La science mise à mal par le gouvernement Harper

La très grande majorité des scientifiques du gouvernement fédéral croient que les compressions imposées à leurs activités de recherche et de surveillance affaibliront la capacité du gouvernement à servir l’intérêt public et qu’elles ont fait régresser le Canada en matière de protection de l’environnement, révèle un récent sondage commandé par l’Institut professionnel de la fonction publique. Or, un second sondage effectué auprès du public indique que 73 % des Canadiens voudraient que la protection de l’environnement, la sécurité et la santé publique arrivent en tête des priorités du gouvernement.
Selon le journaliste Chris Turner, auteur de Science, on coupe ! Chercheurs muselés et aveuglement volontaire : bienvenue au Canada de Stephen Harper que publiaient la semaine dernière les Éditions du Boréal, les Canadiens commencent à comprendre les réelles visées du gouvernement Harper en matière de science et de recherche sur le climat.
« Tout est arrivé par petites vagues, par à-coups, par bribes, sous forme de réduction des coûts et de mesures d’austérité pour cause de conjoncture économique difficile. On parlait d’efficacité, de dédoublement et de gestion éclairée, d’amélioration de rendement et de bon sens. Coupes budgétaires, fermetures de bureaux et révisions de programmes, bien dispersées sur le calendrier, passaient presque inaperçues », raconte Chris Turner qui est persuadé que, dès ses premiers mandats minoritaires, le gouvernement Harper ne procédait pas de manière aléatoire. La suppression de la version détaillée et obligatoire du questionnaire de recensement en juin 2010 qui « prive les autorités sanitaires d’informations cruciales » le démontre clairement. Tout comme cette mesure prise en 2008, qui oblige les experts des ministères et scientifiques gouvernementaux à transmettre toute demande de renseignements, même les plus anodines, à leurs attachés de presse.
Mais c’est à partir du moment où les conservateurs forment un gouvernement majoritaire que les compressions et les fermetures se multiplient. Déposé en mars 2012, le projet de loi budgétaire omnibus C-38 assène un véritable coup de massue à la recherche et à la surveillance de l’environnement. Adopté en juin 2012, la loi C-38 entraîne une vague de fermetures et de mises à pied dans les instituts de recherche, dont l’Institut Maurice-Lamontagne, de Mont-Joli, un important centre de recherche en sciences de la mer. Elle reformule la Loi canadienne sur les pêches afin d’en réduire la portée. Désormais, seuls les habitats des poissons « ayant une valeur économique, culturelle ou écologique » seront surveillés et protégés.
La loi C-38 coupe complètement les vivres au programme de la Région des lacs expérimentaux (RLE), un réseau de 58 petits lacs du nord de l’Ontario qui constitue l’un des plus importants centres de recherche sur l’eau douce de la planète. Ce laboratoire vivant à ciel ouvert a permis de mettre en évidence le rôle du phosphore contenu dans les rejets industriels, agricoles et municipaux dans l’eutrophisation des lacs. La RLE a également permis de déterminer que les pluies acides découlent de la pollution atmosphérique. Cette observation aboutira à la signature du traité des pluies acides en 1991 entre Brian Mulroney et George H. W. Bush.
La loi C-38 conduit aussi à la fermeture du Laboratoire de recherche atmosphérique en environnement polaire (PEARL), l’unique centre de recherche et de collecte de données du Canada dans le Haut-Arctique, et ce, alors que le gouvernement projette d’entreprendre l’exploration et, à terme, l’exploitation des ressources de l’Arctique.
La loi C-38 annule 492 études d’impact sur l’environnement qui avaient été commandées pour une série de projets industriels d’un bout à l’autre du pays. Elle décrète la fermeture des stations de lutte contre les déversements pétroliers au nord de la Colombie-Britannique. Elle induit la fermeture de 7 des 11 bibliothèques du ministère des Pêches et des Océans (MPO).
