l’étape de « rajeunissement » a été observée en laboratoire, il n’a pas été prouvé que ces cycles de passage de la forme adulte à la forme larvaire et inversement pouvaient se produire indéfiniment.
Colonies de clones
Il existe cependant encore une autre manière de résister aux ravages du temps : la formation de colonies de clones. Chez certaines espèces, qui se reproduisent de manière asexuée, les enfants vivent groupés auprès de leurs parents, formant ainsi un « super-organisme » composé de cellules au patrimoine génétique identique. Chacun de ces clones est mortel, mais la colonie dans son ensemble peut atteindre un âge canonique ; en théorie, elle peut même ne jamais mourir, puisqu’elle est en constant renouvellement.
L’âge d’une forêt de peupliers faux trembles génétiquement tous semblables, située dans l’état de l’Utah dans l’ouest des États-Unis, a ainsi été estimé à 80 000 ans ! La posidonie, une plante marine de la Méditerranée, a également adopté cette stratégie. Posidonia oceanica, c’est son nom latin, se propage grâce à ses rhizomes, des racines qui poussent horizontalement dans le sol, et forme des prairies sous-marines, situées entre la surface et 40 mètres de profondeur.
Au début de l’année, des scientifiques français et portugais ont annoncé avoir découvert, au large d’Ibiza, une prairie de posidonie s’étendant sur 15 kilomètres de long ; d’après leurs calculs, elle serait âgée de 100 000 ans ! « Je n’y crois pas, tranche Charles Boudouresque, de l’Université de Marseille, car il y a 20 000 ans le niveau de la mer Méditerranée était beaucoup plus bas, l’herbier ne peut donc pas avoir survécu à la profondeur où on l’observe aujourd’hui. » Pour ce biologiste spécialiste de la posidonie, la plus vieille colonie existante, qui croît au large de Naples, est âgée de 9000 ans… déjà un chiffre respectable !
Enfin, un dernier moyen de lutter contre le vieillissement, le plus efficace peut-être, consiste à en déjouer les mécanismes, comme le font les cellules cancéreuses. La plupart de nos cellules sont en effet programmées pour mourir, au fur et à mesure que diminue la longueur des télomères, ces « capuchons » qui protègent les extrémités de nos chromosomes. Mais dans les cellules cancéreuses, une enzyme appelée télomérase répare sans cesse ces capuchons, ce qui confère aux cellules l’immortalité. Cette enzyme, qui a valu à ses découvreurs le prix Nobel de physiologie en 2009, fait désormais l’objet de nombreuses recherches médicales. Elle alimente aussi les fantasmes de ceux qui y voient une « fontaine de jouvence », qui pourrait un jour nous ouvrir la porte de l’éternité.