Découverte archéologique surprenante en Estrie

L’équipe de cinq archéologues qui a fouillé sur le site d’East Angus pendant deux semaines a sorti du sol plus de 1000 fragments.
Photo: Claude Chapdelaine Université de Montréal L’équipe de cinq archéologues qui a fouillé sur le site d’East Angus pendant deux semaines a sorti du sol plus de 1000 fragments.

À East Angus en Estrie, des archéologues viennent d’exhumer sur les rives de la rivière Saint-François unmillier d’artefacts datant vraisemblablement de 8500 à 9500 ans, qui auraient été fabriqués par des descendants des premiers humains à avoir peuplé l’Amérique.

 

Éric Graillon, aujourd’hui archéologue au Musée de la nature et des sciences de Sherbrooke, avait repéré le site en 1998 lors de sondages de prospection. Il y avait alors découvert des artefacts à une profondeur de 40 à 65 cm, alors que la plupart des vestiges retrouvés ailleurs en Estrie se situaient dans les 30 premiers centimètres de sol. De plus, les objets découverts avaient été sculptés dans une pierre absente dans la région, une rhyolite provenant du nord du New Hampshire et du Maine. Ces deux observations ont alors convaincu les archéologues que ces artefacts étaient fort probablement très anciens.

 

« On sait que des objets qui ont été abandonnés par des groupes humains ont pu s’enfoncer encore plus profondément sous l’action du gel et dégel ainsi que des animaux fouisseurs et des racines des arbres », explique le professeur Claude Chapdelaine, du Département d’anthropologie de l’Université de Montréal, qui a dirigé les fouilles à East Angus. « Dans 98 % des sites québécois, les objets se sont enfoncés ainsi de 30 cm. Mais il n’y a qu’un seul moment où les objets ont bougé de 60 à 80 cm, c’est à la fin de l’âge glaciaire. »

 

De 2002 à 2012, Claude Chapdelaine a fait des fouilles dans la région de Mégantic sur le site Cliche-Rancourt vieux de 12 500 ans qui est le seul site au Québec de la période du paléoindien ancien et qui renferme les traces des premiers humains à occuper le Québec.

 

Les Paléoindiens sont arrivés en Amérique en traversant le détroit de Béring, il y a 13 500 ans. Ils se sont d’abord installés dans les grandes plaines de l’Ouest américain, où ils ont inventé la pointe de projectile à cannelures, propre à la culture Clovis. Puis, de là, ils ont propagé cette culture à travers toute l’Amérique en migrant vers l’est.

 

« Les groupes paléoindiens anciens sont arrivés au sud de notre région il y a 12 800 ans. À cette époque, ils ne pouvaient pas pénétrer au Québec car celui-ci était couvert par la mer de Champlain et le glacier au nord. Mais il y a 12 600 ans, ils ont remonté la rivière Kennebec et l’un de ses petits affluents, la rivière Dead, qui les a menés sur le col de montagne le plus bas de la région. Et c’est ainsi qu’ils ont atteint le site Cliche-Rancourt près de Mégantic », raconte M. Chapdelaine.

 

L’archaïque ancien

 

Aucune pointe à cannelures n’a été trouvée à East Angus à ce jour. Les objets qu’on y a recueillis sont surtout des grattoirs pour travailler les peaux et d’autres matériaux, dont plusieurs sont en rhyolite provenant du nord du Maine et du New Hampshire. Avec le quartz local, les hommes de l’époque ont fait des grattoirs, des racloirs et des couteaux spontanés servant à gratter, couper, scier. On a aussi exhumé « des éclats utilisés et des nucléus » (ces noyaux de roche dure dont on extrayait des éclats, des lames). « Pour avoir une réponse claire et nette [de l’âge de ce site], il nous manque toujours des pointes de projectile à cannelures. Mais il reste encore une bonne partie du site à fouiller », dit avec espoir M. Chapdelaine.

 

L’équipe de cinq archéologues qui a fouillé sur le site d’East Angus pendant deux semaines a sorti du sol plus de 1000 fragments issus de ce travail de taille. « Ce genre de découverte est assez caractéristique des sites anciens des chasseurs, pêcheurs, cueilleurs », souligne le chercheur.

 

Au milieu de ces fragments, les archéologues ont également retrouvé des charbons de bois et des pierres chauffées ayant été rougies et éclatées par le feu, qui proviennent vraisemblablement d’un ancien foyer. M. Chapdelaine prévoit d’envoyer certains de ces charbons de bois en Floride pour qu’ils soient datés au carbone 14, ce qui permettrait de confirmer ou d’infirmer son hypothèse. Et au laboratoire du géologue Michel Lamothe de l’UQAM, on déterminera depuis combien de temps les pierres chauffées n’avaient pas été exposées au soleil par la technique de luminescence optique.

 

Claude Chapdelaine estime que les traces d’activité humaine découvertes sur le terrain de la papeterie Cascades à East Angus remontent à l’archaïque ancien, la période ayant succédé au paléoindien. « Il s’agirait du premier site de l’archaïque ancien en Estrie », dit-il.

 

Les humains qui l’ont habité provenaient probablement du sud, croit M. Chapdelaine. « Il s’agissait de montagnards venant du nord du Maine, du Vermont et du New Hampshire, et qui continuaient d’entretenir des relations avec des groupes de ces régions du sud, comme le montrent les objets en rhyolite provenant du nord du Maine et du nord du New Hampshire qui ont été découverts à East Angus, mais aussi à Cliche-Rancourt. »

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