La mainmise du gouvernement Harper sur les communications de ses scientifiques se resserre. On envoie des chaperons surveiller les scientifiques d’Environnement Canada qui sont invités à faire des présentations ou à participer à des tables rondes dans les conférences internationales. La revue Nature et de nombreuses organisations scientifiques internationales dénoncent ce bâillon imposé aux scientifiques gouvernementaux.
« Le gouvernement Harper a procédé à l’amputation voire l’abolition de plusieurs programmes de recherche en environnement non par souci d’économie, comme il l’a souvent affirmé, car ces programmes et leurs équipements requièrent des sommes minimes par rapport au budget. La Région des lacs expérimentaux ne nécessitait que deux millions par année. Sa principale motivation est de réduire la capacité de ses propres agences à surveiller les impacts de ses propres politiques et à produire des éléments de preuve montrant que ses politiques feront plus de dommages que prévu », souligne Chris Turner en entrevue téléphonique depuis Calgary, où il habite. M. Turner rappelle à titre d’exemple le cas du projet de construction de l’oléoduc Enbridge Northern Gateway qui devrait traverser le nord de la Colombie-Britannique, un territoire autochtone où se trouvent d’importantes frayères à saumons, pour aboutir sur un port de superpétroliers. « Lorsque la Commission d’examen conjointe chargée d’évaluer le projet a demandé aux fonctionnaires du ministère canadien des Pêches et des Océans de lui faire parvenir leur étude d’impact sur l’environnement, le MPO a répondu que ces études n’étaient pas encore terminées et qu’une pénurie de ressources les empêchait de mener à bien ce travail avant que la commission ne rende sa décision ».
Crédibilité minée
Chris Turner fait aussi remarquer qu’au moment où il ampute les programmes de recherche en sciences environnementales, le gouvernement accorde un crédit de 8 millions de dollars à l’Agence du revenu du Canada « pour lui permettre d’augmenter le nombre de ses vérifications ciblant les ONG environnementales ». « Réduire au silence les détracteurs parfois virulents du gouvernement vaut 8 millions, mais protéger les ressources en eau douce ne vaut même pas le quart de cette somme », lance-t-il avant de relater d’autres événements qui ternissent sérieusement la réputation du Canada, dont celui où le Canada a renié son engagement envers le protocole de Kyoto en refusant de signer un nouveau traité international à Copenhague.
Mais c’est probablement le projet d’oléoduc Keystone XL — qui permettrait d’acheminer le pétrole extrait des sables bitumineux de l’Alberta jusqu’aux raffineries texanes du golfe du Mexique — qui mine le plus la crédibilité du gouvernement canadien, lequel est accusé d’exploiter ses ressources sans respecter l’environnement.
« Ce gouvernement fait preuve d’une grande incompréhension du rôle de la science. Cela se voit très bien dans la manière qu’il a remanié le Conseil national de recherches du Canada pour en faire un service de conciergerie plus efficace, à la disposition du monde des affaires et de l’industrie », souligne le journaliste.
Les sciences de l’environnement sont les plus grandes victimes du couperet Harper tout simplement parce que c’est le domaine le plus à même de produire des données susceptibles de contrecarrer le développement industriel, et particulièrement l’extraction des ressources naturelles, qui sont les deux grandes ambitions de ce gouvernement.
Selon Chris Turner, le gouvernement « mise sur des déclarations publiques soigneusement mises en scène et des publicités clinquantes pour son Plan d’action économique pour détourner l’attention des Canadiens », mais ceux-ci ont désormais compris.
« Les Canadiens ne vont plus tolérer très longtemps le plan Harper qui projette une image qui ne ressemble en rien à celle du Canada », croit Chris Turner.
***
Le gouvernement Harper en cinq dates
Janvier 2006 : Élection du premier gouvernement minoritaire de Stephen Harper.
Octobre 2008 : Réélection des conservateurs pour un second mandat minoritaire.
