Ces ondes omniprésentes dans nos vies

Absolument personne n’y échappe sur la planète. Autant à l’intérieur de nos habitations que dans le fond de la campagne, nous sommes tous exposés aux champs électromagnétiques engendrés par les radiofréquences émises par les tours de téléphonie cellulaire, les antennes de radiodiffusion (télévision et radio), les téléphones cellulaires, ainsi que les bornes Bluetooth et Wi-Fi donnant accès à des réseaux Internet sans fil. Alors que ces différentes sources d’émissions se multiplient dans notre environnement, plusieurs redoutent leurs effets sur la santé. La science nous démontre qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter dans les conditions actuelles.
Au début du mois d’avril, un groupe d’experts qui avait été mandaté par la Société royale du Canada pour vérifier si le Code de sécurité 6 (CS6) fournissait toujours une protection adéquate contre les possibles effets nocifs sur la santé des radiofréquences émises par les divers dispositifs de communication sans fil publiait ses conclusions qui étaient plutôt rassurantes. Selon le comité d’experts, les normes proposées par Santé Canada sont tout à fait sécuritaires.
Santé Canada a créé en 1991 le CS6 qui établit des limites d’émission que les fabricants doivent respecter afin que la population générale soit exposée à des niveaux sécuritaires. Ces limites, qui visent à nous protéger de l’effet thermique des ondes, sont déterminées en mesurant les intensités auxquelles on observe un échauffement de 1 °C des tissus biologiques. Ce seuil est ensuite atténué d’un facteur 50 (c’est-à-dire qu’il est divisé par 50). Ces limites sont identiques à celles recommandées par diverses organisations internationales.
Après avoir passé en revue toutes les études scientifiques qui ont été publiées depuis la dernière révision du CS6 survenue en 1999, le comité d’experts en est arrivé à des conclusions qui font consensus à travers le monde : aucune étude solide n’indique que l’exposition à des niveaux de rayonnements ne dépassant pas les normes actuelles du CS6 pourrait induire des effets néfastes sur la santé humaine.
Compte tenu des résultats parfois contradictoires obtenus par certaines études, les experts n’ont analysé que ceux qui avaient pu être reproduits dans plus d’une étude effectuée selon les règles de l’art en science, c’est-à-dire avec une méthodologie rigoureuse.
Le comité recommande néanmoins à Santé Canada de poursuivre les recherches visant à éclaircir le lien possible entre les radiofréquences et le cancer, et d’étudier plus avant le problème de l’hypersensibilité électromagnétique afin de pouvoir offrir des traitements aux personnes qui en souffriraient.
En France
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) en France déposait le 15 octobre 2013 les résultats de son évaluation des risques liés à l’exposition aux radiofréquences. Les conclusions de cette évaluation basée aussi sur une revue de la littérature scientifique internationale ne mettent pas non plus en évidence « d’effets avérés sur la santé ». L’ANSES affirme que « certaines publications évoquent néanmoins une possible augmentation du risque de tumeur cérébrale, sur le long terme, pour les utilisateurs intensifs de téléphones portables ».
L’agence française recommande donc aux adultes qui font un usage intensif du téléphone cellulaire « de recourir au kit mains libres » et de privilégier l’acquisition de téléphones affichant les débits d’absorption spécifique (DAS) les plus faibles. Elle incite également à « réduire l’exposition des enfants au téléphone portable ». Elle préconise « l’affichage du niveau d’exposition maximal engendré (le DAS par exemple) par les dispositifs émetteurs de champs électromagnétiques destinés à être utilisés près du corps », comme les téléphones, les tablettes tactiles, les moniteurs pour bébés.
Téléphone et cancer
Tous les organismes sanitaires du monde ont considéré avec attention les résultats de la grande étude Interphone qui visait à vérifier si l’utilisation du téléphone cellulaire durant au moins dix ans augmentait le risque de tumeurs du cerveau (gliomes et méningiomes), du nerf acoustique et de la glande parotide, trois tissus susceptibles d’absorber l’énergie des radiofréquences émise par les téléphones cellulaires. L’étude fut menée dans 13 pays, dont au Canada.
Les données d’Interphone qui ont été publiées en mai 2010 n’ont pas démontré que l’utilisation du téléphone cellulaire était associée à un risque accru de cancer cérébral. Seul un doute est apparu chez les plus grands utilisateurs, parlant en moyenne plus d’une demi-heure par jour, lesquels semblaient être un peu plus à risque de développer un gliome. « C’est un résultat qui est très faible au niveau statistique, mais il y a tout de même une raison d’être vigilant. Poursuivre les recherches est la seule façon de résoudre cette incertitude, sinon on se posera les mêmes questions dans 10, voire 20 ans », affirme le professeur d’épidémiologie à l’Université de Montréal Jack Siemiatycki, qui était au nombre des chercheurs d’Interphone. L’émergence de ce doute a néanmoins conduit le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé à classer les radiofréquences comme « possiblement cancérogènes ».