Juin 2010 : Abolition du questionnaire détaillé obligatoire du recensement.
Mai 2011 : Les conservateurs de Stephen Harper forment un gouvernement majoritaire.
Mars 2012 : Le gouvernement Harper dépose le projet de loi omnibus C-38 qui est voté
en juin.
Selon le journaliste Chris Turner, auteur de Science, on coupe ! Chercheurs muselés et aveuglement volontaire : bienvenue au Canada de Stephen Harper que publiaient la semaine dernière les Éditions du Boréal, les Canadiens commencent à comprendre les réelles visées du gouvernement Harper en matière de science et de recherche sur le climat.
« Tout est arrivé par petites vagues, par à-coups, par bribes, sous forme de réduction des coûts et de mesures d’austérité pour cause de conjoncture économique difficile. On parlait d’efficacité, de dédoublement et de gestion éclairée, d’amélioration de rendement et de bon sens. Coupes budgétaires, fermetures de bureaux et révisions de programmes, bien dispersées sur le calendrier, passaient presque inaperçues », raconte Chris Turner qui est persuadé que, dès ses premiers mandats minoritaires, le gouvernement Harper ne procédait pas de manière aléatoire. La suppression de la version détaillée et obligatoire du questionnaire de recensement en juin 2010 qui « prive les autorités sanitaires d’informations cruciales » le démontre clairement. Tout comme cette mesure prise en 2008, qui oblige les experts des ministères et scientifiques gouvernementaux à transmettre toute demande de renseignements, même les plus anodines, à leurs attachés de presse.
Mais c’est à partir du moment où les conservateurs forment un gouvernement majoritaire que les compressions et les fermetures se multiplient. Déposé en mars 2012, le projet de loi budgétaire omnibus C-38 assène un véritable coup de massue à la recherche et à la surveillance de l’environnement. Adopté en juin 2012, la loi C-38 entraîne une vague de fermetures et de mises à pied dans les instituts de recherche, dont l’Institut Maurice-Lamontagne, de Mont-Joli, un important centre de recherche en sciences de la mer. Elle reformule la Loi canadienne sur les pêches afin d’en réduire la portée. Désormais, seuls les habitats des poissons « ayant une valeur économique, culturelle ou écologique » seront surveillés et protégés.
La loi C-38 coupe complètement les vivres au programme de la Région des lacs expérimentaux (RLE), un réseau de 58 petits lacs du nord de l’Ontario qui constitue l’un des plus importants centres de recherche sur l’eau douce de la planète. Ce laboratoire vivant à ciel ouvert a permis de mettre en évidence le rôle du phosphore contenu dans les rejets industriels, agricoles et municipaux dans l’eutrophisation des lacs. La RLE a également permis de déterminer que les pluies acides découlent de la pollution atmosphérique. Cette observation aboutira à la signature du traité des pluies acides en 1991 entre Brian Mulroney et George H. W. Bush.
La loi C-38 conduit aussi à la fermeture du Laboratoire de recherche atmosphérique en environnement polaire (PEARL), l’unique centre de recherche et de collecte de données du Canada dans le Haut-Arctique, et ce, alors que le gouvernement projette d’entreprendre l’exploration et, à terme, l’exploitation des ressources de l’Arctique.
La loi C-38 annule 492 études d’impact sur l’environnement qui avaient été commandées pour une série de projets industriels d’un bout à l’autre du pays. Elle décrète la fermeture des stations de lutte contre les déversements pétroliers au nord de la Colombie-Britannique. Elle induit la fermeture de 7 des 11 bibliothèques du ministère des Pêches et des Océans (MPO).
La mainmise du gouvernement Harper sur les communications de ses scientifiques se resserre. On envoie des chaperons surveiller les scientifiques d’Environnement Canada qui sont invités à faire des présentations ou à participer à des tables rondes dans les conférences internationales. La revue Nature et de nombreuses organisations scientifiques internationales dénoncent ce bâillon imposé aux scientifiques gouvernementaux.
« Le gouvernement Harper a procédé à l’amputation voire l’abolition de plusieurs programmes de recherche en environnement non par souci d’économie, comme il l’a souvent affirmé, car ces programmes et leurs équipements requièrent des sommes minimes par rapport au budget. La Région des lacs expérimentaux ne nécessitait que deux millions par année. Sa principale motivation est de réduire la capacité de ses propres agences à surveiller les impacts de ses propres politiques et à produire des éléments de preuve montrant que ses politiques feront plus de dommages que prévu », souligne Chris Turner en entrevue téléphonique depuis Calgary, où il habite. M. Turner rappelle à titre d’exemple le cas du projet de construction de l’oléoduc Enbridge Northern Gateway qui devrait traverser le nord de la Colombie-Britannique, un territoire autochtone où se trouvent d’importantes frayères à saumons, pour aboutir sur un port de superpétroliers. « Lorsque la Commission d’examen conjointe chargée d’évaluer le projet a demandé aux fonctionnaires du ministère canadien des Pêches et des Océans de lui faire parvenir leur étude d’impact sur l’environnement, le MPO a répondu que ces études n’étaient pas encore terminées et qu’une pénurie de ressources les empêchait de mener à bien ce travail avant que la commission ne rende sa décision ».
Crédibilité minée
Chris Turner fait aussi remarquer qu’au moment où il ampute les programmes de recherche en sciences environnementales, le gouvernement accorde un crédit de 8 millions de dollars à l’Agence du revenu du Canada « pour lui permettre d’augmenter le nombre de ses vérifications ciblant les ONG environnementales ». « Réduire au silence les détracteurs parfois virulents du gouvernement vaut 8 millions, mais protéger les ressources en eau douce ne vaut même pas le quart de cette somme », lance-t-il avant de relater d’autres événements qui ternissent sérieusement la réputation du Canada, dont celui où le Canada a renié son engagement envers le protocole de Kyoto en refusant de signer un nouveau traité international à Copenhague.
Mais c’est probablement le projet d’oléoduc Keystone XL — qui permettrait d’acheminer le pétrole extrait des sables bitumineux de l’Alberta jusqu’aux raffineries texanes du golfe du Mexique — qui mine le plus la crédibilité du gouvernement canadien, lequel est accusé d’exploiter ses ressources sans respecter l’environnement.
« Ce gouvernement fait preuve d’une grande incompréhension du rôle de la science. Cela se voit très bien dans la manière qu’il a remanié le Conseil national de recherches du Canada pour en faire un service de conciergerie plus efficace, à la disposition du monde des affaires et de l’industrie », souligne le journaliste.
Les sciences de l’environnement sont les plus grandes victimes du couperet Harper tout simplement parce que c’est le domaine le plus à même de produire des données susceptibles de contrecarrer le développement industriel, et particulièrement l’extraction des ressources naturelles, qui sont les deux grandes ambitions de ce gouvernement.
Selon Chris Turner, le gouvernement « mise sur des déclarations publiques soigneusement mises en scène et des publicités clinquantes pour son Plan d’action économique pour détourner l’attention des Canadiens », mais ceux-ci ont désormais compris.
« Les Canadiens ne vont plus tolérer très longtemps le plan Harper qui projette une image qui ne ressemble en rien à celle du Canada », croit Chris Turner.
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Le gouvernement Harper en cinq dates
Janvier 2006 : Élection du premier gouvernement minoritaire de Stephen Harper.
Octobre 2008 : Réélection des conservateurs pour un second mandat minoritaire.
Juin 2010 : Abolition du questionnaire détaillé obligatoire du recensement.
Mai 2011 : Les conservateurs de Stephen Harper forment un gouvernement majoritaire.
Mars 2012 : Le gouvernement Harper dépose le projet de loi omnibus C-38 qui est voté
en juin.