Au niveau cellulaire
Plusieurs citoyens se demandent si les radiofréquences n’auraient pas des effets plus subtils, au niveau des cellules, par exemple, qui à la longue finiraient par compromettre la santé.
La professeure Catherine Yardin du Service d’histologie, cytologie et cytogénétique du CHU Dupuytren à Limoges, en France, s’est appliquée à vérifier si les radiofréquences dans la gamme de la téléphonie cellulaire pouvaient entraîner le phénomène d’apoptose chez des cellules neuronales humaines et des rats. « L’apoptose est le suicide que s’infligent les cellules quand elles voient que l’environnement leur est défavorable, explique la chercheuse qui avoue avoir eu un doute après une première série d’expériences. On s’est toutefois rendu compte qu’il s’agissait d’un effet thermique [voir article ci-contre]. L’effet qu’on avait observé était dû à un dysfonctionnement de notre système d’exposition qui, en dispensant des doses bien supérieures aux normes, avait entraîné un échauffement des cellules. Or, quand les cellules sont menacées par une élévation thermique, elles activent divers mécanismes de défense pour essayer de revenir à la température antérieure. Pour vérifier que c’était bien l’augmentation de température qui avait tué nos cellules, nous avons augmenté la température dans l’étuve de deux degrés et nous avons obtenu exactement les mêmes résultats ». Somme toute, les chercheurs de Limoges n’ont pas noté d’accroissement du taux d’apoptose chez les cellules nerveuses qu’elles avaient exposées aux radiofréquences.
Mme Yardin fait par ailleurs remarquer qu’on ne peut pas comparer l’exposition d’une cellule à l’intérieur d’une étuve à celle d’un corps entier à un téléphone, car « le corps humain est doté de mécanismes de régulation pour combattre et compenser l’échauffement qui sont beaucoup plus compétents que ceux d’une cellule isolée ».
Mais, exposer des cellules aux radiofréquences pendant de courts moments permet-il vraiment de vérifier l’effet d’une exposition constante aux radiofréquences telle que nous la vivons quotidiennement ? « Il n’y a pas d’effetcumulatif. C’est pour la même raison que l’on peut rester très longtemps devant un feu de cheminée sans pour autant brûler », répond Mme Yardin.
L’équipe de Limoges a par ailleurs exposé des cellules humaines foetales provenant du liquide amniotique prélevé dans le cadre d’une amniocentèse à des ondes de la gamme des téléphones cellulaires. L’examen des chromosomes de ces cellules n’a révélé aucune variation dans le nombre de chromosomes, de même qu’aucun remaniement ou cassure chromosomiques.
« C’est en effet un peu discordant d’affirmer d’une part qu’il n’y a pas d’effet et d’autre part de dire qu’il faut continuer à chercher. Mais il est très difficile de prouver qu’il n’y a rien. Il faudrait que l’on vérifie tout et on ne peut jamais tout regarder », commente la Pre Yardin.
Le biophysicien Normand Mousseau de l’Université de Montréal abonde dans le même sens : « par précaution, il faut continuer à faire des recherches, pour vérifier qu’on n’a rien oublié. Mais si jamais on trouve quelque chose, ce sera des effets très faibles, car on aurait déjà détecté des effets significatifs depuis 20 ans qu’on utilise les téléphones cellulaires sur la planète », dit-il.
Hypersensibilité
De nombreuses personnes ici ou ailleurs dans le monde se disent hypersensibles aux ondes électromagnétiques et attribuent leurs multiples maux (céphalées, douleurs, fatigue, dépression) à la présence de ces ondes. Les scientifiques ne nient absolument pas que ces personnes souffrent, mais ils affirment catégoriquement que leurs symptômes ne sont pas reliés à l’exposition aux ondes. « Dans le cadre d’études où ces personnes ne savent pas si elles sont exposées ou non à des ondes, elles obtiennent le même taux de bonnes réponses que la population générale, précise Mme Yardin. Dans la plupart des rapports, on parle d’effet nocebo, qui est l’inverse de l’effet placebo : vous pensez être exposé à quelque chose de nocif, de toxique, et du coup vous développez un effet nocebo, vous en venez à présenter des symptômes. Il faut néanmoins prendre en charge ces personnes », explique Mme Yardin.